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XXXIX LE MARIAGE DE VIOLETTA

Entraînés par l’action, nous avons dû suivre la marche apparente des événements et accompagner le cardinal et le bourreau jusqu’à la porte de leur prison. Nous avons donc laissé le chevalier de Pardaillan à l’auberge de la Devinière où il est assiégé, et d’autre part, Charles d’Angoulême dans l’hôtel de la rue des Barrés où il attend l’arrivée du père de Violetta. Rue des Barrés et rue Saint-Denis devaient s’accomplir des faits et gestes également intéressants pour la suite de ce récit.

Pour l’instant, revenant de quelques heures en arrière, c’est-à-dire au moment même où Claude fut arrêté dans le logis de la Grève, nous suivrons l’espion qui, depuis la rue des Barrés, s’était attaché aux pas de l’ancien bourreau.

Lorsque Claude eut été solidement lié et mis dans l’impossibilité de faire un seul mouvement, cet homme, cet espion sortit du logis, s’élança rapidement vers le palais de Fausta, et ayant été aussitôt introduit auprès d’elle, lui rendit compte de l’arrestation.

Fausta tenait donc en son pouvoir à la fois Farnèse et Claude – les deux pères de Violetta, l’un père naturel qui avait un intérêt d’amour à sauver la jeune fille, l’autre père adoptif, qui était capable d’accomplir des prodiges d’affectation paternelle.

Si elle fut satisfaite ou non de ce double résultat, de la rapidité, de la précision avec lesquelles ses ordres s’étaient accomplis, elle n’en laissa rien paraître. Tenir Claude et Farnèse, c’était bien. Mais ce que voulait surtout Fausta, c’était reprendre Violetta… Elle interrogea donc l’espion avec cette lucidité, cette netteté de questions qui faisaient d’elle le plus redoutable des juges instructeurs.

De l’ensemble des réponses de l’espion, et bien que celui-ci n’eût rien vu que Claude, il résulta dans l’esprit de Fausta que Violetta se trouvait dans l’hôtel de la rue des Barrés. Fausta, d’un geste, renvoya alors l’espion et se mit à réfléchir, comme elle savait réfléchir, c’est-à-dire en mettant un ordre mathématique dans ses pensées. Tout d’abord, elle élimina Claude et Farnèse de ses préoccupations en réglant leur sort. Ayant frappé sur sa table avec son marteau d’argent, elle dit:

– Qu’on introduise le cardinal Rovenni…

Quelques instants plus tard, le cardinal entrait et se prosternait devant Fausta.

– Vous arrivez de Rome? demanda-t-elle sans autre préambule.

– Oui, Sainteté, répondit Rovenni. Arrivé ce matin avec les douze évêques et les cinq cardinaux désignés, nous sommes tous là depuis deux heures.

– Quelles nouvelles de Rome?

– Sixte est en France…

– Je sais.

– Il a voulu lui-même voir Guise avant de lui remettre des millions qu’il lui a promis.

– Je sais, dit Fausta dont le regard lança un éclair.

– En ce moment, il est à la Rochelle où il cherche à s’entendre avec» hérétique Henri de Béarn, et je me perds en suppositions pour m’expliquer cet inexplicable changement de politique.

– Mais moi je sais, cardinal, et cela me suffit.

– Votre Sainteté est l’omniscience, dit le cardinal avec une sorte d’admiration humble et passionnée. Quant au surplus, tout va bien. Trois nouveaux cardinaux, sept évêques, deux cents prêtres de divers diocèses sont gagnés à notre cause et sont prêts à courir à Rome dès que les temps seront révolus.

– Ce sera bientôt, cardinal. En attendant, voici pour vous éclairer: Sixte a vu Catherine de Médicis, qui lui a arraché une promesse de neutralité et qui l’a convaincu que Guise le trahirait. Sixte, qui veut sur le trône de France un roi à sa dévotion, s’est alors retourné vers Henri de Béarn: en se liguant avec l’hérétique, il achève de se perdre. Quant à Guise, il hésite. Son plan est d’attendre la mort d’Henri de Valois. Nous devons donc précipiter les événements. Soyez prêts tous à vous transporter à Chartres où se trouve Valois… Puisque la mort de Valois est nécessaire, qu’il meure!

– Mais qui osera frapper le roi de France!…

– J’ai l’instrument: un moine dans la main de qui j’ai mis un couteau. Et ce couteau sera bien aiguisé, car j’ai chargé de ce soin une femme qui ne pardonne pas… Quant au présent, cardinal, nous avons été battus. Quelques hommes se sont trouvés sur mon chemin, qui ont failli renverser nos projets. J’en tiens deux en mon pouvoir. Voici un papier où se trouve exposé le crime qu’ils ont commis contre notre Société… Réunissez donc à l’instant le tribunal et que, ce soir, soit prête la sentence que vous lirez, selon la règle, à maître Claude…

– Notre bourreau!…

– Et à Jean Farnèse, acheva Fausta.

