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– Quant au portrait, car je comprends que le portrait est le grief principal; quant au portrait, voyons, suis-je coupable? Qui a désiré avoir son portrait? est-ce moi? Qui l’aime? est-ce moi? Qui la veut? est-ce moi?… Qui l’a prise? est-ce moi? Non! mille fois non! je sais que M. de Bragelonne doit être désespéré, je sais que ces malheurs-là sont cruels. Tenez, moi aussi, je souffre. Mais pas de résistance possible. Luttera-t-il? on en rirait. S’il s’obstine seulement, il se perd. Vous me direz que le désespoir est une folie; mais vous êtes raisonnable, vous, vous m’avez compris. Je vois à votre air grave réfléchi, embarrassé même, que l’importance de la situation vous a frappé. Retournez donc vers M. de Bragelonne; remerciez-le, comme je l’en remercie moi-même, d’avoir choisi pour intermédiaire un homme de votre mérite. Croyez que, de mon côté, je garderai une reconnaissance éternelle à celui qui a pacifié si ingénieusement si intelligemment notre discorde. Et, puisque le malheur a voulu que ce secret fût à quatre au lieu d’être à trois, eh bien! ce secret, qui peut faire la fortune du plus ambitieux, je me réjouis de le partager avec vous; je m’en réjouis du fond de l’âme. À partir de ce moment, disposez donc de moi, je me mets à votre merci. Que faut-il que je fasse pour vous? Que dois-je demander, exiger même? Parlez, monsieur, parlez.

Et, selon l’usage familièrement amical des courtisans de cette époque, de Saint-Aignan vint enlacer Porthos et le serrer tendrement dans ses bras.

Porthos se laissa faire avec un flegme inouï.

– Parlez, répéta de Saint-Aignan; que demandez-vous?

– Monsieur, dit Porthos, j’ai en bas un cheval; faites moi le plaisir de le monter; il est excellent et ne vous jouera point de mauvais tours.

– Monter à cheval! pour quoi faire? demanda de Saint-Aignan avec curiosité.

– Mais, pour venir avec moi où nous attend M. de Bragelonne.

– Ah! il voudrait me parler, je le conçois; avoir des détails. Hélas! c’est bien délicat! Mais, en ce moment, je ne puis, le roi m’attend.

– Le roi attendra, dit Porthos.

– Mais, où donc m’attend M. de Bragelonne?

– Aux Minimes, à Vincennes.

– Ah çà! mais, rions-nous?

– Je ne crois pas; moi, du moins.

Et Porthos donna à son visage la rigidité de ses lignes les plus sévères.

– Mais les Minimes, c’est un rendez-vous d’épée, cela? Eh bien! qu’ai-je à faire aux Minimes, alors?

Porthos tira lentement son épée.

– Voici la mesure de l’épée de mon ami, dit-il.

– Corbleu! Cet homme est fou! s’écria de Saint-Aignan.

Le rouge monta aux oreilles de Porthos.

– Monsieur, dit-il, si je n’avais pas l’honneur d’être chez vous, et de servir les intérêts de M. de Bragelonne, je vous jetterais par votre fenêtre! Ce sera partie remise, et vous ne perdrez rien pour attendre. Venez-vous aux Minimes, monsieur?

– Eh!…

– Y venez-vous de bonne volonté?

– Mais…

– Je vous y porte si vous n’y venez pas! Prenez garde!

– Basque! s’écria M. de Saint-Aignan.

– Le roi appelle M. le comte, dit Basque.

– C’est différent, dit Porthos; le service du roi avant tout. Nous attendrons là jusqu’à ce soir, monsieur.

Et, saluant de Saint-Aignan avec sa courtoisie ordinaire, Porthos sortit, enchanté d’avoir arrangé encore une affaire.

De Saint-Aignan le regarda sortir; puis, repassant à la hâte son habit et sa veste, il courut en réparant le désordre de sa toilette, et disant:

– Aux Minimes!… aux Minimes!… Nous verrons comment le roi va prendre ce cartel-là. Il est bien pour lui, pardieu!

Chapitre CXCV – Rivaux politiques

Le roi, après cette promenade si fertile pour Apollon, et dans laquelle chacun payait son tribut aux Muses, comme disaient les poètes de l’époque, le roi trouva chez lui M. Fouquet qui l’attendait.

Derrière le roi venait M. Colbert, qui l’avait pris dans un corridor comme s’il l’eût attendu à l’affût, et qui le suivait comme son ombre jalouse et surveillante; M. Colbert, avec sa tête carrée, son gros luxe d’habits débraillés, qui le faisaient ressembler quelque peu à un seigneur flamand après la bière.

M. Fouquet, à la vue de son ennemi, demeura calme, et s’attacha pendant toute la scène qui allait suivre à observer cette conduite si difficile de l’homme supérieur dont le cœur regorge de mépris, et qui ne veut pas même témoigner son mépris, dans la crainte de faire encore trop d’honneur à son adversaire.

Colbert ne cachait pas une joie insultante. Pour lui, c’était de la part de M. Fouquet une partie mal jouée et perdue sans ressource, quoiqu’elle ne fût pas encore terminée. Colbert était de cette école d’hommes politiques qui n’admirent que l’habileté, qui n’estiment que le succès.

De plus, Colbert, qui n’était pas seulement un homme envieux et jaloux, mais qui avait à cœur tous les intérêts du roi, parce qu’il était doué au fond de la suprême probité du chiffre, Colbert pouvait se donner à lui-même le prétexte, si heureux lorsque l’on hait, qu’il agissait, en haïssant et en perdant M. Fouquet, en vue du bien de l’État et de la dignité royale.

Aucun de ces détails n’échappa à Fouquet. À travers les gros sourcils de son ennemi, et malgré le jeu incessant de ses paupières, il lisait, par les yeux, jusqu’au fond du cœur de Colbert; il vit donc tout ce qu’il y avait dans ce cœur: haine et triomphe.

Seulement, comme, tout en pénétrant, il voulait rester impénétrable, il rasséréna son visage, sourit de ce charmant sourire sympathique qui n’appartenait qu’à lui, et, donnant l’élasticité la plus noble et la plus souple à la fois à son salut:

– Sire, dit-il, je vois, à l’air joyeux de Votre Majesté, qu’elle a fait une bonne promenade.

– Charmante, en effet, monsieur le surintendant, charmante! Vous avez eu bien tort de ne pas venir avec nous, comme je vous y avais invité.

– Sire, je travaillais, répondit le surintendant.

Fouquet n’eut pas même besoin de détourner la tête; il ne regardait pas du côté de M. Colbert.

– Ah! la campagne, monsieur Fouquet! s’écria le roi. Mon Dieu, que je voudrais pouvoir toujours vivre à la campagne, en plein air, sous les arbres!

– Oh! Votre Majesté n’est pas encore lasse du trône, j’espère? dit Fouquet.

– Non; mais les trônes de verdure sont bien doux.

– En vérité, Sire, Votre Majesté comble tous mes vœux en parlant ainsi. J’avais justement une requête à lui présenter.

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