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Raoul tressaillit.

«Elle y revient, dit-il. Hélas!…»

Il ne répliqua rien.

– Plaît-il? fit-elle.

– Je n’ai rien dit, madame.

– Vous n’avez rien dit! Vous me désapprouvez donc? Vous êtes donc satisfait?

Raoul se rapprocha.

– Madame, dit-il, Votre Altesse Royale veut me dire quelque chose, et sa générosité naturelle la pousse à ménager ses paroles. Veuille Votre Altesse ne plus rien ménager. Je suis fort et j’écoute.

– Ah! répliqua Henriette, que comprenez-vous, maintenant?

– Ce que Votre Altesse veut me faire comprendre.

Et Raoul trembla, malgré lui, en prononçant ces mots.

– En effet, murmura la princesse. C’est cruel; mais puisque j’ai commencé…

– Oui, madame, puisque Votre Altesse a daigné commencer, qu’elle daigne achever…

Henriette se leva précipitamment et fit quelques pas dans sa chambre.

– Que vous a dit M. de Guiche? dit-elle soudain.

– Rien, madame.

– Rien! il ne vous a rien dit? oh! que je le reconnais bien là!

– Il voulait me ménager, sans doute.

– Et voilà ce que les amis appellent l’amitié! Mais M. d’Artagnan, que vous quittez, il vous a parlé, lui?

– Pas plus que de Guiche, madame.

Henriette fit un mouvement d’impatience.

– Au moins, dit-elle, vous savez tout ce que la Cour a dit?

– Je ne sais rien du tout, madame.

– Ni la scène de l’orage?

– Ni la scène de l’orage!…

– Ni les tête-à-tête dans la forêt?

– Ni les tête-à-tête dans la forêt!…

– Ni la fuite à Chaillot?

Raoul, qui penchait comme la fleur tranchée par la faucille, fit des efforts surhumains pour sourire, et répondit avec une exquise douceur:

– J’ai eu l’honneur de dire à Votre Altesse Royale que je ne sais absolument rien. Je suis un pauvre oublié qui arrive d’Angleterre; entre les gens d’ici et moi, il y avait tant de flots bruyants, que le bruit de toutes les choses dont Votre Altesse me parle n’ont pu arriver à mon oreille.

Henriette fut touchée de cette pâleur, de cette mansuétude, de ce courage. Le sentiment dominant de son cœur, à ce moment, c’était un vif désir d’entendre chez le pauvre amant le souvenir de celle qui le faisait ainsi souffrir.

– Monsieur de Bragelonne, dit-elle, ce que vos amis n’ont pas voulu faire, je veux le faire pour vous, que j’estime et que j’aime. C’est moi qui serai votre amie. Vous portez ici la tête comme un honnête homme, et je ne veux pas que vous la courbiez sous le ridicule; dans huit jours, on dirait sous du mépris.

– Ah! fit Raoul livide, c’en est déjà là?

– Si vous ne savez pas, dit la princesse, je vois que vous devinez; vous étiez le fiancé de Mlle de La Vallière, n’est-ce pas?

– Oui, madame.

– À ce titre, je vous dois un avertissement; comme, d’un jour à l’autre, je chasserai Mlle de La Vallière de chez moi…

– Chasser La Vallière! s’écria Bragelonne.

– Sans doute. Croyez-vous que j’aurai toujours égard aux larmes et aux jérémiades du roi? Non, non, ma maison ne sera pas plus longtemps commode pour ces sortes d’usages; mais vous chancelez!…

– Non, madame, pardon, dit Bragelonne en faisant un effort; j’ai cru que j’allais mourir, voilà tout. Votre Altesse Royale me faisait l’honneur de me dire que le roi avait pleuré, supplié.

– Oui, mais en vain.

Et elle raconta à Raoul la scène de Chaillot et le désespoir du roi au retour; elle raconta son indulgence à elle-même, et le terrible mot avec lequel la princesse outragée, la coquette humiliée, avait terrassé la colère royale.

Raoul baissa la tête.

– Qu’en pensez-vous? dit-elle.

– Le roi l’aime! répliqua-t-il.

– Mais vous avez l’air de dire qu’elle ne l’aime pas.

– Hélas! je pense encore au temps où elle m’a aimé, madame.

Henriette eut un moment d’admiration pour cette incrédulité sublime; puis, haussant les épaules:

– Vous ne me croyez pas! dit-elle. Oh! comme vous l’aimez, vous! et vous doutez qu’elle aime le roi, elle?

– Jusqu’à la preuve. Pardon, j’ai sa parole, voyez-vous, et elle est fille noble.

– La preuve?… Eh bien! soit; venez!

Chapitre CXCII – Visite domiciliaire

La princesse, précédant Raoul, le conduisit à travers la cour vers le corps de bâtiment qu’habitait La Vallière, et, montant l’escalier qu’avait monté Raoul le matin même, elle s’arrêta à la porte de la chambre où le jeune homme, à son tour, avait été si étrangement reçu par Montalais.

Le moment était bien choisi pour accomplir le projet conçu par Madame Henriette: le château était vide; le roi, les courtisans et les dames étaient partis pour Saint-Germain. Madame Henriette, seule, sachant le retour de Bragelonne et pensant au parti qu’elle avait à tirer de ce retour, avait prétexté une indisposition, et était restée.

Madame était donc sûre de trouver vides la chambre de La Vallière, et l’appartement de Saint-Aignan. Elle tira une double clef de sa poche, et ouvrit la porte de sa demoiselle d’honneur.

Le regard de Bragelonne plongea dans cette chambre qu’il reconnut, et l’impression que lui fit la vue de cette chambre fut un des premiers supplices qui l’attendaient.

La princesse le regarda, et son œil exercé put voir ce qui se passait dans le cœur du jeune homme.

– Vous m’avez demandé des preuves, dit-elle; ne soyez donc pas surpris si je vous en donne. Maintenant, si vous ne vous croyez pas le courage de les supporter, il en est temps encore, retirons-nous.

– Merci, madame, dit Bragelonne; mais je suis venu pour être convaincu. Vous avez promis de me convaincre, convainquez-moi.

– Entrez donc, dit Madame, et refermez la porte derrière vous.

Bragelonne obéit, et se retourna vers la princesse, qu’il interrogea du regard.

– Vous savez où vous êtes? demanda Madame Henriette.

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