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L’attente, au milieu de tous ces préparatifs pleins de lenteur, était plus encore celle de l’avidité que celle de la curiosité.

De Saint-Aignan se pencha à l’oreille de Mlle de Tonnay-Charente:

– Puisque nous avons chacun un numéro, mademoiselle, lui dit-il, unissons nos deux chances. À vous le bracelet, si je gagne; à moi, si vous gagnez, un seul regard de vos beaux yeux?

– Non pas, dit Athénaïs, à vous le bracelet, si vous le gagnez. Chacun pour soi.

– Vous êtes impitoyable, dit de Saint-Aignan, et je vous punirai par un quatrain:

Belle Iris, à mes vœux…

Vous êtes trop rebelle.

– Silence! dit Athénaïs, vous allez m’empêcher d’entendre le numéro gagnant.

– Numéro 1, dit la jeune fille qui avait tiré la boule de nacre du sac de peau d’Espagne.

– Le roi! s’écria la reine mère.

– Le roi a gagné, répéta la reine joyeuse.

– Oh! le roi! votre rêve! dit à l’oreille d’Anne d’Autriche Madame toute joyeuse.

Le roi ne fit éclater aucune satisfaction.

Il remercia seulement la fortune de ce qu’elle faisait pour lui en adressant un petit salut à la jeune fille qui avait été choisie comme mandataire de la rapide déesse.

Puis, recevant des mains d’Anne d’Autriche, au milieu des murmures de convoitise de toute l’assemblée, l’écrin qui renfermait les bracelets:

– Ils sont donc réellement beaux, ces bracelets? dit-il.

– Regardez-les, dit Anne d’Autriche, et jugez-en vous-même.

Le roi les regarda.

– Oui, dit-il, et voilà, en effet, un admirable médaillon. Quel fini.

– Quel fini! répéta Madame.

La reine Marie-Thérèse vit facilement et du premier coup d’œil que le roi ne lui offrirait pas les bracelets; mais, comme il ne paraissait pas non plus songer le moins du monde à les offrir à Madame, elle se tint pour satisfaite, ou à peu près.

Le roi s’assit.

Les plus familiers parmi les courtisans vinrent successivement admirer de près la merveille, qui bientôt, avec la permission du roi, passa de main en main.

Aussitôt tous, connaisseurs ou non, s’exclamèrent de surprise et accablèrent le roi de félicitations.

Il y avait, en effet, de quoi admirer pour tout le monde; les brillants pour ceux-ci, la gravure pour ceux-là.

Les dames manifestaient visiblement leur impatience de voir un pareil trésor accaparé par les cavaliers.

– Messieurs, messieurs, dit le roi à qui rien n’échappait, on dirait, en vérité, que vous portez des bracelets comme les Sabins: passez-les donc un peu aux dames, qui me paraissent avoir à juste titre la prétention de s’y connaître mieux que vous.

Ces mots semblèrent à Madame le commencement d’une décision qu’elle attendait.

Elle puisait, d’ailleurs, cette bienheureuse croyance dans les yeux de la reine mère.

Le courtisan qui les tenait au moment où le roi jetait cette observation au milieu de l’agitation générale se hâta de déposer les bracelets entre les mains de la reine Marie-Thérèse, qui, sachant bien, pauvre femme! qu’ils ne lui étaient pas destinés, les regarda à peine et les passa presque aussitôt à Madame.

Celle-ci et, plus particulièrement qu’elle encore, Monsieur donnèrent aux bracelets un long regard de convoitise.

Puis elle passa les joyaux aux dames ses voisines, en prononçant ce seul mot, mais avec un accent qui valait une longue phrase:

– Magnifiques!

Les dames, qui avaient reçu les bracelets des mains de Madame, mirent le temps qui leur convint à les examiner, puis elles les firent circuler en les poussant à droite.

Pendant ce temps, le roi s’entretenait tranquillement avec de Guiche et Fouquet.

Il laissait parler plutôt qu’il n’écoutait.

Habituée à certains tours de phrases, son oreille comme celle de tous les hommes qui exercent sur d’autres hommes une supériorité incontestable, ne prenait des discours semés çà et là que l’indispensable mot qui mérite une réponse.

Quant à son attention, elle était autre part.

Elle errait avec ses yeux.

Mlle de Tonnay-Charente était la dernière des dames inscrites pour les billets, et, comme si elle eût pris rang selon son inscription sur la liste, elle n’avait après elle que Montalais et La Vallière.

Lorsque les bracelets arrivèrent à ces deux dernières, on parut ne plus s’en occuper.

L’humilité des mains qui maniaient momentanément ces joyaux leur ôtait toute leur importance.

Ce qui n’empêcha point Montalais de tressaillir de joie, d’envie et de cupidité à la vue de ces belles pierres, plus encore que de ce magnifique travail.

Il est évident que, mise en demeure entre la valeur pécuniaire et la beauté artistique, Montalais eût sans hésitation préféré les diamants aux camées.

Aussi eut-elle grand-peine à les passer à sa compagne La Vallière. La Vallière attacha sur les bijoux un regard presque indifférent.

– Oh! que ces bracelets sont riches! que ces bracelets sont magnifiques! s’écria Montalais; et tu ne t’extasies pas sur eux, Louise? Mais, en vérité, tu n’es donc pas femme?

– Si fait, répondit la jeune fille avec un accent d’adorable mélancolie. Mais pourquoi désirer ce qui ne peut nous appartenir?

Le roi, la tête penchée en avant, écoutait ce que la jeune fille allait dire.

À peine la vibration de cette voix eut-elle frappé son oreille, qu’il se leva tout rayonnant, et, traversant tout le cercle pour aller de sa place à La Vallière:

– Mademoiselle, dit-il, vous vous trompez, vous êtes femme, et toute femme a droit à des bijoux de femme.

– Oh! Sire, dit La Vallière, Votre Majesté ne veut donc pas croire absolument à ma modestie?

– Je crois que vous avez toutes les vertus, mademoiselle, la franchise comme les autres; je vous adjure donc de dire franchement ce que vous pensez de ces bracelets.

– Qu’ils sont beaux, Sire, et qu’ils ne peuvent être offerts qu’à une reine.

– Cela me ravit que votre opinion soit telle, mademoiselle; les bracelets sont à vous, et le roi vous prie de les accepter.

Et comme, avec un mouvement qui ressemblait à de l’effroi, La Vallière tendait vivement l’écrin au roi, le roi repoussa doucement de sa main la main tremblante de La Vallière.

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