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XXXI LES FOURCAUDES

Violetta fut jetée dans la litière par Belgodère qui y monta alors. Fausta se remit en selle. Sur un signe qu’elle fit, les quatre cavaliers entourèrent la litière. Quant à elle, elle se mit en avant, et toute la petite troupe commença à descendre dans la nuit. Bientôt, ils furent sur Paris.

Fausta gagna la rue Saint-Antoine et se dirigea droit sur la Bastille. La litière s’arrêta devant la porte qui faisait face à la rue Saint-Antoine. Fausta prononça un mot et l’un des cavaliers de l’escorte embouchant un cor jeta dans la nuit un triple appel qui résonna, lugubre, dans le grand silence du quartier endormi. Quelques minutes se passèrent. Puis on vit des lumières de lanternes de l’autre côté du fossé, les chaînes du pont-levis grincèrent, le tablier s’abattit; la litière passa, s’engouffra sous une voûte noire, et s’arrêta enfin dans une cour étroite.

– Le gouverneur! demanda Fausta au sergent d’armes.

– Si vous voulez me suivre, je vais vous conduire à lui, dit le sergent.

Fausta mit pied à terre et désigna la litière:

– Il y a là une prisonnière. Si elle s’échappe, tu seras pendu à l’aube, sans procès.

Le sergent sourit. Il donna un ordre à deux geôliers qui l’accompagnaient. Quelques minutes plus tard, Violetta était enfermée dans un cachot…

Belgodère et l’escorte restèrent dans la cour, près de la litière. Fausta suivit le sergent que précédait un homme portant un falot. Ils montèrent un escalier. Dans un couloir, un homme accourait, achevant de s’habiller en hâte.

– Voici M. le gouverneur, dit le sergent.

– J’ai entendu le signal du cor, fit Bussi-Leclerc en cherchant à dévisager Fausta, et comme après Mgr le duc de Guise, il n’y a qu’une personne au monde qui connaisse le signal…

– Cette personne, c’est moi, dit Fausta impérieusement. Entrons chez vous, monsieur de Bussi, nous avons à causer.

– Je suis à vos ordres, madame! dit Bussi-Leclerc en reconnaissant une femme dans ce jeune cavalier qui lui parlait avec tant d’autorité.

Bussi-Leclerc se mit à précéder Fausta jusqu’à son appartement où il la fit entrer.

– Monsieur, dit Fausta, on vous a prévenu aujourd’hui ou dans la soirée, que je vous viendrais voir pour affaire d’importance…

– Madame, dit Bussi-Leclerc en dévisageant Fausta, on m’a prévenu qu’un messager de Mgr le duc m’apporterait cette nuit des ordres. Mais j’étais loin de me douter que le porteur d’ordres serait l’adorable messagère dont la présence enchante ces tristes lieux.

Bussi frisa sa moustache et se campa pour attendre la réponse à sa galanterie. Un fugitif sourire de mépris crispa la lèvre de Fausta.

– Vous avez ici, dit-elle, deux prisonnières qu’on appelle les Fourcaudes?

– Oui, madame, dit le soudard étonné que son compliment n’eût pas produit plus d’effet.

– Ces prisonnières doivent être livrées à la justice du peuple?

– Dès demain matin, madame… Chose promise, chose due. Nous tenons parole, nous autres. Le peuple veut pendre et brûler les Fourcaudes. Il les pendra et les brûlera.

Bussi-Leclerc se redressa de toute sa hauteur, espérant cette fois avoir produit un effet de terreur, puisque la galanterie lui avait si peu réussi.

– L’une des deux Fourcaudes, dit Fausta, sera pendue et brûlée. Quant à l’autre, vous allez la remettre en liberté.

– Oh! oh! ceci est impossible, madame, s’écria Bussi-Leclerc en sursautant. J’ai promis au peuple deux hérétiques à pendre, il les aura. Jamais Bussi-Leclerc n’a manqué à sa parole.

– Vous tiendrez parole, messire Leclerc. Comment s’appellent les condamnées? Et quel est leur âge?

– L’aînée, Madeleine; elle a vingt ans environ; la cadette, Jeanne; elle paraît seize ans.

– C’est celle-ci que vous allez relâcher. Madeleine sera livrée. Il y a grâce pour Jeanne.

– S’il y a grâce pour l’une des condamnées, comment pourrai-je livrer les deux hérétiques?…

– Ne vous en inquiétez pas. L’essentiel est que Jeanne Fourcaud est graciée.

– Et qui lui fait grâce?

– Moi.

– Vous, madame! dit Bussi-Leclerc stupéfait du ton d’autorité de cette inconnue. Et qui êtes-vous?… Vous êtes, il est vrai entrée ici grâce à un signal que seuls connaissent les plus intimes de Monseigneur. Mais ce n’est pas une raison suffisante…

– Lisez donc ceci! interrompit Fausta en tendant un papier à Bussi-Leclerc, qui étonné le prit, s’approcha d’un flambeau et le lut. Le papier portait la signature et le sceau du duc de Guise. Il contenait ces lignes:

«Ordre à tous nos officiers de tout rang, en quelque lieu et quelque occasion que ce soit, sous peine de la vie, d’obéir à la princesse Fausta, porteuse des présentes.»

