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– Monsieur de Maurevert, fit-elle tout à coup avec un de ces sourires qui faisaient frissonner, j’ai non moins de hâte que vous à me rendre auprès du duc de Guise…

– Partons donc…

– Un instant. Je veux vous dire la cause de ma hâte, espérant que vous m’aiderez dans mon projet.

– Je vous suis tout acquis, dit Maurevert en s’inclinant avec cette élégante politesse qui ne lui faisait pas défaut. Mais, pour Dieu, hâtez-vous, madame!

Fausta le considérait, le détaillait, l’étudiait avec une sombre satisfaction, et déjà elle assignait à Maurevert un rôle précis dans la grande tragédie qu’elle méditait. C’est là le secret de bien des puissances: savoir juger les gens et les employer.

– Je veux, dit-elle en fixant un regard acéré sur Maurevert, demander une grâce à M. de Guise. Sûrement, il ne me la refusera pas. Mais enfin, puisque vous avez bien voulu me promettre votre concours, je compte sur vous, car je sais que le duc vous tient en haute estime…

– Et quelle est cette grâce? fit Maurevert en tordant sa moustache avec une fébrile impatience.

– Pas grand chose, dit Fausta: la vie et la liberté de M. de Pardaillan…

Maurevert bondit. Son regard se troubla un instant. Des plaques livides apparurent sur son visage. Il eut un rire nerveux et frappa violemment ses deux mains l’une contre l’autre.

– Voilà ce que vous voulez que je demande au duc? fit-il d’une voix altérée. Tenez, madame, pour éviter un retard que je ne me pardonnerais pas, laissez-moi vous apprendre ceci qui va sans doute modifier vos idées à mon égard. Voilà près de dix-huit ans que je connais… Pardaillan. Et voilà dix-huit ans, madame, que j’attends une occasion pareille à celle de ce jour. En cette occasion, madame, si mon meilleur ami me disait un mot pour Pardaillan, cet ami deviendrait mon ennemi mortel. Si mon père faisait un geste pour sauver Pardaillan, je tuerais mon père. Si le duc de Guise vous accordait la grâce de Pardaillan, je tuerais le duc, quitte à être déchiré sur place par ses gardes! Si vous demandiez cette grâce devant moi, je vous tuerais vous-même!…

En disant ces mots, Maurevert, la tête perdue de haine, les traits convulsés, la main crispée sur le manche de sa dague, paraissait en effet prêt à se ruer sur Fausta. Pourtant, il reprit rapidement son sang-froid, et s’inclinant:

– Adieu, madame. Pardonnez-moi la violence qui vient de m’emporter malgré moi-même. Pardonnez-moi de ne pouvoir vous escorter, sachant ce que vous allez demander…

– Je le demanderai pourtant, dit Fausta en se levant.

Le même rire nerveux secoua Maurevert.

– Heureusement, grinça-t-il, je n’en serai pas réduit au meurtre d’une aussi belle créature que vous êtes, madame, car je crois que le duc lui-même vous tuerait de ses mains, quelque regret qu’il en puisse éprouver ensuite, plutôt que de vous accorder la vie et la liberté de son plus mortel ennemi.

– Il me l’accordera pourtant! dit Fausta avec cet accent d’irrésistible autorité qui courbait devant elle les fronts les plus orgueilleux. Ce qu’il refuserait à vous, à lui-même peut-être, il me le donnera, à moi!

– Vous! s’écria Maurevert palpitant. Pourquoi? Qui êtes-vous pour oser parler ainsi de mon maître, du maître de Paris bientôt maître du royaume!

– Je parle ainsi, parce que si vous obéissez à Guise, si Paris obéit à Guise, c’est à moi que Guise obéit! Parce que je suis la pensée qui combine, et qu’il est seulement le bras qui agit sous l’impulsion de cette pensée! Parce que je suis celle qui a révolutionné le royaume et chassé Henri III! Celle qui échafaude le trône de votre roi de demain; parce que je suis celle qui est envoyée pour rétablir l’ancien ordre de choses ébranlé par l’ignorance des rois, l’orgueil des prêtres et la révolte des peuples, parce que je suis Fausta!…

– Fausta! murmura Maurevert en frissonnant.

Et dans son esprit éperdu s’évoqua la mystérieuse légende de puissance infinie qui escortait ce nom comme l’éclair escorte la foudre. Ce nom chuchoté avec terreur dans l’entourage du duc, ce nom qui faisait pâlir Guise lui-même, ce nom qui éveillait l’écho de la plus prodigieuse conspiration, ce nom, symbole de prestigieuse grandeur, de force irrésistible et de domination surhumaine frappa Maurevert d’une sorte d’effroi superstitieux.

Il jeta un rapide regard sur cette femme. Et elle lui apparut transfigurée, flamboyante comme si vraiment son front fût couronné d’un nimbe visible. Ses genoux se plièrent. Il se prosterna. Fausta dédaigna ce triomphe. Sans doute elle en avait obtenu de plus difficiles et de plus glorieux.

