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– Ah! vous savez, duchesse, la Cour voyage souvent; nous voyons peu MM. d’Albert et de Luynes, et bien des choses échappent dans les préoccupations au milieu desquelles nous vivons constamment.

– Votre Majesté n’eût pas dû croire au bruit de ma mort.

– Pourquoi pas? Hélas! nous sommes mortels; ne voyez-vous pas que moi, votre sœur cadette, comme nous disions autrefois, je penche déjà vers la sépulture?

– Votre Majesté, si elle avait cru que j’étais morte, devait s’étonner alors de n’avoir pas reçu de mes nouvelles.

– La mort surprend parfois bien vite, duchesse.

– Oh! Votre Majesté! Les âmes chargées de secrets comme celui dont nous parlions tout à l’heure ont toujours un besoin d’épanchement qu’il faut satisfaire d’avance. Au nombre des relais préparés pour l’éternité, on compte la mise en ordre de ses papiers.

La reine tressaillit.

– Votre Majesté, dit la duchesse, saura d’une façon certaine le jour de ma mort.

– Comment cela?

– Parce que Votre Majesté recevra le lendemain, sous une quadruple enveloppe, tout ce qui a échappé de nos petites correspondances si mystérieuses d’autrefois.

– Vous n’avez pas brûlé? s’écria Anne avec effroi.

– Oh! chère Majesté, répliqua la duchesse, les traîtres seuls brûlent une correspondance royale.

– Les traîtres?

– Oui, sans doute; ou plutôt ils font semblant de la brûler, la gardent ou la vendent.

– Mon Dieu!

– Les fidèles, au contraire, enfouissent précieusement de pareils trésors; puis, un jour, ils viennent trouver leur reine, et lui disent: «Madame, je vieillis, je me sens malade; il y a danger de mort pour moi, danger de révélation pour le secret de Votre Majesté; prenez donc ce papier dangereux et brûlez-le vous-même.»

– Un papier dangereux! Lequel?

– Quant à moi, je n’en ai qu’un, c’est vrai, mais il est bien dangereux.

– Oh! duchesse, dites, dites!

– C’est ce billet… daté du 2 août 1644, où vous me recommandiez d’aller à Noisy-le-Sec pour voir ce cher et malheureux enfant. Il y a cela de votre main, madame: «Cher malheureux enfant.»

Il se fit un silence profond à ce moment: la reine sondait l’abîme, Mme de Chevreuse tendait son piège.

– Oui, malheureux, bien malheureux! murmura Anne d’Autriche; quelle triste existence a-t-il menée, ce pauvre enfant, pour aboutir à une si cruelle fin!

– Il est mort? s’écria vivement la duchesse avec une curiosité dont la reine saisit avidement l’accent sincère.

– Mort de consomption, mort oublié, flétri, mort comme ces pauvres fleurs données par un amant et que la maîtresse laisse expirer dans un tiroir pour les cacher à tout le monde.

– Mort! répéta la duchesse avec un air de découragement qui eût bien réjoui la reine, s’il n’eût été tempéré par un mélange de doute. Mort à Noisy-le-Sec?

– Mais oui, dans les bras de son gouverneur, pauvre serviteur honnête, qui n’a pas survécu longtemps.

– Cela se conçoit: c’est si lourd à porter un deuil et un secret pareils.

La reine ne se donna pas la peine de relever l’ironie de cette réflexion. Mme de Chevreuse continua.

– Eh bien! madame, je m’informai, il y a quelques années, à Noisy-le-Sec même, du sort de cet enfant si malheureux. On m’apprit qu’il ne passait pas pour être mort, voilà pourquoi je ne m’étais pas affligée tout d’abord avec Votre Majesté. Oh! certes, si je l’eusse cru, jamais une allusion à ce déplorable événement ne fût venue réveiller les bien légitimes douleurs de Votre Majesté.

– Vous dites que l’enfant ne passait pas pour être mort à Noisy?

– Non, madame.

– Que disait-on de lui, alors?

– On disait… On se trompait sans doute.

– Dites toujours.

– On disait qu’un soir, vers 1645, une dame belle et majestueuse, ce qui se remarqua malgré le masque et la mante qui la cachaient, une dame de haute qualité, de très haute qualité sans doute, était venue dans un carrosse à l’embranchement de la route, la même, vous savez, où j’attendais des nouvelles du jeune prince, quand Votre Majesté daignait m’y envoyer.

– Eh bien?

– Et que le gouverneur avait mené l’enfant à cette dame.

– Après?

– Le lendemain, gouverneur et enfant avaient quitté le pays.

– Vous voyez bien! il y a du vrai là-dedans, puisque, effectivement, le pauvre enfant mourut d’un de ces coups de foudre qui font que, jusqu’à sept ans, au dire des médecins, la vie des enfants tient à un fil.

– Oh! ce que dit Votre Majesté est la vérité; nul ne le sait mieux que vous, madame; nul ne le croit plus que moi. Mais admirez la bizarrerie…

«Qu’est-ce encore?» pensa la reine.

– La personne qui m’avait rapporté ces détails, qui avait été s’informer de la santé de l’enfant, cette personne…

– Vous aviez confié un pareil soin à quelqu’un? Oh! duchesse!

– Quelqu’un de muet comme Votre Majesté, comme moi-même; mettons que c’est moi-même, madame. Ce quelqu’un, dis-je, passant quelque temps après en Touraine…

– En Touraine?

– Reconnut le gouverneur et l’enfant, pardon! crut les reconnaître, vivants tous deux, gais et heureux et florissants tous deux, l’un dans sa verte vieillesse, l’autre dans sa jeunesse en fleur! Jugez, d’après cela, ce que c’est que les bruits qui courent, ayez donc foi, après cela, à quoi que ce soit de ce qui se passe en ce monde. Mais je fatigue Votre Majesté. Oh! ce n’est pas mon intention, et je prendrai congé d’elle après lui avoir renouvelé l’assurance de mon respectueux dévouement.

– Arrêtez, duchesse; causons un peu de vous.

– De moi? Oh! madame, n’abaissez pas vos regards jusque-là.

– Pourquoi donc? N’êtes-vous pas ma plus ancienne amie? Est-ce que vous m’en voulez, duchesse?

– Moi! mon Dieu, pour quel motif? Serais-je venue auprès de Votre Majesté, si j’avais sujet de lui en vouloir?

– Duchesse, les ans nous gagnent; il faut nous serrer contre la mort qui menace.

– Madame, vous me comblez avec ces douces paroles.

– Nulle ne m’a jamais aimée, servie comme vous, duchesse.

– Votre Majesté s’en souvient?

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