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La Vallière sourit avec mélancolie.

– Employez cette force à aimer, continua-t-il, et je bénirai Dieu de vous l’avoir donnée.

La Vallière garda le silence, mais leva sur le roi un œil chargé d’amour.

Alors, comme s’il eût été dévoré par ce brûlant regard, Louis passa la main sur son front, et, pressant son cheval des genoux, lui fit faire quelques pas en avant.

Elle, renversée en arrière, l’œil demi-clos, couvait du regard ce beau cavalier, dont les plumes ondoyaient au vent: elle aimait ses bras arrondis avec grâce; sa jambe, fine et nerveuse, serrant les flancs du cheval; cette coupe arrondie de profil, que dessinaient de beaux cheveux bouclés, se relevant parfois pour découvrir une oreille rose et charmante.

Enfin, elle aimait, la pauvre enfant, et elle s’enivrait de son amour. Après un instant, le roi revint près d’elle.

– Oh! fit-il, vous ne voyez donc pas que votre silence me perce le cœur! oh! mademoiselle, que vous devez être impitoyable lorsque vous êtes résolue à quelque rupture; puis je vous crois changeante… Enfin, enfin, je crains cet amour profond qui me vient de vous.

– Oh! Sire, vous vous trompez, dit La Vallière, quand j’aimerai, ce sera pour toute la vie.

– Quand vous aimerez! s’écria le roi avec hauteur. Quoi! vous n’aimez donc pas?

Elle cacha son visage dans ses mains.

– Voyez-vous, voyez-vous, dit le roi, que j’ai raison de vous accuser; voyez-vous que vous êtes changeante, capricieuse, coquette, peut-être; voyez-vous! oh! mon Dieu! mon Dieu!

– Oh! non, dit-elle. Rassurez-vous, Sire, non, non, non!

– Promettez-moi donc alors que vous serez toujours la même pour moi?

– Oh! toujours, Sire.

– Que vous n’aurez point de ces duretés qui brisent le cœur, point de ces changements soudains qui me donneraient la mort?

– Non! oh! non.

– Eh bien, tenez, j’aime les promesses, j’aime à mettre sous la garantie du serment, c’est-à-dire sous la sauvegarde de Dieu, tout ce qui intéresse mon cœur et mon amour. Promettez-moi, ou plutôt jurez-moi, jurez-moi que, si dans cette vie que nous allons commencer, vie toute de sacrifices, de mystères, de douleurs, vie toute de contretemps et de malentendus; jurez-moi que, si nous nous sommes trompés, que, si nous nous sommes mal compris, que, si nous nous sommes fait un tort, et c’est un crime en amour, jurez-moi, Louise!…

Elle tressaillit jusqu’au fond de l’âme; c’était la première fois qu’elle entendait son nom prononcé ainsi par son royal amant.

Quant à Louis, ôtant son gant, il étendit la main jusque dans le carrosse.

– Jurez-moi, continua-t-il, que, dans toutes nos querelles, jamais, une fois loin l’un de l’autre, jamais nous ne laisserons passer la nuit sur une brouille sans qu’une visite, ou tout au moins un message de l’un de nous aille porter à l’autre la consolation et le repos.

La Vallière prit dans ses deux mains froides la main brûlante de son amant, et la serra doucement, jusqu’à ce qu’un mouvement du cheval, effrayé par la rotation et la proximité de la roue, l’arrachât à ce bonheur.

Elle avait juré.

– Retournez, Sire, dit-elle, retournez près des reines; je sens un orage là bas, un orage qui menace mon cœur.

Louis obéit, salua Mlle de Montalais et partit au galop pour rejoindre le carrosse des reines.

En passant, il vit Monsieur qui dormait.

Madame ne dormait pas, elle.

Elle dit au roi, à son passage:

– Quel bon cheval, Sire!… N’est-ce pas le cheval bai de Monsieur?

Quant à la jeune reine, elle ne dit rien que ces mots:

– Êtes-vous mieux, mon cher Sire?

Chapitre CLXII – Trium-Féminat

Le roi, une fois à Paris, se rendit au Conseil et travailla une partie de la journée. La reine demeura chez elle avec la reine mère, et fondit en larmes après avoir fait son adieu au roi.

– Ah! ma mère, dit-elle, le roi ne m’aime plus. Que deviendrai-je, mon Dieu?

– Un mari aime toujours une femme telle que vous, répondit Anne d’Autriche.

– Le moment peut venir, ma mère, où il aimera une autre femme que moi.

– Qu’appelez-vous aimer?

– Oh! toujours penser à quelqu’un, toujours rechercher cette personne.

– Est-ce que vous avez remarqué, dit Anne d’Autriche, que le roi fît de ces sortes de choses?

– Non, madame, dit la jeune reine en hésitant.

– Vous voyez bien, Marie!

– Et cependant, ma mère, avouez que le roi me délaisse?

– Le roi, ma fille, appartient à tout son royaume.

– Et voilà pourquoi il ne m’appartient plus, à moi; voilà pourquoi je me verrai, comme se sont vues tant de reines, délaissée, oubliée, tandis que l’amour, la gloire et les honneurs seront pour les autres. Oh! ma mère, le roi est si beau! Combien lui diront qu’elles l’aiment, combien devront l’aimer!

– Il est rare que les femmes aiment un homme dans le roi. Mais cela dût-il arriver, j’en doute, souhaitez plutôt, Marie, que ces femmes aiment réellement votre mari. D’abord, l’amour dévoué de la maîtresse est un élément de dissolution rapide pour l’amour de l’amant; et puis, à force d’aimer, la maîtresse perd tout empire sur l’amant, dont elle ne désire ni la puissance ni la richesse, mais l’amour. Souhaitez donc que le roi n’aime guère, et que sa maîtresse aime beaucoup!

– Oh! ma mère, quelle puissance que celle d’un amour profond!

– Et vous dites que vous êtes abandonnée.

– C’est vrai, c’est vrai, je déraisonne… Il est un supplice pourtant, ma mère, auquel je ne saurais résister.

– Lequel?

– Celui d’un heureux choix, celui d’un ménage qu’il se ferait à côté du nôtre; celui d’une famille qu’il trouverait chez une autre femme. Oh! si je voyais jamais des enfants au roi… j’en mourrais!

– Marie! Marie! répliqua la reine mère avec un sourire, et elle prit la main de la jeune reine: rappelez-vous ce mot que je vais vous dire, et qu’à jamais il vous serve de consolation: le roi ne peut avoir de dauphin sans vous, et vous pouvez en avoir sans lui.

À ces paroles, qu’elle accompagna d’un expressif éclat de rire, la reine mère quitta sa bru pour aller au-devant de Madame, dont un page venait d’annoncer la venue dans le grand cabinet.

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