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Ces bruits formidables de l’allégresse publique faisaient gémir doucement dans les bras de Mme de Hausac, sa gouvernante, le dauphin, le futur roi de France, dont les yeux, lorsqu’ils s’ouvriraient, devaient apercevoir deux couronnes au fond de son berceau. Tout à coup Votre Majesté poussa un cri perçant, et dame Péronne reparut à son chevet.

Les médecins dînaient dans une salle éloignée. Le palais, désert à force d’être envahi, n’avait plus ni consignes ni gardes. La sage-femme, après avoir examiné l’état de Votre Majesté, se récria, surprise, et, vous prenant en ses bras, éplorée, folle de douleur, envoya Laporte pour prévenir le roi que Sa Majesté la reine voulait le voir dans sa chambre. Laporte, vous le savez, madame, était un homme de sang-froid et d’esprit. Il n’approcha pas du roi en serviteur effrayé qui sent son importance, et veut effrayer aussi; d’ailleurs, ce n’était pas une nouvelle effrayante que celle qu’attendait le roi. Toujours est-il que Laporte parut, le sourire sur les lèvres, près de la chaise du roi et lui dit:

«- Sire, la reine est bien heureuse et le serait encore plus de voir Votre Majesté.»

Ce jour-là, Louis XIII eût donné sa couronne à un pauvre pour un Dieu gard! Gai, léger, vif, le roi sortit de table en disant, du ton que Henri IV eût pu prendre:

«- Messieurs, je vais voir ma femme.»

Il arriva chez vous, madame, au moment où dame Péronne lui tendait un second prince, beau et fort comme le premier, en lui disant: «Sire, Dieu ne veut pas que le royaume de France tombe en quenouille.

Le roi, dans son premier mouvement, sauta sur cet enfant et cria: «Merci, mon Dieu!»

La béguine s’arrêta en cet endroit, remarquant combien souffrait la reine. Anne d’Autriche, renversée dans son fauteuil, la tête penchée, les yeux fixes, écoutait sans entendre et ses lèvres s’agitaient convulsivement pour une prière à Dieu ou pour une imprécation contre cette femme.

– Ah! ne croyez pas que, s’il n’y a qu’un dauphin en France, s’écria la béguine, ne croyez pas que, si la reine a laissé cet enfant végéter loin du trône, ne croyez pas qu’elle fût une mauvaise mère. Oh! non… Il est des gens qui savent combien de larmes elle a versées; il est des gens qui ont pu compter les ardents baisers qu’elle donnait à la pauvre créature en échange de cette vie de misère et d’ombre à laquelle la raison d’État condamnait le frère jumeau de Louis XIV.

– Mon Dieu! mon Dieu! murmura faiblement la reine.

– On sait, continua vivement la béguine, que le roi, se voyant deux fils, tous deux égaux en âge, en prétentions, trembla pour le salut de la France, pour la tranquillité de son État. On sait que M. le cardinal de Richelieu, mandé à cet effet par Louis XIII, réfléchit plus d’une heure dans le cabinet de Sa Majesté, et prononça cette sentence: «Il y a un roi né pour succéder à Sa Majesté. Dieu en a fait naître un autre pour succéder à ce premier roi; mais, à présent, nous n’avons besoin que du premier-né; cachons le second à la France comme Dieu l’avait caché à ses parents eux-mêmes.» Un prince, c’est pour l’État la paix et la sécurité; deux compétiteurs, c’est la guerre civile et l’anarchie.

La reine se leva brusquement, pâle et les poings crispés.

– Vous en savez trop, dit-elle d’une voix sourde, puisque vous touchez aux secrets de l’État. Quant aux amis de qui vous tenez ce secret, ce sont des lâches, de faux amis. Vous êtes leur complice dans le crime qui s’accomplit aujourd’hui. Maintenant, à bas le masque, ou je vous fais arrêter par mon capitaine des gardes. Oh! ce secret ne me fait pas peur! Vous l’avez eu, vous me le rendrez! Il se glacera dans votre sein; ni ce secret ni votre vie ne vous appartiennent plus à partir de ce moment!

Anne d’Autriche, joignant le geste à la menace, fit deux pas vers la béguine.

– Apprenez, dit celle-ci, à connaître la fidélité, l’honneur, la discrétion de vos amis abandonnés.

Elle enleva soudain son masque.

– Mme de Chevreuse! s’écria la reine.

– La seule confidente du secret, avec Votre Majesté.

– Ah! murmura Anne d’Autriche, venez m’embrasser, duchesse. Hélas! c’est tuer ses amis, que se jouer ainsi avec leurs chagrins mortels.

Et la reine, appuyant sa tête sur l’épaule de la vieille duchesse, laissa échapper de ses yeux une source de larmes amères.

– Que vous êtes jeune encore! dit celle-ci d’une voix sourde. Vous pleurez!

Chapitre CLXXXIII – Deux amies

La reine regarda fièrement Mme de Chevreuse.

– Je crois, dit-elle, que vous avez prononcé le mot heureuse en parlant de moi. Jusqu’à présent, duchesse, j’avais cru impossible qu’une créature humaine pût se trouver moins heureuse que la reine de France.

– Madame, vous avez été, en effet, une mère de douleurs. Mais, à côté de ces misères illustres dont nous nous entretenions tout à l’heure, nous, vieilles amies, séparées par la méchanceté des hommes; à côté, dis-je, de ces infortunes royales, vous avez les joies peu sensibles, c’est vrai, mais fort enviées de ce monde.

– Lesquelles? dit amèrement Anne d’Autriche. Comment pouvez-vous prononcer le mot joie, duchesse, vous qui tout à l’heure reconnaissiez qu’il faut des remèdes à mon corps et à mon esprit?

Mme de Chevreuse se recueillit un moment.

– Que les rois sont loin des autres hommes! murmura-t-elle.

– Que voulez-vous dire?

– Je veux dire qu’ils sont tellement éloignés du vulgaire, qu’ils oublient pour les autres toutes les nécessités de la vie. Comme l’habitant de la montagne africaine qui, du sein de ses plateaux verdoyants rafraîchis par les ruisseaux de neige, ne comprend pas que l’habitant de la plaine meure de soif et de faim au milieu des terres calcinées par le soleil.

La reine rougit légèrement; elle venait de comprendre.

– Savez-vous, dit-elle, que c’est mal de nous avoir délaissée?

– Oh! madame, le roi a hérité, dit-on, la haine que me portait son père. Le roi me congédierait s’il me savait au Palais-Royal.

– Je ne dis pas que le roi soit bien disposé en votre faveur, duchesse, répliqua la reine: mais, moi, je pourrais… secrètement.

La duchesse laissa percer un sourire dédaigneux qui inquiéta son interlocutrice.

– Du reste, se hâta d’ajouter la reine, vous avez très bien fait de venir ici.

– Merci, madame!

– Ne fût-ce que pour nous donner cette joie de démentir le bruit de votre mort.

– On avait dit effectivement que j’étais morte?

– Partout.

– Mes enfants n’avaient pas pris le deuil, cependant.

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