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– Oui, mon ami, oui; je vous rejoindrai.

– Eh! eh! M. d’Artagnan n’a pas tort, dit Planchet; enterre-t-on déjà?

– Pas encore.

– Ah! oui, le fossoyeur attend que les cordes soient nouées autour de la bière… Tiens! il entre une femme à l’autre extrémité du cimetière.

– Oui, oui, cher Planchet, dit vivement d’Artagnan; mais laisse-moi, laisse-moi; je commence à entrer dans les méditations salutaires, ne me trouble pas.

Planchet parti, d’Artagnan dévora des yeux, derrière le volet demi-clos, ce qui se passait en face.

Les deux porteurs du cadavre avaient détaché les bretelles de leur civière et laissèrent glisser leur fardeau dans la fosse.

À quelques pas, l’homme au manteau, seul spectateur de la scène lugubre, s’adossait à un grand cyprès, et dérobait entièrement sa figure aux fossoyeurs et aux prêtres. Le corps du défunt fut enseveli en cinq minutes.

La fosse comblée, les prêtres s’en retournèrent. Le fossoyeur leur adressa quelques mots et partit derrière eux.

L’homme au manteau les salua au passage et mit une pièce de monnaie dans la main du fossoyeur.

– Mordioux! murmura d’Artagnan, mais c’est Aramis, cet homme-là!

Aramis, en effet, demeura seul, de ce côté du moins; car, à peine avait-il tourné la tête, que le pas d’une femme et le frôlement d’une robe bruirent dans le chemin près de lui.

Il se retourna aussitôt et ôta son chapeau avec un grand respect de courtisan; il conduisit la dame sous un couvert de marronniers et de tilleuls qui ombrageaient une tombe fastueuse.

– Ah! par exemple, dit d’Artagnan, l’évêque de Vannes donnant des rendez-vous! C’est toujours l’abbé Aramis, muguetant à Noisy-le-Sec. Oui, ajouta le mousquetaire; mais, dans un cimetière, c’est un rendez-vous sacré.

Et il se mit à rire.

La conversation dura une grosse demi-heure.

D’Artagnan ne pouvait pas voir le visage de la dame, car elle lui tournait le dos; mais il voyait parfaitement, à la raideur des deux interlocuteurs, à la symétrie de leurs gestes, à la façon compassée, industrieuse, dont ils se lançaient les regards comme attaque ou comme défense, il voyait qu’on ne parlait pas d’amour.

À la fin de la conversation, la dame se leva, et ce fut elle qui s’inclina profondément devant Aramis.

– Oh! oh! dit d’Artagnan, mais cela finit comme un rendez-vous d’amour!… Le cavalier s’agenouille au commencement; la demoiselle est domptée ensuite, et c’est elle qui supplie… Quelle est cette demoiselle? Je donnerais un ongle pour la voir.

Mais ce fut impossible. Aramis s’en alla le premier; la dame s’enfonça sous ses coiffes et partit ensuite.

D’Artagnan n’y tint plus: il courut à la fenêtre de la rue de Lyon.

Aramis venait d’entrer dans l’auberge.

La dame se dirigeait en sens inverse. Elle allait rejoindre vraisemblablement un équipage de deux chevaux de main et d’un carrosse qu’on voyait à la lisière du bois.

Elle marchait lentement, tête baissée, absorbée dans une profonde rêverie.

– Mordioux! mordioux! il faut que je connaisse cette femme, dit encore le mousquetaire.

Et, sans plus délibérer, il se mit à la poursuivre.

Chemin faisant, il se demandait par quel moyen il la forcerait à lever son voile.

– Elle n’est pas jeune, dit-il; c’est une femme du grand monde. Je connais, ou le diable m’emporte! cette tournure-là.

Comme il courait, le bruit de ses éperons et de ses bottes sur le sol battu de la rue faisait un cliquetis étrange; un bonheur lui arriva sur lequel il ne comptait pas.

Ce bruit inquiéta la dame; elle crut être suivie ou poursuivie, ce qui était vrai, et elle se retourna.

D’Artagnan sauta comme s’il eût reçu dans les mollets une charge de plomb à moineaux; puis, faisant un crochet pour revenir sur ses pas:

– Mme de Chevreuse! murmura-t-il.

D’Artagnan ne voulut pas rentrer sans tout savoir.

Il demanda au père Célestin de s’informer près du fossoyeur quel était le mort qu’on avait enseveli le matin même.

– Un pauvre mendiant franciscain, répliqua celui-ci, qui n’avait même pas un chien pour l’aimer en ce monde et l’escorter à sa dernière demeure.

«S’il en était ainsi, pensa d’Artagnan, Aramis n’eût pas assisté à son convoi. Ce n’est pas un chien, pour le dévouement, que M. l’évêque de Vannes; pour le flair, je ne dis pas!»

Chapitre CXLVI – Comment Porthos, Trüchen et Planchet se quittèrent amis, grâce à d'Artagnan

On fit grosse chère dans la maison de Planchet.

Porthos brisa une échelle et deux cerisiers, dépouilla les framboisiers, mais ne put arriver jusqu’aux fraises, à cause, disait-il, de son ceinturon.

Trüchen, qui s’était déjà apprivoisée avec le géant, lui répondit:

– Ce n’est pas le ceinturon, c’est le fendre.

Et Porthos, ravi de joie, embrassa Trüchen, qui lui cueillait plein sa main de fraises et lui fit manger dans sa main. D’Artagnan, qui arriva sur ces entrefaites, gourmanda Porthos sur sa paresse et plaignit tout bas Planchet.

Porthos déjeuna bien; quant il eut fini:

– Je me plairais ici, dit-il en regardant Trüchen.

Trüchen sourit.

Planchet en fit autant, non sans un peu de gêne.

Alors d’Artagnan dit à Porthos:

– Il ne faut pas, mon ami, que les délices de Capoue vous fassent oublier le but réel de notre voyage à Fontainebleau.

– Ma présentation au roi?

– Précisément, je veux aller faire un tour en ville pour préparer cela. Ne sortez pas d’ici, je vous prie.

– Oh! non, s’écria Porthos.

Planchet regarda d’Artagnan avec crainte.

– Est-ce que vous serez absent longtemps? dit-il.

– Non, mon ami, et, dès ce soir, je te débarrasse de deux hôtes un peu lourds pour toi.

– Oh! monsieur d’Artagnan, pouvez-vous dire?

– Non; vois-tu, ton cœur est excellent, mais ta maison est petite. Tel n’a que deux arpents, qui peut loger un roi et le rendre très heureux; mais tu n’es pas né grand seigneur, toi.

– M. Porthos non plus, murmura Planchet.

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