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– Conduisez-la jusqu’à la litière…

Le geôlier obéit sur un signe de Bussi-Leclerc et entraîna la prisonnière graciée. Alors Fausta se tourna vers l’autre geôlier et lui désignant Violetta:

– Enfermez cette créature…

Violetta devant la gueule ouverte du cachot eut un recul instinctif, et une sorte de gémissement râla sur ses lèvres. Mais la main du geôlier s’abattit sur elle, et l’instant d’après, la porte se refermait lourdement, les verrous étaient poussés… D’un geste, alors, Fausta renvoya le geôlier et les deux soldats qui remontèrent l’escalier. Elle demeura seule avec Bussi-Leclerc. Un livide sourire plissa ses lèvres.

– Pardaillan, murmura-t-elle au fond d’elle-même, oseras-tu chercher ton amante jusque dans cette tombe?…

Bussi-Leclerc la contemplait avec un sentiment de terreur mêlée d’étonnement. Peu à peu les bouillonnements qui faisaient palpiter le cœur de Fausta s’apaisèrent. Froidement, elle demanda à Bussi:

– Vous ne comprenez pas?

– J’attends que vous m’expliquiez…

– Où est Madeleine Fourcaud?

Bussi-Leclerc étendit le bras vers la porte d’un cachot voisin et dit:

– Là!…

Fausta désigna le cachot où Violetta venait d’être jetée, et elle dit:

– Et là se trouve Jeanne Fourcaud!…

Bussi-Leclerc, tout cuirassé qu’il fût contre les émotions sentimentales, ne put s’empêcher de frémir, devinant quelque formidable aventure de vengeance dans la substitution qui avait été exécutée.

– Quoi! balbutia-t-il, cette jeune fille que vous avez amenée…

– Elle s’appelle désormais Jeanne Fourcaud… Vous devez demain matin livrer les Fourcaudes à la justice du peuple. Vous les livrerez!… Vous voyez bien, messire Leclerc, que vous ne manquerez pas à votre parole!…

Lorsque Bussi-Leclerc et Fausta furent remontés à la surface de la terre, dans cette petite cour étroite et noire qui semblait un pur et large horizon à ceux qui avaient vu les cachots souterrains, Jeanne Fourcaud fut placée dans la litière, presque évanouie par les premières bouffées d’air. Belgodère s’approcha de Fausta.

– Tu veux savoir ce qu’est devenue la fille de Claude? demanda-t-elle.

– Rien ne vous échappe, madame, dit le bohémien courbé. Violetta, vous le savez, c’est mon espoir. Pardonnez-moi donc si j’ose vous interroger. Voilà huit ans que Violetta m’appartient. Je la gardais jalousement pour… ce que vous savez. Enfin bref, au lieu de la vendre à Mgr le duc, il se trouve que c’est à vous que je l’ai vendue… Je sens, je devine que l’heure est venue où je pourrai parler à Claude…

– Mais sais-tu seulement où il est?

– Non, mais je le trouverai, n’ayez crainte. Claude et moi nous nous sommes toujours retrouvés.

Belgodère se redressa dans la nuit. Ses yeux brillèrent d’un tel éclat de haine qu’ils parurent jeter dans les ténèbres des lueurs phosphorescentes.

– Voyons, reprit alors Fausta pensive, tu m’as toujours promis de me raconter ton histoire: le moment est venu. Voici ce que tu vas faire; tu vas reconduire la litière à l’abbaye; mes hommes t’escorteront, puis te ramèneront à mon palais. Tu mettras la nouvelle prisonnière en lieu sûr. Et quand tu m’auras dit pourquoi tu hais Violetta, je te dirai, moi, ce qu’elle va devenir.

– Oh! je suis tranquille, dit Belgodère d’une voix sombre. Je sais qu’elle est en bonnes mains.

– Monsieur le gouverneur, dit tout haut Fausta en se tournant vers Bussi-Leclerc, à quelle heure aura lieu le spectacle que vous avez promis aux Parisiens?…

– Mais à la pointe du jour, je pense.