– Quoi! le cardinal Farnèse…

– Farnèse a trahi, cardinal!… Allez… Agissez promptement, et que l’exemple soit mémorable!

Le cardinal pâlit. Car ces paroles de la souveraine équivalaient à un ordre de condamnation à mort. Mais tel était l’ascendant de la terrible vierge sur tous ceux qui l’entouraient qu’il dissimula son émotion et sortit après avoir pris des mains de Fausta le papier qu’elle lui tendait, acte d’accusation où étaient résumés les griefs reprochés à Claude et à Farnèse. On a vu comment Fausta avait été obéie.

Ayant ainsi réglé le sort de Claude et de Farnèse, Fausta se mit à songer à Violetta.

La jeune fille se trouvait dans la maison de la rue des Barrés. Avec qui? Avec Pardaillan, sans aucun doute. Le chevalier avait arraché Violetta aux gardes qui la traînaient au bûcher. Il l’avait confiée à un de ses amis qui avait emporté la jeune fille. Tout cela, Fausta l’avait vu de ses yeux.

Pardaillan avait rejoint son amante dans l’hôtel de la rue des Barrés – maison connue de Claude qui s’y était rendu. De là Claude était retourné au logis de la place de Grève. Pourquoi? Évidemment pour aller chercher Farnèse, père de Violetta. Donc, à ce moment, Pardaillan et son ami – sans doute le maître de la maison – attendaient avec Violetta le retour de Claude qui devait ramener Farnèse.

Tel fut le raisonnement de Fausta. Et on voit qu’elle avait rétabli de la vérité tout ce qu’on pouvait en rétablir par le raisonnement.

La conclusion était simple: elle tenait Claude et Farnèse. Il ne restait plus qu’à marcher à la rue des Barrés avec des forces suffisantes pour s’emparer de Pardaillan et de son amante.

Fausta, une fois sa résolution prise, n’en remettait jamais l’exécution. Elle frappa donc pour donner des ordres. Le valet qui entra tenait un plateau d’or à la main. Sur le plateau il y avait une lettre.

– Un gentilhomme de Mgr de Guise, dit le valet en fléchissant le genou, vient d’apporter cette missive. Il attend.

Fausta prit la lettre, la décacheta, la lut et tressaillit. Voici ce qu’elle venait de lire:

«Madame, nous tenons le damné Pardaillan. Il est en l’auberge de la Devinière , sise rue Saint-Denis, que nous cernons de toutes parts. La bête est prise au piège, et j’ai pensé qu’il vous serait agréable d’assister à l’hallali. Je vous envoie donc un de mes fidèles, le sire de Maurevert qui se mettra à vos ordres pour vous conduire sur le terrain de chasse.»

La lettre n’était ni signée ni scellée. Mais Fausta reconnut l’écriture de Guise.

– Faites entrer ce gentilhomme, dit-elle.

Les déductions de Fausta se trouvaient bouleversées: Pardaillan n’était pas rue des Barrés avec Violetta. Pardaillan était cerné rue Saint-Denis par les hommes de Guise.

À ce moment, Maurevert entra. Et comme il savait qu’il était envoyé à une princesse, il ne put retenir un geste d’étonnement en voyant un page au pourpoint armorié de l’écu de Lorraine, là où il s’attendait à voir une femme. Fausta, en effet, ne s’était pas encore dévêtue du costume de page qu’elle avait pris pour aller sur la Grève.

– Monsieur, dit-elle, vous m’êtes envoyé par le duc de Guise?

– Oui, madame, dit Maurevert en s’inclinant avec un sourire; car, dans son esprit, cette femme habillée en page, et qui portait sur sa poitrine les couleurs du duc, ne pouvait qu’être l’une des nombreuses amies de Guise.

Maurevert n’avait jamais vu Fausta. Il la connaissait de nom, cependant, et comme quelques familiers de Guise, il savait qu’une femme appelée Fausta, investie d’une redoutable et mystérieuse puissance, était venue à Paris pour l’exécution d’un vaste plan ténébreux, dont la fuite d’Henri III et la formation de la Ligue n’étaient que des incidents apparents. Mais Maurevert ignorait qu’il se trouvait précisément en présence de cette femme.

– Madame, reprit-il, mon seigneur duc m’envoie à vous pour vous confirmer la nouvelle incluse dans son message. À savoir que le sire de Pardaillan va être pris comme un renard au gîte. S’il vous convient d’assister à cette partie de plaisir, veuillez me suivre, madame, sans retard. Car j’ai un certain intérêt à être moi-même présent à l’opération.

Fausta, depuis l’entrée de Maurevert, employait toutes les ressources de son esprit à jauger pour ainsi dire l’homme, à son geste, à sa voix. Sa prodigieuse activité d’imagination et de calcul lui permettait ce travail toutes les fois qu’elle se trouvait en présence d’un inconnu. Rarement, elle se trompait. Lorsque Maurevert eut achevé de parler, elle comprit qu’une haine dévorante, inextinguible et féroce poussait cet homme qui dès lors cessait d’être à ses yeux un banal messager.

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