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XVI LA VISION DE JACQUES CLÉMENT

Les nécessités de notre récit nous ramènent dans Paris, à l’extrémité de la Cité, dans le palais de la princesse Fausta. En cette élégante petite salle où déjà nous avons vu la Fausta aux prises avec le génie du mal souffler d’abord au duc de Guise une pensée de meurtre, puis essayer d’entraîner Pardaillan dans l’orbite de feu qu’elle parcourt comme un météore, là, disons-nous, elle parle cette fois à une femme.

Et cette femme que nous avons entrevue dans la scène d’orgie que nous avons dû décrire, c’est justement Claudine de Beauvilliers, l’abbesse des bénédictines de Montmartre. L’entretien tirait sans doute à sa fin, car Claudine était debout, prête à se retirer.

– Ainsi, disait Fausta comme pour résumer ce qui venait d’être dit, la petite chanteuse?

– En parfaite sûreté parmi les filles de ma maison. Et bien fin, madame, qui l’irait là découvrir. Elle est d’ailleurs gardée à vue par ce Belgodère.

– N’importe… Veillez. Vous me répondez de cette petite sur votre vie?

– Sur ma vie, j’en réponds, madame… Mais il me reste à savoir ce que je dois en faire… il m’a semblé entrevoir… que vous désiriez…

– Parlez clairement, dit Fausta impérieuse. Voyons, qu’avez-vous entrevu?

– Que vous avez condamné cette Violetta à mourir, madame.

– Elle est jugée. L’exécution n’est que retardée.

– Oui!… Mais ce n’est pas tout, reprit Claudine de Beauvilliers après un silence, il m’a semblé que si cette exécution était retardée, c’est que la petite Violetta ne devait pas seulement mourir… et qu’avant la mort… elle devait…

Claudine de Beauvilliers s’arrêta.

– Avant qu’elle ne meure du corps, dit gravement Fausta, je veux qu’elle meure de l’âme. Voilà ma pensée. Et voilà ce que vous n’osez dire parce que la faiblesse de votre esprit vous montre une faute où il n’y a qu’une nécessité; que cette vierge devienne une fille impure. Qu’elle soit la plus vile des malheureuses qui, là-haut, ne pouvant plus vivre de prières, vivent de leurs corps. Voilà mes ordres…

L’abbesse des bénédictines s’inclina, comme courbée par cette voix glaciale.

– Quand cela sera, reprit Fausta, vous me préviendrez. Allez.

Claudine de Beauvilliers fit une nouvelle révérence, presque un agenouillement, puis se retira.

– Elles n’osent pas parler, murmura Fausta quand elle fut seule, et elles osent le reste! Moi, vierge, qu’aucune pensée d’amour n’a jamais troublée, je sais dire ce qu’il faut, et j’emploie les mots nécessaires…

Elle s’arrêta court. Son visage pâlit soudain. Et son sein se souleva. Un instant, son regard éperdu demeura fixé sur une image qui, sans doute, flottait devant ses yeux… Il y eut dans l’esprit de cette femme une effroyable lutte qui se traduisit par les convulsions qui soudain ravagèrent cette figure d’habitude immuable:

– Ah! murmura-t-elle dans un souffle d’épouvante, est-il bien vrai que j’ignore encore le trouble d’amour auquel sont sujettes les autres femmes!… Quoi! Moi! Moi!… Oh! je m’arracherai plutôt le cœur!…

Et ses deux mains, ses mains admirables qui semblaient taillées dans le marbre le plus pur, par un sculpteur de génie, se posèrent sur son sein avec une rudesse violente; ses ongles acérés menacèrent sa propre poitrine, comme si vraiment elle eût été prête à s’arracher le cœur…

Peu à peu, elle s’apaisa. Cette physionomie reprit la majesté sereine qui la faisait si absolument remarquable. Lorsque Fausta se fut calmée, elle appela et donna un ordre à la servante qui se présenta.

Quelques instants plus tard, une jolie femme, légère, gracieuse, vive dans ses gestes et ses mouvements, entra souriante; et elle était si légère dans sa marche qu’il fallait y regarder à deux fois avant de s’apercevoir qu’elle boitait quelque peu. Celle qui venait d’entrer dans le boudoir de Fausta était Marie de Lorraine, duchesse de Montpensier, sœur du duc de Guise, du duc de Mayenne et du cardinal de Guise.

– Quelles nouvelles? demanda Fausta avec un sourire où il y avait peut-être une expression amicale qui ne lui était pas habituelle.

– Bonnes et mauvaises…

– Voyons d’abord les mauvaises…

– Parce qu’elles sont les plus redoutables?