– Maurevert, dit-elle d’une voix calmée, je connais ta haine contre Pardaillan. Et maintenant que tu sais qui je suis, je te demande: veux-tu me donner la vie et la liberté de cet homme?…

Un vertige s’empara de Maurevert. Une sorte de rage le bouleversa à la pensée que Pardaillan pouvait lui échapper. Et l’idée lui vint de se ruer sur Fausta, de la frapper à mort…, mais derrière ces portes il devina les gardes qui veillaient, prêts à accourir au premier cri; derrière Fausta, il vit Guise menaçant, toute la Ligue lui demandant compte de ce meurtre. Il poussa un rauque soupir, et convenant aussitôt avec lui-même de remettre sa vengeance à plus tard, il murmura:

– Que votre volonté soit faite!…

Puis, comme si ses forces se fussent épuisées dans l’aveu de sa défaite, deux larmes brûlantes jaillirent de ses yeux. Il se releva en balbutiant:

– Ma haine était toute ma vie: je remets ma vie entre vos mains.

Fausta, alors, invita Maurevert à s’asseoir en lui désignant un siège, et son visage prit une expression d’enchanteresse douceur; mais Maurevert secoua la tête.

– Voilà un homme qui est sur le point de me haïr, songea Fausta; et il faut que dans un instant il soit prêt à m’adorer. Monsieur de Maurevert, reprit-elle tout haut, en me faisant le sacrifice volontaire de votre haine, vous avez acquis des droits à ma reconnaissance. Je veux vous offrir une récompense digne de vous.

De nouveau Maurevert secoua la tête.

– Tout d’abord, continua paisiblement Fausta, sachez que votre haine, malgré votre beau sacrifice, aura toute satisfaction.

– Que voulez-vous dire? s’écria ardemment Maurevert.

– Que Pardaillan mourra! Que non seulement je ne demanderai pas sa grâce au duc, mais encore que je vous le livrerai, à vous, dès qu’il sera pris!

Maurevert étouffa un rugissement. Un instant il douta si cette femme se jouait de lui. Mais non! Dans la souveraine et majestueuse gravité de cette figure, il put lire la plus hautaine sincérité.

– Madame, dit-il avec un accent de sincérité qui chez lui semblait rude et sauvage, tout à l’heure, je vous ai dit que je remettais ma vie entre vos mains; maintenant je vous dis que le jour où vous me demanderez cette vie, vous me trouverez prêt à mourir pour vous…

– Maintenant il est à moi! songea Fausta. On obtient donc tout de la haine et rien de l’amour des hommes! Monsieur de Maurevert, reprit-elle gravement, je retiens vos paroles et m’en souviendrai dans l’occasion.

– Que cette occasion vienne donc, et vous me verrez à l’œuvre. Mais, madame, ne vous semble-t-il pas qu’il est temps pour moi de rejoindre le duc de Guise?…

– Ne craignez rien. Aucune tentative ne sera commencée contre l’auberge de la Devinière sans mon ordre. Et c’est vous qui porterez l’ordre. Maintenant, écoutez-moi. Je vous connais comme je connais le sire de Maineville et M. de Bussi-Leclerc, comme je connais tout ce qui entoure le duc de Guise. Je sais que vous êtes pauvre. Je sais que le duc compte assez sur votre fidélité, pour ne vous réserver que des emplois subalternes. Depuis seize ans que vous lui appartenez, vous n’avez pas réussi à faire votre fortune près de lui… peut-être parce que vous étiez absorbé par une idée fixe. En somme, vous êtes un pauvre sire, tenu à l’écart par les orgueilleux gentilshommes de Guise et vous n’avez guère d’espoir, même si Guise devient roi, surtout s’il devient roi, car plus l’homme monte haut, plus il oublie ceux qui lui ont servi de marche-pied, vous n’avez pas d’espoir, dis-je, de vous élever au-dessus de la basse condition d’un brave à qui on confie un poignard, mais qu’on a tout intérêt à laisser dans l’ombre.

– Madame, balbutia Maurevert humilié, flagellé par ces paroles d’une impitoyable vérité.

– Me suis-je trompée?… ou plutôt ai-je été trompée?…

– Non! Tout ce que vous dites n’est que trop vrai!…

– Voulez-vous devenir riche d’un seul coup? Voulez-vous acquérir fois l’argent et la haute situation à laquelle votre esprit libre peut prétendre?… Cent mille livres vous sont assurées dès demain si vous m’obéissez; et, dans l’avenir, un emploi important à la cour de France, quelque chose, par exemple, comme la capitainerie générale des gardes.

– Que faut-il faire? palpita Maurevert ébloui, subjugué…

– Vous le saurez ce soir. Soyez ici à onze heures. Je vous exposerai alors ce que j’attends de vous. Maintenant vous pouvez aller rejoindre le duc. Voici mes ordres en ce qui concerne votre ennemi… Pardaillan: le prendre vivant et le conduire à la Bastille Saint-Antoine. Ajoutez que je veux être prévenue dès que l’homme sera capturé.

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