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– Ne riez pas, mon cher monsieur, c’est grave. Il est certain que la duchesse a les lettres, et que les lettres doivent être bonnes, attendu qu’elle voulait les vendre cinq cent mille livres.

– On peut avoir une fort jolie calomnie pour ce prix-là, répondit Fouquet. Eh! mais je sais ce que vous voulez dire.

Fouquet se mit à rire de bon cœur.

– Tant mieux! fit Aramis peu rassuré.

– L’histoire de ces treize millions me revient. Oui, c’est cela; je les tiens.

– Vous me faites grand plaisir. Voyons un peu.

– Imaginez-vous, mon cher, que le signor Mazarin, Dieu ait son âme! fit un jour ce bénéfice de treize millions sur une concession de terres en litige dans la Valteline; il les biffa sur le registre des recettes, me les fit envoyer, et se les fit donner par moi, pour frais de guerre.

– Bien. Alors la destination est justifiée.

– Non pas; le cardinal les fit placer sous mon nom, et m’envoya une décharge.

– Vous avez cette décharge?

– Parbleu! dit Fouquet en se levant tranquillement pour aller aux tiroirs de son vaste bureau d’ébène incrusté de nacre et d’or.

– Ce que j’admire en vous, dit Aramis charmé, c’est votre mémoire d’abord, puis votre sang-froid, et enfin l’ordre parfait qui règne dans votre administration, à vous, le poète par excellence.

– Oui, dit Fouquet, j’ai de l’ordre par esprit de paresse, pour m’épargner de chercher. Ainsi, je sais que le reçu de Mazarin est dans le troisième tiroir, lettre M.; j’ouvre ce tiroir et je mets immédiatement la main sur le papier qu’il me faut. La nuit, sans bougie, je le trouverais.

Et il palpa d’une main sûre la liasse de papiers entassés dans le tiroir ouvert.

– Il y a plus, continua-t-il, je me rappelle ce papier comme si je le voyais; il est fort, un peu rugueux, doré sur tranche; Mazarin avait fait un pâté d’encre sur le chiffre de la date. Eh bien! fit-il, voilà le papier qui sent qu’on s’occupe de lui et qu’il est nécessaire, il se cache et se révolte.

Et le surintendant regarda dans le tiroir.

– C’est étrange, dit Fouquet.

– Votre mémoire vous fait défaut, mon cher monsieur, cherchez dans une autre liasse.

Fouquet prit la liasse et la parcourut encore une fois; puis il pâlit.

– Ne vous obstinez pas à celle-ci, dit Aramis, cherchez ailleurs.

– Inutile, inutile, jamais je n’ai fait une erreur; nul que moi n’arrange ces sortes de papiers; nul n’ouvre ce tiroir, auquel, vous voyez, j’ai fait faire un secret dont personne que moi ne connaît le chiffre.

– Que concluez-vous alors? dit Aramis agité.

– Que le reçu de Mazarin m’a été volé. Mme de Chevreuse avait raison, chevalier; j’ai détourné les deniers publics; j’ai volé treize millions dans les coffres de l’État; je suis un voleur, monsieur d’Herblay.

– Monsieur! monsieur! ne vous irritez pas, ne vous exaltez pas!

– Pourquoi ne pas m’exalter, chevalier? La cause en vaut la peine. Un bon procès, un bon jugement, et votre ami M. le surintendant peut suivre à Montfaucon son collègue Enguerrand de Marigny, son prédécesseur Samblançay.

– Oh! fit Aramis en souriant, pas si vite.

– Comment, pas si vite! Que supposez-vous donc que Mme de Chevreuse aura fait de ces lettres; car vous les avez refusées, n’est-ce pas?

– Oh! oui, refusé net. Je suppose qu’elle les sera allée vendre à M. Colbert.

– Eh bien! voyez-vous?

– J’ai dit que je supposais, je pourrais dire que j’en suis sûr; car je l’ai fait suivre, et, en me quittant, elle est rentrée chez elle, puis elle est sortie par une porte de derrière et s’est rendue à la maison de l’intendant, rue Croix des-Petits-Champs.

– Procès alors, scandale et déshonneur, le tout tombant comme tombe la foudre, aveuglément, brutalement, impitoyablement.

Aramis s’approcha de Fouquet, qui frémissait dans son fauteuil, auprès des tiroirs ouverts; il lui posa la main sur l’épaule, et, d’un ton affectueux:

– N’oubliez jamais, dit-il, que la position de M. Fouquet ne se peut comparer à celle de Samblançay ou de Marigny.

– Et pourquoi, mon Dieu?

– Parce que le procès de ces ministres s’est fait, parfait, et que l’arrêt a été exécuté; tandis qu’à votre égard il ne peut en arriver de même.

– Encore un coup, pourquoi? Dans tous les temps, un concessionnaire est un criminel.

– Les criminels qui savent trouver un lieu d’asile ne sont jamais en danger.

– Me sauver? fuir?

– Je ne vous parle pas de cela, et vous oubliez que ces sortes de procès sont évoqués par le Parlement, instruits par le procureur général, et que vous êtes procureur général. Vous voyez bien qu’à moins de vouloir vous condamner vous-même…

– Oh! s’écria tout à coup Fouquet en frappant la table de son poing.

– Eh bien! quoi? qu’y a-t-il?

– Il y a que je ne suis plus procureur général.

Aramis, à son tour, pâlit de manière à paraître livide; il serra ses doigts, qui craquèrent les uns sur les autres, et, d’un œil hagard qui foudroya Fouquet:

– Vous n’êtes plus procureur général? dit-il en scandant chaque syllabe.

– Non.

– Depuis quand?

– Depuis quatre ou cinq heures.

– Prenez garde, interrompit froidement Aramis, je crois que vous n’êtes pas en possession de votre bon sens, mon ami; remettez-vous.

– Je vous dis, reprit Fouquet, que tantôt quelqu’un est venu, de la part de mes amis, m’offrir quatorze cent mille livres de ma charge, et que j’ai vendu ma charge.

Aramis demeura interdit; sa figure intelligente et railleuse prit un caractère de morne effroi qui fit plus d’effet sur le surintendant que tous les cris et tous les discours du monde.

– Vous aviez donc bien besoin d’argent? dit-il enfin.

– Oui, pour acquitter une dette d’honneur.

Et il raconta en peu de mots à Aramis la générosité de Mme de Bellière et la façon dont il avait cru devoir payer cette générosité.

– Voilà un beau trait, dit Aramis. Cela vous coûte?

– Tout justement les quatorze cent mille livres de ma charge.

– Que vous avez reçues comme cela tout de suite, sans réfléchir? Ô imprudent ami!

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