– Non, parce qu’elles sont généralement plus importantes…

– Eh bien, mon frère…

– Ah! c’est le duc de Guise que concernent les mauvaises nouvelles?

– Oui, ma reine… Là, il y a échec sur toute la ligne. D’abord Henri se réconcilie avec Catherine de Clèves, et ensuite il est plus que jamais épris de la petite chanteuse, surtout depuis sa disparition…

Fausta tressaillit. Et la duchesse de Montpensier put se rendre compte qu’elle venait en effet de lui porter un coup dur.

– Racontez, dit la princesse d’un ton bref.

– Eh bien, voici. Tout d’abord, sachez que mon frère a eu une entrevue avec la vieille reine.

– Je sais. Passez.

– Mais savez-vous aussi ce qui s’est passé dans cette entrevue? Eh bien! la Médicis s’est soumise!

– Vraiment! dit Fausta sur un ton singulier.

– Je le tiens d’Henri lui-même.

– En sorte que voilà levé l’obstacle le plus redouté par le duc. Rien ne l’empêche donc de pousser sa victoire?

– Oui. Et la preuve, madame, c’est qu’il veut s’emparer au plus tôt de la personne du roi.

– Vous êtes sûre que Guise va déployer une telle énergie?

S’il y avait de l’ironie dans cette question, cette ironie était du moins si bien dissimulée que la duchesse de Montpensier n’en eut pas la perception. Elle répondit donc:

– Tout à fait sûre, madame. Mon frère m’a exposé son plan qui est admirable: feindre une soumission momentanée, aller trouver Valois sous prétexte de discussion et d’états généraux à assembler: y aller d’ailleurs avec des forces… nos plus intrépides ligueurs seront de la partie… J’en serai aussi, madame. Alors, on s’emparera de Valois, et… tout simplement, on l’enfermera en quelque bon couvent… non sans l’avoir tonsuré un peu.

Marie de Montpensier éclata d’un joli rire clair. Fausta demeura grave.

– C’est vraiment admirable, dit-elle simplement.

– Oh! vous verrez, madame, continua follement la jolie duchesse, ce sera une haute comédie. Savez-vous qui tonsurera Valois?… Moi, madame, moi-même!… J’ai déjà les ciseaux!

Et Marie de Montpensier agita dans un geste de menace les ciseaux d’or qu’elle portait suspendus à une chaînette.

– Vous en voulez donc bien au roi? demanda Fausta.

– Au roi?… Quel roi!… Vous voulez dire à frère Henri, madame?… Oui, je lui en veux!… N’a-t-il pas eu l’audace de me conseiller devant toute la cour de me faire faire un soulier plus haut que l’autre! Le misérable! J’en ai pleuré de rage. J’entends encore le ricanement des mignons!

Et une larme pointa, en effet, aux yeux de la duchesse.

– Comme si je boitais! reprit-elle. Voyez, madame, est-ce que je boite? ajouta-t-elle en faisant quelques pas rapides et légers.

– Non, ma mignonne, vous ne boitez pas. Et il faut avoir l’âme perverse d’un Hérodes pour soutenir une telle monstruosité…

– N’est-ce pas?…

Ce que ne disait pas la duchesse de Montpensier, ce que savait très probablement Fausta, ce que racontait en tout cas la chronique scandaleuse de cette époque où le scandale s’épanouissait en floraisons touffues, c’est que la belle duchesse avait eu un caprice pour Henri III; que ce caprice, étourdie comme elle était, elle n’avait pu le dissimuler; et qu’Henri III l’avait assez rudement repoussée.

– C’est donc entendu, reprit Fausta, c’est vous qui allez affliger à Henri de Valois…

– La tonsure! s’écria la duchesse consolée.

– Oui. Est-ce là la bonne nouvelle que vous m’apportez?…

– Non, madame, et puisqu’il faut vous dire tout de suite, sachez que ma mère est à Paris.

– La duchesse de Nemours est à Paris! murmura Fausta soudain intéressée.

– Oui. Et je l’ai gagnée à votre cause!… Ma mère vient de Rome où elle a vu Sixte, il y a deux mois. Elle a eu un long entretien avec celui que les cardinaux rebelles persistent à appeler encore le pape.

– Et alors? demanda Fausta qui suivait avec une profonde attention.

– Alors… ma mère est revenue avec la conviction que Sixte est un dangereux hypocrite décidé à ne travailler que pour lui-même. La voyant dans ces dispositions, je lui ai parlé de ce conclave secret où les plus ardents et les plus généreux des cardinaux se sont réunis pour choisir un nouveau chef… en sorte que l’Église romaine ferait exactement ce que nous voulons faire avec Henri de Valois… Et elle a accueilli l’idée de ce nouveau pape, du moment qu’il était tout acquis aux intérêts de notre maison.

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