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– Oh! oh! voilà que vous m’effrayez, dit Fouquet.

Et il frappa sur le timbre.

– Pourvu qu’il ne soit pas trop tard, dit Aramis.

Fouquet frappa une seconde fois.

Le valet de chambre ordinaire parut.

– Tobie! dit Fouquet, faites venir Tobie.

Le valet de chambre referma la porte.

– Vous me laissez carte blanche, n’est-ce pas?

– Entière.

– Je puis employer tous les moyens pour savoir la vérité?

– Tous.

– Même l’intimidation?

– Je vous fais procureur à ma place.

On attendit dix minutes, mais inutilement.

Fouquet, impatienté, frappa de nouveau sur le timbre.

– Tobie! cria-t-il.

– Mais, monseigneur, dit le valet, on le cherche.

– Il ne peut être loin, je ne l’ai chargé d’aucun message.

– Je vais voir, monseigneur.

Aramis, pendant ce temps, se promenait impatiemment mais silencieusement dans le cabinet.

On attendit dix minutes encore.

Fouquet sonna de manière à réveiller toute une nécropole.

Le valet de chambre rentra assez tremblant pour faire croire à une mauvaise nouvelle.

– Monseigneur se trompe, dit-il avant même que Fouquet l’interrogeât, Monseigneur aura donné une commission à Tobie, car il a été aux écuries prendre le meilleur coureur, et, monseigneur, il l’a sellé lui-même.

– Eh bien?

– Il est parti.

– Parti?… s’écria Fouquet. Que l’on coure, qu’on le rattrape!

– Là! là! dit Aramis en le prenant par la main, calmons-nous; maintenant, le mal est fait.

– Le mal est fait?

– Sans doute, j’en étais sûr. Maintenant, ne donnons pas l’éveil; calculons le résultat du coup et parons-le, si nous pouvons.

– Après tout, dit Fouquet, le mal n’est pas grand.

– Vous trouvez cela? dit Aramis.

– Sans doute. Il est bien permis à un homme d’écrire un billet d’amour à une femme.

– À un homme, oui; à un sujet, non; surtout quand cette femme est celle que le roi aime.

– Eh! mon ami, le roi n’aimait pas La Vallière il y a huit jours; il ne l’aimait même pas hier, et la lettre est d’hier; je ne pouvais pas deviner l’amour du roi, quand l’amour du roi n’existait pas encore.

– Soit, répliqua Aramis; mais la lettre n’est malheureusement pas datée. Voilà ce qui me tourmente surtout. Ah! si elle était datée d’hier seulement, je n’aurais pas pour vous l’ombre d’une inquiétude.

Fouquet haussa les épaules.

– Suis-je donc en tutelle, dit-il, et le roi est-il donc roi de mon cerveau et de ma chair?

– Vous avez raison, répliqua Aramis; ne donnons pas aux choses plus d’importance qu’il ne convient; puis d’ailleurs… eh bien! si nous sommes menacés, nous avons des moyens de défense.

– Oh! menacés! dit Fouquet, vous ne mettez pas cette piqûre de fourmi au nombre des menaces qui peuvent compromettre ma fortune et ma vie, n’est ce pas?

– Eh! pensez-y, monsieur Fouquet, la piqûre d’une fourmi peut tuer un géant, si la fourmi est venimeuse.

– Mais cette toute-puissance dont vous parliez, voyons, est-elle déjà évanouie?

– Je suis tout-puissant, soit; mais je ne suis pas immortel.

– Voyons, retrouver Tobie serait le plus pressé, ce me semble. N’est-ce point votre avis?

– Oh! quant à cela, vous ne le retrouverez pas, dit Aramis, et, s’il vous était précieux, faites-en votre deuil.

– Enfin, il est quelque part dans le monde, dit Fouquet.

– Vous avez raison; laissez-moi faire, répondit Aramis.

Chapitre CXXXVIII – Les quatre chances de Madame

La reine Anne avait fait prier la jeune reine de venir lui rendre visite.

Depuis quelque temps, souffrante et tombant du haut de sa beauté, du haut de sa jeunesse, avec cette rapidité de déclin qui signale la décadence des femmes qui ont beaucoup lutté, Anne d’Autriche voyait se joindre au mal physique la douleur de ne plus compter que comme un souvenir vivant au milieu des jeunes beautés, des jeunes esprits et des jeunes puissances de sa Cour.

Les avis de son médecin, ceux de son miroir, la désolaient bien moins que ces avertissements inexorables de la société des courtisans qui, pareils aux rats du navire, abandonnent la cale où l’eau va pénétrer grâce aux avaries de la vétusté.

Anne d’Autriche ne se trouvait pas satisfaite des heures que lui donnait son fils aîné.

Le roi, bon fils, plus encore avec affectation qu’avec affection, venait d’abord passer chez sa mère une heure le matin et une heure le soir; mais, depuis qu’il s’était chargé des affaires de l’État, la visite du matin et celle du soir s’étaient réduites d’une demi-heure; puis, peu à peu, la visite du matin avait été supprimée.

On se voyait à la messe; la visite même du soir était remplacée par une entrevue, soit chez le roi en assemblée, soit chez Madame, où la reine venait assez complaisamment par égard pour ses deux fils.

Il en résultait cet ascendant immense sur la Cour que Madame avait conquis, et qui faisait de sa maison la véritable réunion royale.

Anne d’Autriche le sentit.

Se voyant souffrante et condamnée par la souffrance à de fréquentes retraites, elle fut désolée de prévoir que la plupart de ses journées, de ses soirées, s’écouleraient solitaires, inutiles, désespérées.

Elle se rappelait avec terreur l’isolement où jadis la laissait le cardinal de Richelieu, fatales et insupportables soirées, pendant lesquelles pourtant elle avait pour se consoler la jeunesse, la beauté, qui sont toujours accompagnées de l’espoir.

Alors elle forma le projet de transporter la Cour chez elle et d’attirer Madame, avec sa brillante escorte, dans la demeure sombre et déjà triste où la veuve d’un roi de France, la mère d’un roi de France, était réduite à consoler de son veuvage anticipé la femme toujours larmoyante d’un roi de France.

Anne réfléchit.

Elle avait beaucoup intrigué dans sa vie. Dans le beau temps, alors que sa jeune tête enfantait des projets toujours heureux, elle avait près d’elle, pour stimuler son ambition et son amour, une amie plus ardente, plus ambitieuse qu’elle-même, une amie qui l’avait aimée, chose rare à la Cour, et que de mesquines considérations avaient éloignée d’elle.

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