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L’ambassadeur hasarda des excuses.

Il dit que la vanité des peuples ne tirait pas à conséquence; que la Hollande était fière d’avoir, avec si peu de ressources, soutenu son rang de grande nation, même contre de grands rois, et que, si un peu de fumée avait enivré ses compatriotes, le roi était prié d’excuser cette ivresse.

Le roi sembla chercher conseil. Il regarda Colbert, qui resta impassible.

Puis d’Artagnan.

D’Artagnan haussa les épaules.

Ce mouvement fut une écluse levée par laquelle se déchaîna la colère du roi, contenue depuis trop longtemps.

Chacun ne sachant pas où cette colère emportait, tous gardaient un morne silence.

Le deuxième ambassadeur en profita pour commencer aussi ses excuses.

Tandis qu’il parlait et que le roi, retombé peu à peu dans sa rêverie personnelle, écoutait cette voix pleine de trouble comme un homme distrait écoute le murmure d’une cascade, d’Artagnan, qui avait à sa gauche de Saint-Aignan, s’approcha de lui, et, d’une voix parfaitement calculée pour qu’elle allât frapper le roi:

– Savez-vous la nouvelle, comte? dit-il.

– Quelle nouvelle? fit de Saint-Aignan.

– Mais la nouvelle de La Vallière.

Le roi tressaillit et fit involontairement un pas de côté vers les deux causeurs.

– Qu’est-il donc arrivé à La Vallière? demanda de Saint-Aignan d’un ton qu’on peut facilement imaginer.

– Eh! pauvre enfant! dit d’Artagnan, elle est entrée en religion.

– En religion? s’écria de Saint-Aignan.

– En religion? s’écria le roi au milieu du discours de l’ambassadeur.

Puis, sous l’empire de l’étiquette, il se remit, mais écoutant toujours.

– Quelle religion? demanda de Saint-Aignan.

– Les Carmélites de Chaillot.

– De qui diable savez-vous cela?

– D’elle-même.

– Vous l’avez vue?

– C’est moi qui l’ai conduite aux Carmélites.

Le roi ne perdait pas un mot; il bouillait au-dedans et commençait à rugir.

– Mais pourquoi cette fuite? demanda de Saint-Aignan.

– Parce que la pauvre fille a été hier chassée de la Cour, dit d’Artagnan.

Il n’eut pas plutôt lâché ce mot, que le roi fit un geste d’autorité.

– Assez, monsieur, dit-il à l’ambassadeur, assez!

Puis, s’avançant vers le capitaine:

– Qui dit cela, s’écria-t-il, que La Vallière est en religion?

– M. d’Artagnan, dit le favori.

– Et c’est vrai, ce que vous dites là? fit le roi se retournant vers le mousquetaire.

– Vrai comme la vérité.

Le roi ferma les poings et pâlit.

– Vous avez encore ajouté quelque chose, monsieur d’Artagnan, dit-il.

– Je ne sais plus, Sire.

– Vous avez ajouté que Mlle de La Vallière avait été chassée de la Cour.

– Oui, Sire.

– Et c’est encore vrai, cela?

– Informez-vous, Sire.

– Et par qui?

– Oh! fit d’Artagnan en homme qui se récuse.

Le roi bondit, laissant de côté ambassadeurs, ministres, courtisans et politiques.

La reine mère se leva: elle avait tout entendu, ou ce qu’elle n’avait pas entendu, elle l’avait deviné.

Madame, défaillante de colère et de peur, essaya de se lever aussi comme la reine mère; mais elle retomba sur son fauteuil, que, par un mouvement instinctif, elle fit rouler en arrière.

– Messieurs, dit le roi, l’audience est finie; je ferai savoir ma réponse, ou plutôt ma volonté, à l’Espagne et à la Hollande.

Et, d’un geste impérieux, il congédia les ambassadeurs.

– Prenez garde, mon fils, dit la reine mère avec indignation, prenez garde; vous n’êtes guère maître de vous, ce me semble.

– Ah! madame, rugit le jeune lion avec un geste effrayant, si je ne suis pas maître de moi, je le serai, je vous en réponds, de ceux qui m’outragent. Venez avec moi, monsieur d’Artagnan, venez.

Et il quitta la salle au milieu de la stupéfaction et de la terreur de tous.

Le roi descendit l’escalier et s’apprêta à traverser la cour.

– Sire, dit d’Artagnan, Votre Majesté se trompe de chemin.

– Non, je vais aux écuries.

– Inutile, Sire, j’ai des chevaux tout prêts pour Votre Majesté.

Le roi ne répondit à son serviteur que par un regard; mais ce regard promettait plus que l’ambition de trois d’Artagnan n’eût osé espérer.

Chapitre CLXVIII – Chaillot

Quoiqu’on ne les eût point appelés, Manicamp et Malicorne avaient suivi le roi et d’Artagnan.

C’étaient deux hommes fort intelligents; seulement, Malicorne arrivait souvent trop tôt par ambition; Manicamp arrivait souvent trop tard par paresse.

Cette fois, ils arrivèrent juste.

Cinq chevaux étaient préparés.

Deux furent accaparés par le roi et d’Artagnan; deux par Manicamp et Malicorne. Un page des écuries monta le cinquième. Toute la cavalcade partit au galop.

D’Artagnan avait bien réellement choisi les chevaux lui-même; de véritables chevaux d’amants en peine; des chevaux qui ne couraient pas, qui volaient.

Dix minutes après le départ, la cavalcade, sous la forme d’un tourbillon de poussière, arrivait à Chaillot.

Le roi se jeta littéralement à bas de son cheval. Mais, si rapidement qu’il accomplît cette manœuvre, il trouva d’Artagnan à la bride de sa monture.

Le roi fit au mousquetaire un signe de remerciement, et jeta la bride au bras du page.

Puis il s’élança dans le vestibule, et, poussant violemment la porte, il entra dans le parloir.

Manicamp, Malicorne et le page demeurèrent dehors; d’Artagnan suivit son maître.

En entrant dans le parloir, le premier objet qui frappa le roi fut Louise, non pas à genoux, mais couchée au pied d’un grand crucifix de pierre.

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