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– Veillez votre mère, dit-il avec une expression d’immense pitié. Soyez l’ange qui se penche sur cette morte. Et quant à son cercueil, c’est moi qui le fleurirai, si vous daignez le permettre…

Violetta leva sur lui un regard éperdu de reconnaissance… Alors, troublé jusqu’au fond de l’âme, les yeux mouillés, le cœur palpitant, le jeune duc sortit et se dirigea droit vers un éventaire de fleurs devant lequel se tenait une bonne grosse commère. Sans rien dire, il jeta à la marchande stupéfaite un ducat d’or, et à pleins bras, il ramassa des fleurs, des gerbes de roses blanches et rouges, des brassées d’œillets aux senteurs pénétrantes, des jasmins délicats, des jonchées de lys et de giroflées… Et chargé de son fardeau parfumé, il rentra dans la roulotte, se mit à épandre les jasmins, les œillets, les roses autour du corps, sur le corps, qui bientôt disparut sous ce linceul fleuri…

Violetta, à genoux, les mains jointes, extasiée, douloureuse et ravie, regardait, croyant faire un beau rêve.

– Ce n’est ni le lieu ni l’heure de vous parler, dit alors Charles d’Angoulême. Mais dès maintenant, cessez de craindre quoi que ce soit… Il est impossible, ajouta-t-il avec une émotion croissante, que vous demeuriez avec ces bohémiens… Demain matin, je viendrai parler au maître de cette voiture…

– Qui est tout prêt à vous entendre, monseigneur, et à vous répondre! dit près de Charles une voix ironique et rocailleuse.

Le jeune duc toisa le sacripant courbé en deux devant lui.

– Où pourrai-je te parler, mon maître? demanda-t-il.

– Ici près, monseigneur: rue de la Tissanderie, à l’Auberge de l’Espérance , où je remise mon cheval, mon carrosse, mon léopard et mes gens.

– C’est bien. Attends-moi donc dès demain matin.

Charles d’Angoulême jeta un dernier regard sur Violetta prosternée, le visage dans les deux mains, puis sur la morte dont la pâle figure lui parut alors s’illuminer d’un sourire vague, pareil à quelque mystérieux remerciement.

– À la vengeance, maintenant! murmura-t-il. Ô mon père, regarde ce que va faire ton fils!

Et il sortit, se dirigeant droit vers le duc de Guise!… Belgodère, debout sur le haut des marches, les bras croisés, ricanait:

– Viens demain, oui, je t’attendrai de pied ferme. Imbécile!… Demain! Où sera demain Violetta?

Il haussa les épaules et descendit en grognant:

– Il faut pourtant que j’aille prévenir qu’on me débarrasse du cadavre. Le plus tôt sera le mieux. Aujourd’hui même tu seras partie, la Simonne. Bon voyage!…

Et il allait s’élancer, lorsqu’au bas des marches il vit se dresser devant lui un homme vêtu de velours noir dont le visage livide semblait celui d’un mort qui vient de se lever du fond de la tombe. Et cet homme avait une de ces glaciales voix dont l’accent fait frissonner.

– C’est toi, demanda-t-il, qui es Belgodère, maître de cette voiture?

«Voilà une infernale figure», songea le bohémien qui frémit malgré lui. Oui, mon gentilhomme, ajouta-t-il tout haut, je suis celui que vous dites. À votre service bien humblement.

La «figure infernale» se contracta sous l’effort de quelque suprême combat intérieur, comme la face de certains étangs noirs se moire parfois de rides mystérieuses venues de leur profondeur, sans qu’il y ait un souffle d’air.

– C’est donc toi, reprit-il lentement, qui es le maître de cette jeune chanteuse… Violetta?

Belgodère tressaillit, se frappa le front, s’inclina plus profondément.

«J’y suis! songea-t-il. C’est le gentilhomme que le duc de Guise devait m’envoyer pour me transmettre ses décisions! Ah! ah! je te tiens enfin, Claude! Tu vas savoir de mes nouvelles! Et des nouvelles de ta fille!»

Il se redressa, se drapa, et dit brusquement:

– J’attends ce que vous avez à me communiquer.

Le gentilhomme le saisit par un bras, se pencha, hésita puis, d’une voix sourde:

– Je te suis envoyé par un puissant personnage. Cette enfant… cette Violetta…

Il s’arrêta. Un terrible soupir gonfla sa poitrine. Et il murmura:

– Pauvre innocente victime! Ah! Fausta!… Sphinx effroyable! Quand donc échapperai-je à ta griffe de fer incrustée sur mon âme…

– Violetta et moi, nous sommes au service de celui qui vous envoie, dit Belgodère. Vos ordres?

– Les voici. Sache d’abord que si tu les exécutes fidèlement, il y aura pour toi…

– Dix bourses de dix ducats d’or! Que faut-il faire?

L’homme acquiesça d’un geste hautain, pensant que le bandit venait d’indiquer là le prix de ses services.

– Ce qu’il faut faire? reprit-il, tandis que son front s’assombrissait encore. Écoute, il y a dans la Cité, derrière Notre-Dame, tout au bout de l’île surplombant le fleuve, une maison délabrée, presque en ruine, dont les fenêtres semblent des yeux qui pleurent et dont les murs suent de la tristesse… La porte est en fer, avec un marteau de bronze: c’est là… C’est là que ce soir, à neuf heures, tu devras amener cette jeune fille.

– Ce soir! À neuf heures! On y sera, par l’enfer!

Le gentilhomme noir demeura un instant abîmé dans une lointaine rêverie. Puis, avec un tressaillement de tout son être, d’une voix plus basse, plus tremblante, plus sourde encore, il demanda:

– Cette femme masquée de rouge… qui était là tout à l’heure… cette femme aux cheveux blonds… dis-moi, qui est-ce?…

– Une bohémienne de ma tribu.

– Une bohémienne?… Son nom?…

– Saïzuma.

– Vraiment?… Une bohémienne?… Et elle s’appelle Saïzuma?…

– Elle n’a pas d’autre nom.

Celui que le bohémien appelait une infernale figure se redressa. Il parut soulagé de quelque secrète épouvante, et son visage se détendit. Alors, il fit un signe d’adieu au bohémien. Puis tirant de son pourpoint la lettre que Fausta lui avait remise pour le duc de Guise, le gentilhomme noir… le prince Farnèse!… se glissa parmi la multitude où il disparut sans bruit, comme une pierre au fond de l’eau trouble… pendant que Belgodère répétait avec une joie sombre et furieuse:

– Ce soir, à neuf heures! Dans la maison de la Cité… On y sera, monseigneur Guise!

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