– La princesse Fausta! murmura sourdement Bussi-Leclerc.

Il jeta un regard d’ardente curiosité sur Fausta et, s’inclinant très bas, lui rendit le parchemin en disant:

– J’obéis, madame.

– Bien. Conduisez-moi donc auprès des Fourcaudes, ou plutôt auprès de la plus jeune.

Sans dire un mot, Bussi-Leclerc, de plus en plus étonné, s’empressa de prendre un flambeau et se mit à précéder sa visiteuse. Dans le couloir, il retrouva le sergent et lui dit quelques mots à voix basse. Le sergent s’inclina et prit les devants en courant.

Bussi-Leclerc, toujours suivi de Fausta, descendit un escalier, et parvint dans la cour où attendaient la litière et les quatre cavaliers d’escorte. Là, on trouva deux geôliers prévenus par le sergent. Tout ce monde regardait avec étonnement le gouverneur qui marchait devant l’inconnue, un flambeau à la main, comme s’il eût escorté une reine. Fausta aperçut le sergent et lui dit:

– Va me chercher ma prisonnière…

Quelques minutes plus tard, Violetta apparaissait entre deux soldats qui la tenaient chacun par un bras. Elle frissonnait d’épouvante, mais n’opposait aucune résistance. Elle sentait qu’en vain elle se fût débattue…

– Marchez! dit alors Fausta à Bussi-Leclerc.

Il se dirigea vers une porte basse, accompagné des deux porte-clefs. Derrière eux venait Violetta, éperdue. Puis venait Fausta qui ne la perdait pas de vue et souriait, pareille à l’ange de la mort. Le sergent fermait la marche. On descendit un escalier tournant qui s’enfonçait dans le sol comme une vis qui eût déchiré les entrailles de la terre: vis rouillée par le temps, escalier moisi aux murs brillants de salpêtre.

Les geôliers s’arrêtèrent devant une porte dont ils tirèrent les verrous. Fausta fit un signe. Tout le monde s’arrêta. Elle entra seule, après avoir pris le flambeau des mains de Bussi-Leclerc. Le cachet était étroit. Ses voûtes surbaissées semblaient peser d’un poids énorme sur les épaules. Dans un angle, accroupie sur le sol, une jeune fille aux traits amaigris, toute jeune, presque une enfant, se leva lorsque la porte s’ouvrit. Son front était calme. Ses yeux brillaient d’un feu surhumain. Elle était belle malgré sa pâleur, et dans son attitude il y avait une sorte de défi. Cette jeune fille, c’était Jeanne Fourcaud.

– Vient-on me chercher pour le supplice? dit-elle. Je suis prête.

– Jeanne Fourcaud, dit Fausta, vous ne serez pas suppliciée. Vous vivrez. Non seulement vous vivrez, mais vous serez libre.

– Oh! murmura l’infortunée, qui me parle ainsi d’une voix si douce? Quel est l’ange qui se penche sur moi pour la première fois depuis que je suis dans cet enfer?…

– Jeanne Fourcaud reprit Fausta, je ne suis pas un ange. Je suis simplement une femme qui a eu pitié de vos malheurs et qui a employé toute son influence à vous sauver…

– Le roi me fait donc grâce de la vie? haleta la pauvre créature.

– De la vie et de la liberté. Vous êtes libre. Venez!…

Jeanne allait s’élancer, emportée par cette ivresse spéciale du condamné devant qui on prononce ce mot magique: liberté… Soudain elle s’arrêta, plus pâle. Une pensée terrible venait de lui traverser l’esprit.

– Et Madeleine! râla-t-elle, ma sœur!… Oh! madame… libre avec elle… oui!… nous pleurerons ensemble notre malheureux père… Mais sortir d’ici… seule… sans Madeleine… non!… J’aime mieux mourir!…

Fausta eut une imperceptible crispation de contrariété devant cet obstacle imprévu. Mais elle sourit tout à coup, et plus douce encore, plus caressante et plus pitoyable:

– Votre sœur Madeleine est sauvée comme vous. Elle est déjà hors de cette triste prison et vous attend. Venez…

Jeanne Fourcaud s’abattit sur ses genoux, saisit les mains de Fausta et les couvrit de baisers. Une violente réaction se faisait en elle. Forte et calme devant la mort à laquelle elle se préparait, la brusque nouvelle de la vie et de la liberté assurées la terrassait. Elle sanglotait, elle laissait déborder sa reconnaissance avec ses larmes… La Fausta, d’un geste d’impatience, la releva, l’entraîna presque défaillante de bonheur. Dans le couloir, elle remit Jeanne Fourcaud aux mains d’un geôlier et dit:

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