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La marquise pâlit en voyant ce qu’elle ne comptait jamais revoir. Un profond silence, précurseur des émotions vives, occupait la salle engourdie et inquiète.

Fouquet ne fit pas même un signe pour chasser tous les valets chamarrés qui couraient, abeilles pressées, autour des vastes buffets et des tables d’office.

– Messieurs, dit-il, cette vaisselle que vous voyez appartenait à Mme de Bellière, qui, un jour, voyant un de ses amis dans la gêne, envoya tout cet or et tout cet argent chez l’orfèvre avec cette masse de joyaux qui se dressent là devant elle. Cette belle action d’une amie devait être comprise par des amis tels que vous. Heureux l’homme qui se voit aimé ainsi! Buvons à la santé de Mme de Bellière.

Une immense acclamation couvrit ses paroles et fit tomber muette, pâmée sur son siège, la pauvre femme, qui venait de perdre ses sens, pareille aux oiseaux de la Grèce qui traversaient le ciel au-dessus de l’arène à Olympie.

– Et puis, ajouta Pélisson, que toute vertu touchait, que toute beauté charmait, buvons un peu aussi à celui qui inspira la belle action de Madame; car un pareil homme doit être digne d’être aimé.

Ce fut le tour de la marquise. Elle se leva pâle et souriante, tendit son verre avec une main défaillante dont les doigts tremblants frottèrent les doigts de Fouquet, tandis que ses yeux mourants encore allaient chercher tout l’amour qui brûlait dans ce généreux cœur.

Commencé de cette héroïque façon, le souper devint promptement une fête; nul ne s’occupa plus d’avoir de l’esprit, personne n’en manqua.

La Fontaine oublia son vin de Gorgny, et permit à Vatel de le réconcilier avec les vins du Rhône et ceux d’Espagne.

L’abbé Fouquet devint si bon, que Gourville lui dit:

– Prenez garde, monsieur l’abbé! si vous êtes aussi tendre, on vous mangera.

Les heures s’écoulèrent ainsi joyeuses et secouant des roses sur les convives. Contre son ordinaire, le surintendant ne quitta pas la table avant les dernières largesses du dessert.

Il souriait à la plupart de ses amis, ivre comme on l’est quand on a enivré le cœur avant la tête, et, pour la première fois, il venait de regarder l’horloge.

Soudain une voiture roula dans la cour, et on l’entendit, chose étrange! au milieu du bruit et des chansons.

Fouquet dressa l’oreille, puis il tourna les yeux vers l’antichambre. Il lui sembla qu’un pas y retentissait, et que ce pas, au lieu de fouler le sol, pesait sur son cœur.

Instinctivement son pied quitta le pied que Mme de Bellière appuyait sur le sien depuis deux heures.

– M. d’Herblay, évêque de Vannes, cria l’huissier.

Et la figure sombre et pensive d’Aramis apparut sur le seuil, entre les débris de deux guirlandes dont une flamme de lampe venait de rompre les fils.

Chapitre CLXXXVII – La quittance de M. de Mazarin

Fouquet eût poussé un cri de joie en apercevant un ami nouveau, si l’air glacé, le regard distrait d’Aramis ne lui eussent rendu toute sa réserve.

– Est-ce que vous nous aidez à prendre le dessert? demanda-t-il cependant; est-ce que vous ne vous effraierez pas un peu de tout ce bruit que font nos folies?

– Monseigneur, répliqua respectueusement Aramis, je commencerai par m’excuser près de vous de troubler votre joyeuse réunion; puis je vous demanderai, après le plaisir, un moment d’audience pour les affaires.

Comme ce mot affaires avait fait dresser l’oreille à quelques épicuriens, Fouquet se leva.

– Les affaires toujours, dit-il, monsieur d’Herblay; trop heureux sommes nous quand les affaires n’arrivent qu’à la fin du repas.

Et, ce disant, il prit la main de Mme de Bellière, qui le considérait avec une sorte d’inquiétude; il la conduisit dans le plus voisin salon, après l’avoir confiée aux plus raisonnables de la compagnie.

Quant à lui, prenant Aramis par le bras, il se dirigea vers son cabinet.

Aramis, une fois là, oublia le respect de l’étiquette. Il s’assit:

– Devinez, dit-il, qui j’ai vu ce soir?

– Mon cher chevalier, toutes les fois que vous commencez de la sorte, je suis sûr de m’entendre annoncer quelque chose de désagréable.

– Cette fois encore, vous ne vous serez pas trompé, mon cher ami, répliqua Aramis.

– Ne me faites pas languir, ajouta flegmatiquement Fouquet.

– Eh bien! j’ai vu Mme de Chevreuse.

– La vieille duchesse?

– Oui.

– Ou son ombre?

– Non pas. Une vieille louve.

– Sans dents?

– C’est possible, mais non pas sans griffes.

– Eh bien! pourquoi m’en voudrait-elle? Je ne suis pas avare avec les femmes qui ne sont pas prudes. C’est là une qualité que prise toujours même la femme qui n’ose plus provoquer l’amour.

– Mme de Chevreuse le sait bien, que vous n’êtes pas avare, puisqu’elle veut vous arracher de l’argent.

– Bon! sous quel prétexte?

– Ah! les prétextes ne lui manquent jamais. Voici le sien.

– J’écoute.

– Il paraîtrait que la duchesse possède plusieurs lettres de M. de Mazarin.

– Cela ne m’étonne pas, le prélat était galant.

– Oui; mais ces lettres n’auraient pas de rapport avec les amours du prélat. Elles traitent, dit-on, d’affaires de finances.

– C’est moins intéressant.

– Vous ne soupçonnez pas un peu ce que je veux dire?

– Pas du tout.

– N’auriez-vous jamais entendu parler d’une accusation de détournement de fonds?

– Cent fois! mille fois! Depuis que je suis aux affaires, mon cher d’Herblay, je n’ai jamais entendu parler que de cela. C’est comme vous, évêque, lorsqu’on vous reproche votre impiété; vous, mousquetaire, votre poltronnerie; ce qu’on reproche perpétuellement au ministre des Finances, c’est de voler les finances.

– Bien; mais précisons, car M. de Mazarin précise, à ce que dit la duchesse.

– Voyons ce qu’il précise.

– Quelque chose comme une somme de treize millions dont vous seriez fort empêché, vous, de préciser l’emploi.

– Treize millions! dit le surintendant en s’allongeant dans son fauteuil pour mieux lever la tête vers le plafond. Treize millions… Ah! dame! je les cherche, voyez-vous, parmi tous ceux qu’on m’accuse d’avoir volés.

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