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Chapitre CXLV – Ce que l'on voit de la maison de Planchet

Le lendemain trouva les trois héros dormant du meilleur cœur.

Trüchen avait fermé les volets en femme qui craint, pour des yeux alourdis, la première visite du soleil levant.

Aussi faisait-il nuit noire sous les rideaux de Porthos et sous le baldaquin de Planchet, quand d’Artagnan, réveillé le premier, par un rayon indiscret qui perçait les fenêtres, sauta à bas du lit, comme pour arriver le premier à l’assaut.

Il prit d’assaut la chambre de Porthos, voisine de la sienne.

Ce digne Porthos dormait comme un tonnerre gronde; il étalait fièrement dans l’obscurité son torse gigantesque, et son poing gonflé pendait hors du lit sur le tapis de pieds.

D’Artagnan réveilla Porthos, qui frotta ses yeux d’assez bonne grâce.

Pendant ce temps, Planchet s’habillait et venait recevoir, aux portes de leurs chambres, ses deux hôtes vacillants encore de la veille.

Bien qu’il fût encore matin, toute la maison était déjà sur pied. La cuisinière massacrait sans pitié dans la basse-cour, et le père Célestin cueillait des cerises dans le jardin.

Porthos, tout guilleret, tendit une main à Planchet, et d’Artagnan demanda la permission d’embrasser Mme Trüchen.

Celle-ci, qui ne gardait pas rancune aux vaincus, s’approcha de Porthos, auquel la même faveur fut accordée.

Porthos embrassa Mme Trüchen avec un gros soupir.

Alors Planchet prit les deux amis par la main.

– Je vais vous montrer la maison, dit-il; hier au soir, nous sommes entrés ici comme dans un four, et nous n’avons rien pu voir; mais au jour, tout change d’aspect et vous serez contents.

– Commençons par la vue, dit d’Artagnan, la vue me charme avant toutes choses; j’ai toujours habité des maisons royales, et les princes ne savent pas trop mal choisir leurs points de vue.

– Moi, dit Porthos, j’ai toujours tenu à la vue. Dans mon château de Pierrefonds, j’ai fait percer quatre allées qui aboutissent à une perspective variée.

– Vous allez voir ma perspective, dit Planchet.

Et il conduisit les deux hôtes à une fenêtre.

– Ah! oui, c’est la rue de Lyon, dit d’Artagnan.

– Oui. J’ai deux fenêtres par ici, vue insignifiante; on aperçoit cette auberge, toujours remuante et bruyante; c’est un voisinage désagréable. J’avais quatre fenêtres par ici, je n’en ai conservé que deux.

– Passons, dit d’Artagnan.

Ils rentrèrent dans un corridor conduisant aux chambres, et Planchet poussa les volets.

– Tiens, tiens! dit Porthos, qu’est-ce que cela, là-bas?

– La forêt, dit Planchet. C’est l’horizon, toujours une ligne épaisse, qui est jaunâtre au printemps, verte l’été, rouge l’automne et blanche l’hiver.

– Très bien; mais c’est un rideau qui empêche de voir plus loin.

– Oui, dit Planchet; mais, d’ici là, on voit…

– Ah! ce grand champ!… dit Porthos. Tiens!… qu’est-ce que j’y remarque?… Des croix, des pierres.

– Ah çà! mais c’est le cimetière! s’écria d’Artagnan.

– Justement, dit Planchet; je vous assure que c’est très curieux. Il ne se passe pas de jour qu’on n’enterre ici quelqu’un. Fontainebleau est assez fort. Tantôt ce sont des jeunes filles vêtues de blanc avec des bannières, tantôt des échevins ou des bourgeois riches avec les chantres et la fabrique de la paroisse, quelquefois des officiers de la maison du roi.

– Moi, je n’aime pas cela, dit Porthos.

– C’est peu divertissant, dit d’Artagnan.

– Je vous assure que cela donne des pensées saintes, répliqua Planchet.

– Ah! je ne dis pas.

– Mais, continua Planchet, nous devons mourir un jour, et il y a quelque part une maxime que j’ai retenue, celle-ci: «C’est une salutaire pensée que la pensée de la mort.»

– Je ne vous dis pas le contraire, fit Porthos.

– Mais, objecta d’Artagnan, c’est aussi une pensée salutaire que celle de la verdure, des fleurs, des rivières, des horizons bleus, des larges plaines sans fin…

– Si je les avais, je ne les repousserais pas, dit Planchet, mais, n’ayant que ce petit cimetière, fleuri aussi, moussu, ombreux et calme, je m’en contente, et je pense aux gens de la ville qui demeurent rue des Lombards, par exemple, et qui entendent rouler deux mille chariots par jour, et piétiner dans la boue cent cinquante mille personnes.

– Mais vivantes, dit Porthos, vivantes!

– Voilà justement pourquoi, dit Planchet timidement, cela me repose, de voir un peu des morts.

– Ce diable de Planchet, fit d’Artagnan, il était né pour être poète comme pour être épicier.

– Monsieur, dit Planchet, j’étais une de ces bonnes pâtes d’homme que Dieu a faites pour s’animer durant un certain temps et pour trouver bonnes toutes choses qui accompagnent leur séjour sur terre.

D’Artagnan s’assit alors près de la fenêtre, et, cette philosophie de Planchet lui ayant paru solide, il y rêva.

– Pardieu! s’écria Porthos, voilà que justement on nous donne la comédie. Est-ce que je n’entends pas un peu chanter?

– Mais oui, l’on chante, dit d’Artagnan.

– Oh! c’est un enterrement de dernier ordre, dit Planchet dédaigneusement. Il n’y a là que le prêtre officiant, le bedeau et l’enfant de chœur. Vous voyez, messieurs, que le défunt ou la défunte n’était pas un prince.

– Non, personne ne suit son convoi.

– Si fait, dit Porthos, je vois un homme.

– Oui, c’est vrai, un homme enveloppé d’un manteau, dit d’Artagnan.

– Cela ne vaut pas la peine d’être vu, dit Planchet.

– Cela m’intéresse, dit vivement d’Artagnan en s’accoudant sur la fenêtre.

– Allons, allons, vous y mordez, dit joyeusement Planchet; c’est comme moi: les premiers jours, j’étais triste de faire des signes de croix toute la journée, et les chants m’allaient entrer comme des clous dans le cerveau; depuis, je me berce avec les chants, et je n’ai jamais vu d’aussi jolis oiseaux que ceux du cimetière.

– Moi, fit Porthos, je ne m’amuse plus; j’aime mieux descendre.

Planchet ne fit qu’un bond; il offrit sa main à Porthos pour le conduire dans le jardin.

– Quoi! vous restez là? dit Porthos à d’Artagnan en se retournant.

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