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– Messieurs, dit-il d’une voix sourde, que faites-vous ici?…

– Monseigneur, répondit Bussi-Leclerc d’une voix très calme, nous sommes ici pour une double cérémonie: un mariage…

– Un mariage! s’exclama Charles qui commençait à sentir une sueur froide pointer à la racine de ses cheveux. Quel mariage?… Messieurs, prenez garde!

Il se sentait envahi par une folie; son étreinte devenait convulsive.

– Quel mariage? gronda-t-il avec un rauque soupir.

– Mais, fit à son tour Maineville, le mariage de la fille du prince Farnèse, nommée Violetta.

Violetta, mourante d’angoisse, jeta un faible gémissement.

– Oh! rugit Charles, ceci est insensé!… Maineville! Leclerc! que me voulez-vous? Prenez garde encore une fois!…

Il cherchait l’occasion de bondir et de frapper. Doucement de son bras gauche, il essayait de se dégager de l’étreinte de Violetta… Il croyait rêver… Maineville et Bussi-Leclerc, dans l’église, au lieu de Pardaillan et de Farnèse!… Seulement le beau rêve de tout à l’heure devenait un cauchemar.

– Monseigneur, dit alors Bussi-Leclerc, toujours avec le même calme, ce que nous faisons, vous allez le savoir. Nous sommes ici pour une double cérémonie – un mariage, vous ai-je dit, et si vous m’aviez laissé achever, j’aurais ajouté: une arrestation… Monseigneur, veuillez me remettre votre épée; au nom du lieutenant général de la Sainte-Ligue, je vous arrête! Que voulez-vous, chacun son tour, et ceci est notre revanche du moulin de Saint-Roch…

Violetta jeta une déchirante clameur. Charles éclata de rire, et, soulevant sa fiancée dans ses bras:

– Le premier de vous qui me touche est mort! Pas un pas! pas un geste!… ou malheur à vous!…

En parlant… en grondant ces choses, ivre de désespoir, ses forces décuplées, livide, les yeux sanglants, il reculait, Violetta dans ses bras; il semblait vraiment que son regard eût pétrifié les trois, car ils ne bougeaient pas. Il reculait et déjà une lueur d’espoir se levait en lui.

– Monseigneur, dit alors Maineville, toute résistance serait inutile. Retournez-vous, et voyez!…

Charles, d’un geste machinal et furieux, se retourna en effet. Et une imprécation terrible jaillit de sa gorge; devant lui, un large demi-cercle d’épées nues s’allongeait à droite et à gauche comme une pince vivante armée d’aiguillons d’acier… Au même instant, les deux branches de cette pince se mirent en mouvement, et Charles se trouva enfermé dans un cercle…

– Malédiction! hurla Charles d’Angoulême.

Violetta, dans ses bras, d’un geste rapide, saisit sa tête à deux mains et le baisa sur la bouche en murmurant:

– Mourons ensemble, mon cher seigneur…

En même temps, Violetta se laissa glisser sur les dalles et saisit le poignard de son fiancé. Charles, enivré par la violente sensation de ce baiser d’amour et de mort, emporté hors de la réalité par un souffle de folie, Charles, haletant de passion et d’angoisse, d’épouvante et d’horreur, jeta autour de lui un suprême regard qui, dans sa durée d’éclair, lui montra l’église pleine d’ombre. Maineville et Bussi-Leclerc, et l’inconnu masqué au pied de l’autel, et sur les marches le prêtre qui commençait à officier, et autour de lui, autour de Violetta, le cercle d’acier qui se resserrait… Et toute cette scène affolante se déroulait dans un silence tragique, où il n’entendait que son propre souffle…

Alors, il tira son épée, et dans cette seconde pareille au dernier spasme d’une agonie d’amour, ses yeux chargés de passion se rivèrent aux yeux de Violetta, et il balbutia:

– Mourons ensemble, ma chère âme…

Aussitôt il se rua, fonça droit devant lui, tenant toujours Violetta par la main, avec l’espérance insensée de pouvoir traverser ce cercle d’acier, et fuir… fuir!… Dans cet instant même, dix bras s’abattirent sur lui, dix autres sur Violetta; il eut la sensation qu’on lui arrachait la chair de sa chair et poussa un grand cri lugubre auquel répondit le cri désespéré de Violetta… De son épée, Charles frappait à coups terribles et hurlait:

– Attends-moi, chère âme!… Je suis à toi!…

L’épée se brisa; du tronçon il continua à frapper; autour de lui le sang giclait, des hommes tombaient; le tronçon d’épée lui fut arraché… plus loin, bien loin, il entendit encore le cri de Violetta, comme un appel. Des ongles, des dents, Charles, ensanglanté, déchiré, continua l’effroyable lutte. Cela dura une minute encore… et alors, il tomba sur ses genoux; sept, dix, quinze hommes se ruèrent sur lui… et il se sentit lié, soulevé, emporté hors de l’église et jeté dans un carrosse qui s’ébranla aussitôt…

Dans ce carrosse aux mantelets fermés, prison roulante qui le conduisait vers une autre prison, Charles demeura immobile, frappé de cette stupeur si voisine de la mort, qu’on remarque chez les condamnés. Il n’avait plus de pensée. La vie était suspendue.