– C’est trop tôt. Je veux en être. Il me semble que dix heures du matin, ce sera une heure convenable…

– À vos ordres. Dix heures, soit…

– Et où dressera-t-on les tréteaux? reprit Fausta.

– La place de Grève, si ce lieu vous convient, me paraît le meilleur endroit.

– La place de Grève me convient!

Fausta remonta alors à cheval. Belgodère prit place près de Jeanne Fourcaud. L’escorte s’ébranla. Une fois hors de la Bastille, Fausta donna un ordre à ses cavaliers.

– Et vous, signora, dit celui auquel elle s’était adressée, vous rentrerez donc sans garde?

– Moi, dit Fausta en levant le doigt vers le ciel étoilé, moi, comte, je suis gardée par celui qui m’a envoyée sur la terre. Allez!…

La litière et l’escorte se dirigèrent alors par le chemin qu’elles avaient accompli en sens inverse. Fausta seule s’en alla vers la Cité. Et soit qu’elle crût réellement à ce qu’elle venait de dire, soit qu’elle eût une bravoure extraordinaire pour une femme, elle n’eut pas un instant de crainte en traversant ces ruelles noires dont chacun était un coupe-gorge et où les plus hardis seigneurs ne se hasardaient que solidement armés et bien accompagnés.

Belgodère, parvenu à l’abbaye de Montmartre, conduisit sa nouvelle prisonnière, c’est-à-dire Jeanne Fourcaud, dans la masure où quelques heures auparavant était enfermée Violetta. Dans la pièce sans fenêtre, à la lumière d’un flambeau, il eut la curiosité d’examiner la remplaçante de Violetta. Elle avait des cheveux noirs frissonnants et de larges yeux noirs d’un éclat mystérieux, comme on en voit aux filles d’Orient. Belgodère, surpris de cette beauté, qui ressemblait si peu au type de beauté parisienne, secoua la tête et, franchissant la porte, la referma à double tour. Jeanne tressaillit. Pourquoi l’enfermait-on?…

– Qu’est-ce que cette fille que je dois maintenant surveiller? Du diable si je comprends quelque chose en cette affaire, et si je vois une lueur dans ces ténèbres… Croasse! Que veut la signora Fausta? Où me conduit-elle?… Bah! Je vais le savoir tout à l’heure sans doute… Croasse!… Elle m’a dit: «Raconte-moi ton histoire et je te dirai ce que va devenir Violetta…» J’y vais, par l’enfer! Le bon moment approche… Croasse veillera sur la petite en mon absence… Croasse!…

À ce troisième appel, Croasse ne répondit pas plus qu’aux deux premiers.

– Tu dors, gronda Belgodère, tu as l’audace de dormir pendant que je travaille! Attends un peu, misérable gibier de sac et de corde, attends, maître dormeur enragé, je viens, va, ne te dérange pas…

En grommelant ces aménités, le bohémien avait saisi le fameux gourdin avec lequel Croasse avait fait si ample connaissance, et sans hâte montait l’échelle qui aboutissait à la soupente. Là, il eut une exclamation de rage: pas de Croasse! Belgodère, par acquit de conscience, asséna quelques coups dans le foin, et bien convaincu que Croasse avait déménagé, redescendit, chercha partout, parcourut l’enclos et dut enfin se rendre à l’évidence: Croasse avait disparu, Belgodère ne s’en inquiéta pas outre mesure. Il se reprocha seulement de n’avoir pas songé à enfermer son ancien «hercule» et s’avoua, car il était juste au fond, que Croasse, après la formidable raclée, avait dû éprouver un légitime besoin de s’éloigner le plus possible de la trique en question. Il réfléchit que d’ailleurs, cette nouvelle prisonnière dont il ne savait pas le nom et qui lui importait médiocrement ne pourrait s’évader de sitôt, et sans prévenir l’abbesse, alla retrouver les cavaliers de Fausta qui l’attendaient pour le ramener au palais de la Cité. Une heure plus tard, Belgodère entrait dans la mystérieuse maison où le lendemain soir de son arrivée à Paris, il avait conduit Violetta, croyant la livrer au duc de Guise.

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