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Un silence d’étonnement, plus funèbre qu’un silence de mort, régnait dans l’assemblée. Et cependant, on n’avait pas, du côté des reines, entendu ce qu’il avait dit, ni compris ce qu’il avait fait.

Une charitable amie se chargea de répandre la nouvelle. Ce fut Tonnay Charente, à qui Madame avait fait signe de s’approcher.

– Ah! mon Dieu! s’écria de Tonnay-Charente, est-elle heureuse, cette La Vallière! le roi vient de lui donner les bracelets.

Madame se mordit les lèvres avec une telle force, que le sang apparut à la surface de la peau.

La jeune reine regarda alternativement La Vallière et Madame et se mit à rire.

Anne d’Autriche appuya son menton sur sa belle main blanche, et demeura longtemps absorbée par un soupçon qui lui mordait l’esprit et par une douleur atroce qui lui mordait le cœur.

De Guiche, en voyant pâlir Madame, en devinant ce qui la faisait pâlir, de Guiche quitta précipitamment l’assemblée et disparut. Malicorne put alors se glisser jusqu’à Montalais, et, à la faveur du tumulte général des conversations:

– Aure, lui dit-il, tu as près de toi notre fortune et notre avenir.

– Oui, répondit celle-ci.

Et elle embrassa tendrement La Vallière, qu’intérieurement elle était tentée d’étrangler.

Chapitre CXL – Malaga

Pendant tout ce long et violent débat des ambitions de cour contre les amours de cœur, un de nos personnages, le moins à négliger peut-être, était fort négligé, fort oublié, fort malheureux.

En effet, d’Artagnan, d’Artagnan, car il faut le nommer par son nom pour qu’on se rappelle qu’il a existé, d’Artagnan n’avait absolument rien à faire dans ce monde brillant et léger. Après avoir suivi le roi pendant deux jours à Fontainebleau, et avoir regardé toutes les bergerades et tous les travestissements héroï-comiques de son souverain, le mousquetaire avait senti que cela ne suffisait point à remplir sa vie.

Accosté à chaque instant par des gens qui lui disaient: «Comment trouvez-vous que m’aille cet habit, monsieur d’Artagnan?» il leur répondait de sa voix placide et railleuse: «Mais je trouve que vous êtes aussi bien habillé que le plus beau singe de la foire Saint-Laurent.».

C’était un compliment comme les faisait d’Artagnan quand il n’en voulait pas faire d’autre: bon gré mal gré, il fallait donc s’en contenter.

Et, quand on lui demandait: «Monsieur d’Artagnan, comment vous habillez-vous ce soir?» il répondait: «Je me déshabillerai.»

Ce qui faisait rire même les dames.

Mais, après deux jours passés ainsi, le mousquetaire voyant que rien de sérieux ne s’agitait là-dessous, et que le roi avait complètement, ou du moins paraissait avoir complètement oublié Paris, Saint-Mandé et Belle-Île; que M. Colbert rêvait lampions et feux d’artifice; que les dames en avaient pour un mois au moins d’œillades à rendre et à donner; D’Artagnan demanda au roi un congé pour affaires de famille.

Au moment où d’Artagnan lui faisait cette demande, le roi se couchait, rompu d’avoir dansé.

– Vous voulez me quitter, monsieur d’Artagnan? demanda-t-il d’un air étonné.

Louis XIV ne comprenait jamais que l’on se séparât de lui quand on pouvait avoir l’insigne honneur de demeurer près de lui.

– Sire, dit d’Artagnan, je vous quitte parce que je ne vous sers à rien. Ah! si je pouvais vous tenir le balancier, tandis que vous dansez, ce serait autre chose.

– Mais, mon cher monsieur d’Artagnan, répondit gravement le roi, on danse sans balancier.

– Ah! tiens, dit le mousquetaire continuant son ironie insensible, tiens, je ne savais pas, moi!

– Vous ne m’avez donc pas vu danser? demanda le roi.

– Oui; mais j’ai cru que cela irait toujours de plus fort en plus fort. Je me suis trompé: raison de plus pour que je me retire. Sire, je le répète, vous n’avez pas besoin de moi; d’ailleurs, si Votre Majesté en avait besoin, elle saurait où me trouver.

– C’est bien, dit le roi.

Et il accorda le congé.

Nous ne chercherons donc pas d’Artagnan à Fontainebleau, ce serait chose inutile; mais, avec la permission de nos lecteurs, nous le retrouverons rue des Lombards, au Pilon d’Or, chez notre vénérable ami Planchet.

Il est huit heures du soir, il fait chaud, une seule fenêtre est ouverte, c’est celle d’une chambre de l’entresol.

Un parfum d’épicerie, mêlé au parfum moins exotique, mais plus pénétrant, de la fange de la rue monte aux narines du mousquetaire.

D’Artagnan, couché sur une immense chaise à dossier plat, les jambes, non pas allongées, mais posées sur un escabeau, forme l’angle le plus obtus qui se puisse voir.

L’œil, si fin et si mobile d’habitude, est fixe, presque voilé, et a pris pour but invariable le petit coin du ciel bleu que l’on aperçoit derrière la déchirure des cheminées; il y a du bleu tout juste ce qu’il en faudrait pour mettre une pièce à l’un des sacs de lentilles ou de haricots qui forment le principal ameublement de la boutique du rez-de-chaussée.

Ainsi étendu, ainsi abruti dans son observation transfenestrale, d’Artagnan n’est plus un homme de guerre, d’Artagnan n’est plus un officier du palais, c’est un bourgeois croupissant entre le dîner et le souper, entre le souper et le coucher; un de ces braves cerveaux ossifiés qui n’ont plus de place pour une seule idée, tant la matière guette avec férocité aux portes de l’intelligence, et surveille la contrebande qui pourrait se faire en introduisant dans le crâne un symptôme de pensée.

Nous avons dit qu’il faisait nuit; les boutiques s’allumaient tandis que les fenêtres des appartements supérieurs se fermaient; une patrouille de soldats du guet faisait entendre le bruit régulier de son pas.

D’Artagnan continuait à ne rien entendre et à ne rien regarder que le coin bleu de son ciel.

À deux pas de lui, tout à fait dans l’ombre, couché sur un sac de maïs, Planchet, le ventre sur ce sac, les deux bras sous son menton, regardait d’Artagnan penser, rêver ou dormir les yeux ouverts.

L’observation durait déjà depuis fort longtemps.

Planchet commença par faire:

– Hum! hum!

D’Artagnan ne bougea point.

Planchet vit alors qu’il fallait recourir à quelque moyen plus efficace: après mûres réflexions, ce qu’il trouva de plus ingénieux dans les circonstances présentes, fut de se laisser rouler de son sac sur le parquet en murmurant contre lui-même le mot:

– Imbécile!

Mais, quel que fût le bruit produit par la chute de Planchet, d’Artagnan, qui, dans le cours de son existence, avait entendu bien d’autres bruits, ne parut pas faire le moindre cas de ce bruit-là.

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