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Le soldat marcha du même pas vers celui qui l’interpellait, et la foule le suivit.

Une idée vint alors à d’Artagnan.

C’était la première: on verra qu’elle n’était pas mauvaise.

Tandis que le gentilhomme racontait au soldat qu’il venait d’être pris dans une maison comme voleur, tandis qu’il n’était qu’un amant, le soldat le plaignait et lui donnait des consolations et des conseils avec cette gravité que le soldat français met au service de son amour-propre et de l’esprit de corps. D’Artagnan se glissa derrière le soldat pressé par la foule, et lui tira nettement et promptement le papier de la ceinture.

Comme, à ce moment, le gentilhomme déchiré tiraillait ce soldat, comme le commissaire tiraillait le gentilhomme, d’Artagnan put opérer sa capture sans le moindre inconvénient.

Il se mit à dix pas derrière un pilier de maison, et lut sur l’adresse:

«À M. du Vallon, chez M. Fouquet, à Saint-Mandé.»

– Bon, dit-il.

Et il décacheta sans déchirer, puis il tira le papier plié en quatre, qui contenait seulement ces mots:

«Cher monsieur du Vallon, veuillez faire dire à M. d’Herblay qu’il est venu à la Bastille et qu’il a questionné.

«Votre dévoué,

«De Baisemeaux.»

– Eh bien! à la bonne heure, s’écria d’Artagnan, voilà qui est parfaitement limpide. Porthos en est.

Sûr de ce qu’il voulait savoir:

«Mordioux! pensa le mousquetaire, voilà un pauvre diable de soldat à qui cet enragé sournois de Baisemeaux va faire payer cher ma supercherie… S’il rentre sans lettre… que lui fera-t-on? Au fait, je n’ai pas besoin de cette lettre; quand l’œuf est avalé, à quoi bon les coquilles?»

D’Artagnan vit que le commissaire et les archers avaient convaincu le soldat et continuaient d’emmener leur prisonnier.

Celui-ci restait environné de la foule et continuait ses doléances.

D’Artagnan vint au milieu de tous et laissa tomber la lettre sans que personne le vit, puis il s’éloigna rapidement. Le soldat reprenait sa route vers Saint-Mandé, pensant beaucoup à ce gentilhomme qui avait imploré sa protection.

Tout à coup il pensa un peu à sa lettre, et, regardant sa ceinture, il la vit dépouillée. Son cri d’effroi fit plaisir à d’Artagnan.

Ce pauvre soldat jeta les yeux tout autour de lui avec angoisse, et enfin, derrière lui, à vingt pas, il aperçut la bienheureuse enveloppe. Il fondit dessus comme un faucon sur sa proie.

L’enveloppe était bien un peu poudreuse, un peu froissée, mais enfin la lettre était retrouvée.

D’Artagnan vit que le cachet brisé occupait beaucoup le soldat. Le brave homme finit cependant par se consoler, il remit le papier dans sa ceinture.

«Va, dit d’Artagnan, j’ai le temps désormais; précède-moi. Il paraît qu’Aramis n’est pas à Paris, puisque Baisemeaux écrit à Porthos. Ce cher Porthos, quelle joie de le revoir… et de causer avec lui!» dit le Gascon.

Et, réglant son pas sur celui du soldat, il se promit d’arriver un quart d’heure après lui chez M. Fouquet.

Chapitre CXLII – Où le lecteur verra avec plaisir que Porthos n'a rien perdu de sa force

D’Artagnan avait, selon son habitude, calculé que chaque heure vaut soixante minutes et chaque minute soixante secondes.

Grâce à ce calcul parfaitement exact de minutes et de secondes, il arriva devant la porte du surintendant au moment même où le soldat en sortait la ceinture vide.

D’Artagnan se présenta à la porte, qu’un concierge, brodé sur toutes les coutures, lui tint entrouverte.

D’Artagnan aurait bien voulu entrer sans se nommer, mais il n’y avait pas moyen. Il se nomma.

Malgré cette concession, qui devait lever toute difficulté, d’Artagnan le pensait du moins, le concierge hésita; cependant, à ce titre répété pour la seconde fois, capitaine des gardes du roi, le concierge, sans livrer tout à fait passage, cessa de le barrer complètement.

D’Artagnan comprit qu’une formidable consigne avait été donnée.

Il se décida donc à mentir, ce qui, d’ailleurs, ne lui coûtait point par trop, quand il voyait par-delà le mensonge le salut de l’État, ou même purement et simplement son intérêt personnel.

Il ajouta donc, aux déclarations déjà faites par lui, que le soldat qui venait d’apporter une lettre à M. du Vallon n’était autre que son messager, et que cette lettre avait pour but d’annoncer son arrivée, à lui.

Dès lors, nul ne s’opposa plus à l’entrée de d’Artagnan, et d’Artagnan entra.

Un valet voulut l’accompagner, mais il répondit qu’il était inutile de prendre cette peine à son endroit, attendu qu’il savait parfaitement où se tenait M. du Vallon.

Il n’y avait rien à répondre à un homme si complètement instruit.

On laissa faire d’Artagnan.

Perrons, salons, jardins, tout fut passé en revue par le mousquetaire. Il marcha un quart d’heure dans cette maison plus que royale, qui comptait autant de merveilles que de meubles, autant de serviteurs que de colonnes et de portes.

«Décidément, se dit-il, cette maison n’a d’autres limites que les limites de la terre. Est-ce que Porthos aurait eu la fantaisie de s’en retourner à Pierrefonds, sans sortir de chez M. Fouquet?»

Enfin, il arriva dans une partie reculée du château, ceinte d’un mur de pierres de taille sur lesquelles grimpait une profusion de plantes grasses ruisselantes de fleurs, grosses et solides comme des fruits.

De distance en distance, sur le mur d’enceinte, s’élevaient des statues dans des poses timides ou mystérieuses. C’étaient des vestales cachées sous le péplum aux grands plis; des veilleurs agiles enfermés dans leurs voiles de marbre et couvant le palais de leurs furtifs regards.

Un Hermès, le doigt sur la bouche, une Iris aux ailes éployées, une Nuit tout arrosée de pavots, dominaient les jardins et les bâtiments qu’on entrevoyait derrière les arbres; toutes ces statues se profilaient en blanc sur les hauts cyprès, qui dardaient leurs cimes noires vers le ciel.

Autour de ces cyprès s’étaient enroulés des rosiers séculaires, qui attachaient leurs anneaux fleuris à chaque fourche des branches et semaient sur les ramures inférieures et sur les statues des pluies de fleurs embaumées.

Ces enchantements parurent au mousquetaire l’effort suprême de l’esprit humain. Il était dans une disposition d’esprit à poétiser. L’idée que Porthos habitait un pareil Eden lui donna de Porthos une idée plus haute, tant il est vrai que les esprits les plus élevés ne sont point exempts de l’influence de l’entourage.

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