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– Le nom de cet imposteur? dit Fausta en suivant avec une attention passionnée l’effet de ses paroles. Peux-tu me le dire?…

– Il est là! répondit Saïzuma en posant la main sur son sein. Nul ne le saura. Pour le savoir, il faudra m’ouvrir le sein.

– Eh bien! je le sais, moi!…

Saïzuma éclata de rire. Fausta saisit sa main, l’ouvrit, y jeta un regard, et d’une voix impérieuse:

– Les lignes de ta main m’ont révélé ta vie passée…

Saïzuma retira violemment sa main et la referma dans un mouvement de terreur convulsive.

– Trop tard! continua Fausta. Je sais tout, maintenant! Je sais que tu as aimé, pleuré, souffert; je sais que c’est au pied de l’autel que ton cœur a été broyé par l’évêque…

– L’évêque! palpita la bohémienne qui se mit à trembler.

– Oui, dit Fausta, l’évêque! Celui que tu aimais! Jean de Kervilliers!…

Saïzuma jeta un cri de détresse, tomba à genoux, et un long gémissement s’exhala de ses lèvres.

– C’est elle! C’est bien elle! murmura Fausta.

Et elle se pencha vers la bohémienne pour la relever. À ce moment, la porte s’ouvrit. Fausta vit entrer maître Claude… Elle ne frémit pas. Mais se redressant de toute sa hauteur:

– Que viens-tu chercher ici? demanda-t-elle.

– Vous! répondit Claude.

Claudine s’élança en disant:

– Les cavaliers de votre escorte suffiront pour vous débarrasser de cet homme.

Fausta l’arrêta.

– Un peu de patience, dit-elle. Cet homme a peut-être une supplique à m’adresser.

– En effet, dit Claude.

– Parle donc…

– Ma supplique est simple, madame. Je voulais vous prier de m’accompagner jusqu’au vieux pavillon qui se trouve derrière les jardins de ce couvent.

– Et si je refusais, bourreau?

– Bourreau! murmura Claudine stupéfaite et terrifiée.

– Si vous refusiez, madame, je serais forcé de vous tuer tout de suite.

En même temps il tira sa dague et, du dos, s’appuya à la porte fermée comme pour couper toute retraite.

– Mon maître, reprit-il, et je dis mon maître parce que je lui appartiens en ce moment, m’a ordonné de vous amener à lui dans ce pavillon. Je vous amènerai, morte ou vive.

Claudine, devant cette scène imprévue, était devenue livide d’épouvante. Fausta gardait cette admirable expression de majesté sereine qui lui était habituelle.

– Et ton maître, dit-elle, ou celui que tu appelles ainsi, qui est-ce?…

– Monseigneur le cardinal prince Farnèse… Vous voyez, madame, qu’il vous est presque impossible de vous soustraire à l’entretien suprême que vous devez avoir avec lui… Vous deviez un peu vous attendre à revoir le cardinal…

Fausta avait violemment tressailli.

– Tu dis que le prince Farnèse m’attend au pavillon? demanda-t-elle.

– Je dis que je dois vous conduire à lui, et que je vous conduirai, morte ou vive.

– Je te suis! dit Fausta.

Si Claude fut étonné par ce peu de résistance, il ne le témoigna ni par un mot, ni par un geste. Fausta, d’un signe, avait rassuré Claudine. Puis, se penchant vers Saïzuma, elle la releva en murmurant à son oreille avec une expression d’infinie pitié:

– Venez, pauvre femme, venez avec moi… et vous ne souffrirez plus…

Maître Claude, sa dague nue à la main, ouvrit la porte. Fausta passa, s’appuyant sur le bras de Saïzuma, ou plutôt l’entraînant. L’abbesse voulut la suivre, mais Claude referma la porte à clef, en disant:

– Demeurez ici, madame. Sachez de plus que si vous appelez, si vous donniez l’éveil, l’unique chance de salut qui reste à la princesse Fausta s’évanouirait, et que je la poignarderais au premier cri.

