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Le cardinal fixa un ardent regard sur Fausta. Un dernier espoir le faisait palpiter:

– Elle est morte, dit Fausta avec une implacable tranquillité.

Farnèse eut un rugissement de douleur, comme si pour la première fois il entendait l’affreuse parole.

– Elle est morte, continua Fausta. J’ai voulu savoir si vous, mon premier disciple, vous étiez assez dégagé des faiblesses humaines pour sacrifier même votre fille à la cause sacrée pour laquelle vous deviez dévouer votre sang jusqu’à sa dernière goutte, votre cœur jusqu’à sa dernière palpitation, votre âme jusqu’à sa dernière lueur… Si je vous avais vu tel que je vous espérais, Farnèse… qui sait de quoi j’eusse été capable, et quelle magnifique récompense j’eusse trouvée pour vous! Qui sait même si un miracle ne vous eût pas rendu celle que vous pleurez!…

– Un miracle, madame! gronda Farnèse dont les yeux devinrent sanglants. Il n’y a plus de miracles, s’il y en a jamais eu!

– Qu’en savez-vous, cardinal? demanda Fausta d’une telle voix d’auguste majesté que Farnèse frissonna et chancela, éperdu.

Mais recouvrant son sang-froid avec sa douleur:

– Rêves insensés! dit-il sourdement. N’espérez pas, madame, échapper à la sentence en me berçant d’un puéril espoir. Puisque ma fille est morte, nulle puissance ne me la rendra!… Et puisque vous l’avez tuée, je vais vous tuer!…

À ces mots, le cardinal fit un mouvement comme s’il allait appeler le bourreau. Mais en même temps, Fausta se leva. Et elle marcha si flamboyante dans sa sérénité, si terrible dans sa majesté, que le cardinal s’arrêta et qu’une secrète horreur l’envahit tout à coup. Fausta posa sa main sur le bras de Farnèse et prononça:

– Puisque votre rébellion vous damne, puisque vous n’avez pas voulu que fût tenté le miracle de joie, puisque, par votre révolte, celle qui pouvait être la résurrection de votre âme est à jamais perdue pour vous, eh bien… que s’accomplisse donc le miracle de désespoir, vivez avec celle qui est la mort de votre âme!

– Que voulez-vous dire? balbutia Farnèse. Qui donc est celle que vous dites?…

– Cherche en toi-même! Tu la crois morte depuis seize ans!…

– Oui! oui! elle est morte!… dit Farnèse, avec un accent d’indicible terreur.

– Regarde! dit Fausta.

Farnèse se tourna vers le point où marchait Fausta, et il vit Saïzuma.

– La bohémienne! murmura-t-il sourdement.

Fausta, d’un geste rapide, fit tomber le masque de Saïzuma, et elle répéta:

– Regarde!…

– Léonore! rugit Farnèse en reculant, tandis que Saïzuma s’avançait vers lui.

– Qui donc a prononcé mon nom? demanda la bohémienne.

Farnèse livide, les yeux exorbités, les cheveux hérissés, reculait toujours… Il recula jusqu’à ce qu’il rencontrât le mur, et alors il s’y adossa, le visage dans les deux mains. Et quand Saïzuma fut tout près de lui, il tomba à genoux en bégayant:

– Léonore! Léonore! Est-ce toi?» Es-tu un spectre sorti du tombeau?…

À ce moment, la voix éclatante de Fausta s’éleva.

– Adieu, cardinal! Je te mets aujourd’hui aux prises avec Léonore de Montaigues, ton amante!… Prends garde que je ne te mette un jour aux prises avec le spectre de ta fille!…

Mais Farnèse n’entendait pas. La vie était suspendue pour lui.

Il ne voyait même plus Fausta… il ne voyait que Saïzuma… Léonore… le spectre!…

Fausta s’était dirigée vers la porte sans hâter le pas. Là, elle trouva Claude qui attendait et qui, la voyant apparaître, demeura stupide d’étonnement. Que s’était-il donc passé?… Farnèse avait-il pardonné?… D’un bond le bourreau pénétra dans la salle, courut à Farnèse, et vit alors Saïzuma qui se penchait sur le cardinal.

– La mère de Violetta!… murmura-t-il pétrifié.

Et Claude recula de quelques pas, effaré, presque terrifié, par cette soudaine apparition de celle qu’il avait dû jadis, par un matin de novembre, exécuter sur la place de Grève. Alors, à l’attitude de Farnèse, de l’amant de Léonore, il comprit pourquoi Fausta avait pu sortir si tranquillement de cette salle où elle devait mourir. Mais la vue de Léonore de Montaigues ne pouvait produire sur lui le même effet qu’elle venait de produire sur le cardinal. Sa haine, qui un moment avait fait place à la stupéfaction, lui revint plus violente.

– Eh bien! murmura-t-il, je serai donc seul à exécuter cette femme!

Et il s’élança au-dehors sur les traces de Fausta. Mais déjà celle-ci avait rejoint son escorte devant le grand porche du couvent. De loin, Claude vit la litière s’éloigner, entourée de cavaliers.

– Elle m’échappe! gronda-t-il. C’est bien. Une autre fois, j’agirai seul!…

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