Moins de trois minutes plus tard, le carrosse roula sur un pont-levis, puis sous une voûte, puis s’arrêta:

Le duc d’Angoulême était à la Bastille.

* * * * *

Dans l’église Saint-Paul, une scène atroce déroulait à ce moment ses péripéties qui confinaient d’une part à toute la douleur humaine, et de l’autre à la fantasmagorie d’un rêve.

En effet, Violetta arrachée des bras de Charles avait été entraînée jusqu’au pied de l’autel. Là, avons-nous dit, se trouvaient trois hommes; deux d’entre eux nous sont connus; c’étaient Maineville et Bussi-Leclerc. Le troisième se démasqua au moment où la jeune fille apparut près de lui, à demi-morte de désespoir et se soutenant à peine. Celui-là, c’était Maurevert.

Violetta jeta autour d’elle des yeux hagards. Et ce fut à ce moment que Maurevert saisit sa main et prononça:

– Merci, ma bien-aimée; merci, ma belle fiancée, d’être venue à l’heure. Tout est prêt pour notre mariage, et voici le prêtre qui va nous unir…

– Nous unir! balbutia Violetta. Vous!… Qui êtes-vous?… Oh! messieurs, messieurs! par grâce! dites-moi ce qu’on a fait de mon seigneur?…

– Violetta! dit Maurevert d’une voix ardente, quelle étrange folie vous saisit! Regardez-moi! Ne me reconnaissez-vous pas? Je suis votre fiancé! Je suis celui que tu aimes et qui t’aime!…

– Horreur! Oh! mais je deviens folle! folle comme la bohémienne au masque rouge!… Charles! Mon bien-aimé! À moi!… Oh! ils l’ont tué, puisqu’il ne répond pas!… Charles! Charles! mourons ensemble!…

Son bras se leva pour se frapper avec cette dague qu’elle avait prise aux mains de son fiancé; mais alors elle s’aperçut que l’arme lui avait été arrachée; sa main crispée retomba sur son front qu’elle étreignit; ses pensées entraînées dans un tourbillon de folie ne lui présentèrent plus que des images imprécises, et elle tomba sur ses deux genoux. Maurevert s’agenouilla près d’elle…

Alors le prêtre se tourna vers eux, prononçant les paroles sacramentelles, et ouvrant les bras pour une bénédiction… Et ce prêtre, Violetta en levant la tête dans un mouvement de spasme, ce prêtre, elle le vit… Et c’était un tout jeune prêtre aux yeux noirs qui brillaient avec des feux de diamants funèbres, et ce visage, il lui sembla qu’elle l’avait entrevu une fois…

Où? Mais où avait-elle vu cette figure qui achevait de détraquer son cerveau, cette vision d’épouvante, ce spectre sans pitié!… Le prêtre murmurait les formules… Et cette voix! oh! cette voix! Elle l’avait entendue! Mais quand? Dans quel abominable cauchemar!…

Et soudain, dans une fulgurante éclaircie, elle revit la terrible scène où elle avait retrouvé maître Claude, le soir où Belgodère l’avait entraînée dans une mystérieuse maison de la Cité, où on lui avait jeté un sac noir sur la tête, où elle s’était évanouie, où, en se réveillant, elle avait vu penché sur elle le visage de celui qu’elle appelait son père! Et Claude l’avait prise dans ses bras pour l’emporter!… Et les hommes armés d’arquebuses étaient entrés!… Et avec eux, une femme! Une femme sur qui ses yeux mourants ne s’étaient fixés qu’un instant! Une femme dont, pourtant, les traits de marbre demeuraient gravés dans son imagination!…

Ce prêtre, c’était elle!… C’était cette femme!… C’était Fausta qui célébrait le mariage de Maurevert et de Violetta!…

Une inexprimable horreur se glissa dans les veines de la jeune fille. Elle voulut se lever, et retomba lourdement sur ses genoux. Elle voulut arracher sa main à Maurevert, et elle sentit que cette main devenait inerte, sans forces. Elle voulut, dans un cri d’agonie, traduire le désespoir insensé qui la submergeait; et elle ne poussa qu’un soupir si faible, si douloureux, qu’il était peut-être le soupir d’une mourante…

Dans ce moment, elle perdit connaissance… Dans ce moment aussi le prêtre, étendant les bras, disait d’une voix grave:

– Allez. Au nom du Dieu vivant, pour jamais, vous êtes unis!…

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