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– Vous m’allez demander ce que le roi peut faire de bracelets, n’est-ce pas?

– C’est vrai.

– Et vous ajouterez cependant qu’il serait fort heureux que le roi gagnât, car, ayant ces bracelets, il serait forcé de les donner à quelqu’un.

– De vous les rendre, par exemple.

– Auquel cas, je les donnerais immédiatement; car vous ne pensez pas, dit la reine en riant, que je mette ces bracelets en loterie par gêne. C’est pour les donner sans faire de jalousie; mais, si le hasard ne voulais pas me tirer de peine, eh bien! je corrigerais le hasard… je sais bien à qui j’offrirais les bracelets.

Ces mots furent accompagnés d’un sourire si expressif, que Madame dut le payer par un baiser de remerciement.

– Mais, ajouta Anne d’Autriche, ne savez-vous pas aussi bien que moi que le roi ne me rendrait pas les bracelets s’il les gagnait?

– Il les donnerait à la reine, alors.

– Non; par la même raison qui fait qu’il ne me les rendrait pas; attendu que, si j’eusse voulu les donner à la reine, je n’avais pas besoin de lui pour cela.

Madame jeta un regard de côté sur les bracelets, qui, dans leur écrin, scintillaient sur une console voisine.

– Qu’ils sont beaux! dit-elle en soupirant. Eh! mais, dit Madame, voilà-t il pas que nous oublions que le rêve de Votre Majesté n’est qu’un rêve.

– Il m’étonnerait fort, repartit Anne d’Autriche, que mon rêve fût trompeur; cela m’est arrivé rarement.

– Alors vous pouvez être prophète.

– Je vous ai dit, ma fille, que je ne rêve presque jamais; mais c’est une coïncidence si étrange que celle de ce rêve avec mes idées! il entre si bien dans mes combinaisons!

– Quelles combinaisons?

– Celle-ci, par exemple, que vous gagnerez les bracelets.

– Alors ce ne sera pas le roi.

– Oh! dit Anne d’Autriche, il n’y a pas tellement loin du cœur de Sa Majesté à votre cœur… à vous qui êtes sa sœur chérie… Il n’y a pas, dis-je, tellement loin, qu’on puisse dire que le rêve est menteur. Voyez pour vous les belles chances; comptez-les bien.

– Je les compte.

– D’abord, celle du rêve. Si le roi gagne, il est certain qu’il vous donne les bracelets.

– J’admets cela pour une.

– Si vous les gagnez, vous les avez.

– Naturellement; c’est encore admissible.

– Enfin, si Monsieur les gagnait!

– Oh! dit Madame en riant aux éclats, il les donnerait au chevalier de Lorraine.

Anne d’Autriche se mit à rire comme sa bru, c’est-à-dire de si bon cœur, que sa douleur reparut et la fit blêmir au milieu de l’accès d’hilarité.

– Qu’avez-vous? dit Madame effrayée.

– Rien, rien, le point de côté… J’ai trop ri… Nous en étions à la quatrième chance.

– Oh! celle-là, je ne la vois pas.

– Pardonnez-moi, je ne me suis pas exclue des gagnants, et, si je gagne, vous êtes sûre de moi.

– Merci! Merci! s’écria Madame.

– J’espère que vous voilà favorisée, et qu’à présent le rêve commence à prendre les solides contours de la réalité.

– En vérité, vous me donnez espoir et confiance, dit Madame, et les bracelets ainsi gagnés me seront cent fois plus précieux.

– À ce soir donc!

– À ce soir!

Et les princesses se séparèrent.

Anne d’Autriche, après avoir quitté sa bru, se dit en examinant les bracelets:

«Ils sont bien précieux, en effet, puisque par eux, ce soir, je me serai concilié un cœur en même temps que j’aurai deviné un secret.»

Puis, se tournant vers son alcôve déserte:

– Est-ce ainsi que tu aurais joué, ma pauvre Chevreuse? dit-elle au vide… Oui, n’est-ce pas?

Et, comme un parfum d’autrefois, toute sa jeunesse toute sa folle imagination, tout le bonheur lui revinrent avec l’écho de cette invocation.

Chapitre CXXXIX – La loterie

Le soir, à huit heures, tout le monde était rassemblé chez la reine mère.

Anne d’Autriche, en grand habit de cérémonie, belle des restes de sa beauté et de toutes les ressources que la coquetterie peut mettre en des mains habiles, dissimulait, ou plutôt essayait de dissimuler à cette foule de jeunes courtisans qui l’entouraient et qui l’admiraient encore, grâce aux combinaisons que nous avons indiquées dans le chapitre précédent, les ravages déjà visibles de cette souffrance à laquelle elle devait succomber quelques années plus tard.

Madame, presque aussi coquette qu’Anne d’Autriche, et la reine, simple et naturelle, comme toujours, étaient assises à ses côtés et se disputaient ses bonnes grâces.

Les dames d’honneur, réunies en corps d’armée pour résister avec plus de force, et, par conséquent, avec plus de succès aux malicieux propos que les jeunes gens tenaient sur elles, se prêtaient, comme fait un bataillon carré, le secours mutuel d’une bonne garde et d’une bonne riposte.

Montalais, savante dans cette guerre de tirailleur, protégeait toute la ligne par le feu roulant qu’elle dirigeait sur l’ennemi.

De Saint-Aignan, au désespoir de la rigueur, insolente à force d’être obstinée, de Mlle de Tonnay-Charente, essayait de lui tourner le dos; mais, vaincu par l’éclat irrésistible des deux grands yeux de la belle, il revenait à chaque instant consacrer sa défaite par de nouvelles soumissions, auxquelles Mlle de Tonnay-Charente ne manquait pas de riposter par de nouvelles impertinences.

De Saint-Aignan ne savait à quel saint se vouer.

La Vallière avait non pas une cour, mais des commencements de courtisans.

De Saint-Aignan, espérant par cette manœuvre attirer les yeux d’Athénaïs de son côté, était venu saluer la jeune fille avec un respect qui, à quelques esprits retardataires avait fait croire à la volonté de balancer Athénaïs par Louise.

Mais ceux-là, c’étaient ceux qui n’avaient ni vu ni entendu raconter la scène de la pluie. Seulement, comme la majorité était déjà informée, et bien informée, sa faveur déclarée avait attiré à elle les plus habiles comme les plus sots de la Cour.

Les premiers, parce qu’ils disaient, les uns, comme Montaigne: «Que sais je?»

Les autres, parce qu’ils disaient comme Rabelais: «Peut-être?»

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