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– Bien, j’articulerai le mot médaille, et ils comprendront s’ils veulent.

– Oh! ils comprendront. Votre Majesté pourra aussi glisser quelques mots de certains pamphlets qui courent.

– Jamais! Les pamphlets salissent ceux qui les écrivent, bien plus que ceux contre lesquels on les a écrits. Monsieur Colbert, je vous remercie, vous pouvez vous retirer.

– Sire!

– Adieu! N’oubliez pas l’heure et soyez là.

– Sire, j’attends la liste de Votre Majesté.

– C’est vrai.

Le roi se mit à rêver; il ne pensait pas du tout à cette liste. La pendule sonnait onze heures et demie.

On voyait sur le visage du prince le combat terrible de l’orgueil et de l’amour.

La conversation politique avait éteint beaucoup d’irritation chez Louis, et le visage pâle, altéré de La Vallière parlait à son imagination un bien autre langage que les médailles hollandaises ou les pamphlets bataves.

Il demeura dix minutes à se demander s’il fallait ou s’il ne fallait pas retourner chez La Vallière; mais, Colbert ayant insisté respectueusement pour avoir la liste, le roi rougit de penser à l’amour quand les affaires commandaient.

Il dicta donc:

– La reine-mère… la reine… Madame… Mme de Motteville… Mlle de Châtillon… Mme de Navailles. Et en hommes: Monsieur… M. le prince… M. de Grammont… M. de Manicamp… M. de Saint-Aignan… et les officiers de service.

– Les ministres? dit Colbert.

– Cela va sans dire, et les secrétaires.

– Sire, je vais tout préparer: les ordres seront à domicile demain.

– Dites aujourd’hui, répliqua tristement Louis.

Minuit sonnait.

C’était l’heure où se mourait de chagrin, de souffrances, la pauvre La Vallière.

Le service du roi entra pour son coucher. La reine attendait depuis une heure.

Louis passa chez elle avec un soupir; mais, tout en soupirant, il se félicitait de son courage. Il s’applaudissait d’être ferme en amour comme en politique.

Chapitre CLXVII – Les ambassadeurs

D’Artagnan, à peu de chose près, avait appris tout ce que nous venons de raconter; car il avait, parmi ses amis, tous les gens utiles de la maison, serviteurs officieux, fiers d’être salués par le capitaine des mousquetaires, car le capitaine était une puissance; puis, en dehors de l’ambition, fiers d’être comptés pour quelque chose par un homme aussi brave que l’était d’Artagnan.

D’Artagnan se faisait instruire ainsi tous les matins de ce qu’il n’avait pu voir ou savoir la veille, n’étant pas ubiquiste, de sorte que, de ce qu’il avait su par lui-même chaque jour, et de ce qu’il avait appris par les autres, il faisait un faisceau qu’il dénouait au besoin pour y prendre telle arme qu’il jugeait nécessaire.

De cette façon, les deux yeux de d’Artagnan lui rendaient le même office que les cent yeux d’Argus.

Secrets politiques, secrets de ruelles, propos échappés aux courtisans à l’issue de l’antichambre; ainsi, d’Artagnan savait tout et renfermait tout dans le vaste et impénétrable tombeau de sa mémoire, à côté des secrets royaux si chèrement achetés, gardés si fidèlement.

Il sut donc l’entrevue avec Colbert; il sut donc le rendez-vous donné aux ambassadeurs pour le matin; il sut donc qu’il y serait question de médailles; et, tout en reconstruisant la conversation sur ces quelques mots venus jusqu’à lui, il regagna son poste dans les appartements pour être là au moment où le roi se réveillerait.

Le roi se réveilla de fort bonne heure; ce qui prouvait que, lui aussi, de son côté, avait assez mal dormi. Vers sept heures, il entrouvrit doucement sa porte.

D’Artagnan était à son poste.

Sa Majesté était pâle et paraissait fatiguée; au reste, sa toilette n’était point achevée.

– Faites appeler M. de Saint-Aignan, dit-il.

De Saint-Aignan s’attendait sans doute à être appelé; car lorsqu’on se présenta chez lui, il était tout habillé.

De Saint-Aignan sa hâta d’obéir et passa chez le roi.

Un instant après, le roi et de Saint-Aignan passèrent; le roi marchait le premier.

D’Artagnan était à la fenêtre donnant sur les cours; il n’eut pas besoin de se déranger pour suivre le roi des yeux. On eût dit qu’il avait d’avance deviné où irait le roi.

Le roi allait chez les filles d’honneur.

Cela n’étonna point d’Artagnan. Il se doutait bien, quoique La Vallière ne lui en eût rien dit, que Sa Majesté avait des torts à réparer.

De Saint-Aignan le suivait comme la veille, un peu moins inquiet, un peu moins agité cependant; car il espérait qu’à sept heures du matin il n’y avait encore que lui et le roi d’éveillés, parmi les augustes hôtes du château.

D’Artagnan était à sa fenêtre, insouciant et calme. On eût juré qu’il ne voyait rien et qu’il ignorait complètement quels étaient ces deux coureurs d’aventures, qui traversaient les cours enveloppés de leurs manteaux.

Et cependant d’Artagnan, tout en ayant l’air de ne les point regarder, ne les perdait point de vue, et, tout en sifflotant cette vieille marche des mousquetaires qu’il ne se rappelait que dans les grandes occasions, devinait et calculait d’avance toute cette tempête de cris et de colères qui allait s’élever au retour.

En effet, le roi entrant chez La Vallière, et trouvant la chambre vide, et le lit intact, le roi commença de s’effrayer et appela Montalais.

Montalais accourut; mais son étonnement fut égal à celui du roi.

Tout ce qu’elle put dire à Sa Majesté, c’est qu’il lui avait semblé entendre pleurer La Vallière une partie de la nuit; mais, sachant que Sa Majesté était revenue, elle n’avait osé s’informer.

– Mais, demanda le roi, où croyez-vous qu’elle soit allée?

– Sire, répondit Montalais, Louise est une personne fort sentimentale, et souvent je l’ai vue se lever avant le jour et aller au jardin; peut-être y sera-t elle ce matin?

La chose parut probable au roi, qui descendit aussitôt pour se mettre à la recherche de la fugitive.

D’Artagnan le vit paraître, pâle et causant vivement avec son compagnon.

Il se dirigea vers les jardins.

De Saint-Aignan le suivait tout essoufflé.

D’Artagnan ne bougeait pas de sa fenêtre, sifflotant toujours, ne paraissant rien voir et voyant tout.

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