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– Duc, s’écria-t-il, vous venez de prononcer de telles paroles que, sans tarder d’une seconde, j’en vais chercher l’explication à Paris.

– Vous resterez ici, dit Buckingham.

– Moi?

– Oui, vous.

– Et comment cela?

– Parce que vous n’avez pas le droit de partir, et qu’on ne quitte pas le service d’un roi pour celui d’une femme, fût-elle digne d’être aimée comme l’est Mary Graffton.

– Alors instruisez-moi.

– Je le veux bien. Mais resterez-vous?

– Oui, si vous me parlez franchement.

Ils en étaient là, et sans doute Buckingham allait dire, non pas tout ce qui était, mais tout ce qu’il savait, lorsqu’un valet de pied du roi parut à l’extrémité de la terrasse et s’avança vers le cabinet où était le roi avec miss Lucy Stewart.

Cet homme précédait un courrier poudreux qui paraissait avoir mis pied à terre il y avait quelques instants à peine.

– Le courrier de France! le courrier de Madame! s’écria Raoul reconnaissant la livrée de la duchesse.

L’homme et le courrier firent prévenir le roi tandis que le duc et miss Graffton échangeaient un regard d’intelligence.

– Voulez-vous donc que je pleure?

– Non, mais je voudrais vous voir un peu plus mélancolique.

– Merci Dieu! ma belle, je l’ai été assez longtemps: quatorze ans d’exil, de pauvreté, de misère; il me semblait que c’était une dette payée; et puis la mélancolie enlaidit.

– Non pas, voyez plutôt le jeune Français.

– Oh! le vicomte de Bragelonne, vous aussi! Dieu me damne! elles en deviendront toutes folles les unes après les autres; d’ailleurs, lui, il a raison d’être mélancolique.

– Et pourquoi cela?

– Ah bien! il faut que je vous livre les secrets d’État.

– Il le faut si je le veux, puisque vous avez dit que vous étiez prêt à faire tout ce que je voudrais.

– Eh bien! il s’ennuie dans ce pays, là! Êtes-vous contente?

– Il s’ennuie?

– Oui, preuve qu’il est un niais.

– Comment, un niais?

– Sans doute. Comprenez-vous cela? Je lui permets d’aimer miss Mary Graffton, et il s’ennuie!

– Bon! il paraît que, si vous n’étiez pas aimé de miss Lucy Stewart, vous vous consoleriez, vous, en aimant miss Mary Graffton?

– Je ne dis pas cela: d’abord, vous savez bien que Mary Graffton ne m’aime pas; or, on ne se console d’un amour perdu que par un amour trouvé. Mais, encore une fois, ce n’est pas de moi qu’il est question, c’est de ce jeune homme. Ne dirait-on pas que celle qu’il laisse derrière lui est une Hélène, une Hélène avant Péris, bien entendu.

– Mais il laisse donc quelqu’un, ce gentilhomme?

– C’est-à-dire qu’on le laisse.

Chapitre CLXXVII – Le courrier de Madame

Charles II était en train de prouver ou d’essayer de prouver à miss Stewart qu’il ne s’occupait que d’elle; en conséquence, il lui promettait un amour pareil à celui que son aïeul Henri IV avait eu pour Gabrielle.

Malheureusement pour Charles II, il était tombé sur un mauvais jour, sur un jour où miss Stewart s’était mis en tête de le rendre jaloux.

Aussi, à cette promesse, au lieu de s’attendrir comme l’espérait Charles II, se mit-elle à éclater de rire.

– Oh! Sire, Sire, s’écria-t-elle tout en riant, si j’avais le malheur de vous demander une preuve de cet amour, combien serait-il facile de voir que vous mentez.

– Écoutez, lui dit Charles, vous connaissez mes cartons de Raphaël; vous savez si j’y tiens; le monde me les envie, vous savez encore cela: mon père les fit acheter par Van Dyck. Voulez-vous que je les fasse porter aujourd’hui même chez vous?

– Oh! non, répondit la jeune fille; gardez-vous-en bien, Sire, je suis trop à l’étroit pour loger de pareils hôtes.

– Alors je vous donnerai Hampton-Court pour mettre les cartons.

– Soyez moins généreux, Sire, et aimez plus longtemps, voilà tout ce que je vous demande.

– Je vous aimerai toujours; n’est-ce pas assez?

– Vous riez, Sire.

– Pauvre garçon! Au fait, tant pis!

– Comment, tant pis!

– Oui, pourquoi s’en va-t-il?

– Croyez-vous que ce soit de son gré qu’il s’en aille?

– Il est donc forcé?

– Par ordre, ma chère Stewart, il a quitté Paris par ordre.

– Et par quel ordre?

– Devinez.

– Du roi?

– Juste.

– Ah! vous m’ouvrez les yeux.

– N’en dites rien, au moins.

– Vous savez bien que, pour la discrétion, je vaux un homme. Ainsi le roi le renvoie?

– Oui.

– Et, pendant son absence, il lui prend sa maîtresse.

– Oui, et, comprenez-vous, le pauvre enfant, au lieu de remercier le roi, il se lamente!

– Remercier le roi de ce qu’il lui enlève sa maîtresse? Ah çà! mais ce n’est pas galant le moins du monde, pour les femmes en général et pour les maîtresses en particulier, ce que vous dites là, Sire.

– Mais comprenez donc, parbleu! Si celle que le roi lui enlève était une miss Graffton ou une miss Stewart, je serais de son avis, et je ne le trouverais même pas assez désespéré; mais c’est une petite fille maigre et boiteuse… Au diable soit de la fidélité! comme on dit en France. Refuser celle qui est riche pour celle qui est pauvre, celle qui l’aime pour celle qui le trompe, a-t-on jamais vu cela?

– Croyez-vous que Mary ait sérieusement envie de plaire au vicomte, Sire?

– Oui, je le crois.

– Eh bien! le vicomte s’habituera à l’Angleterre. Mary a bonne tête, et, quand elle veut, elle veut bien.

– Ma chère miss Stewart, prenez garde, si le vicomte s’acclimate à notre pays: il n’y a pas longtemps, avant-hier encore, il m’est venu demander la permission de le quitter.

– Et vous la lui avez refusée?

– Je le crois bien! le roi mon frère a trop à cœur qu’il soit absent, et, quant à moi, j’y mets de l’amour-propre: il ne sera pas dit que j’aurai tendu à ce youngman le plus noble et le plus doux appât de l’Angleterre…

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