Claudine demeura donc enfermée dans la chambre, à demi évanouie de terreur. Quant à Fausta, elle marchait d’un pas tranquille. Claude venait derrière elle, sa main crispée à la poignée de sa dague, et la dévorant des yeux. Il ne prêtait d’ailleurs aucune attention à Saïzuma. Lorsque Fausta fut arrivée au bas de l’escalier, elle se tourna vers Claude et lui dit:

– Conduisez-moi…

– Allez droit au fond du jardin, répondit Claude. Et n’oubliez pas qu’au premier cri, au premier geste, je vous égorge… comme vous avez sans doute fait égorger mon enfant…

Ces derniers mots se perdirent dans un sanglot.

Fausta se mit en marche vers le point qui lui avait été désigné. Elle atteignit le pavillon et entra. Claude entra derrière elle et ferma la porte.

Farnèse, demeuré à la même place, plongé dans une méditation, n’entendit pas le bruit de la porte qui grinçait, ni le bruit des pas qui craquaient sur le plancher pourri. Claude se dirigea vers lui. En cette seconde, Fausta conduisit la bohémienne dans un angle obscur et lui dit impétueusement:

– Si tu veux te libérer de la douleur qui étreint ta vie depuis que tu fus trahie par Jean de Kervilliers, demeure ici, en silence. Quoi que tu voies et entendes, tais-toi, ne fais pas un mouvement.

La recommandation était inutile. La bohémienne avait vu le cardinal Farnèse, et un profond tressaillement avait secoué tout son être.

– L’homme noir de la place de Grève! murmura-t-elle. Pourquoi sa vue me cause-t-elle une telle horreur… une horreur pareille à celle que j’ai éprouvée jadis?…

Fausta s’était vivement dirigée vers l’extrémité opposée de cette salle. Là, quelques magnifiques fauteuils aux tapisseries déchirées, aux bois moisis demeuraient alignés comme pour attester à la fois l’antique opulence et la ruine présente de l’abbaye des bénédictines. Fausta, sans souci de la poussière, prit place dans l’un d’eux et attendit. Sa physionomie s’était faite dure, plus impénétrable; ses yeux plus noirs, d’un noir funeste, d’un insoutenable éclat; elle était un peu pâle; et ainsi, elle apparaissait alors comme le génie de quelque palais enchanté, endormi depuis des siècles…

Claude avait touché Farnèse à l’épaule. Farnèse tressaillit, s’éveilla du sombre rêve qui l’avait entraîné dans les profondeurs du passé et jeta autour de lui des yeux étonnés. À quoi songeait-il donc, en cette heure où il avait résolu de punir un meurtre par un autre meurtre?… De Fausta sa pensée était remontée à Violetta… Et de Violetta, à la mère… à l’amante… éternel remords de sa vie.

– Monseigneur, dit Claude, elle est ici.

– Elle! Qui, elle? haleta Farnèse en bondissant.

– Celle qui a tué votre fille, celle que nous avons condamnée, celle qui va mourir… la voici.

Du doigt, Claude désigna Fausta que le cardinal aperçut alors.

– Ah! oui!… murmura-t-il, Fausta! Ce n’est que Fausta!

Il y avait comme un soupir de soulagement dans cette constatation. Dès lors, Farnèse parut reprendre ce visage pétrifié qui formait comme un masque à l’invisible douleur qui rongeait sa vie.

– Bourreau, dit-il d’une voix sinon paisible, du moins très calme, tu attendras dehors. Quand je t’appellerai, il sera temps. Tu entreras et tu exécuteras la sentence.

Claude s’inclina avec soumission. En se dirigeant vers la porte, il vit Saïzuma, pareille à quelque statue qui eût été oubliée là. Il eut un instant d’hésitation. Puis, haussant les épaules, il murmura:

– Qu’importe, après tout, que l’exécution se fasse devant témoins?

Et étant sorti, il s’assit sur le seuil de pierre verdi par les mousses, comme autrefois il s’asseyait au pied de l’échafaud en attendant l’heure d’aller chercher le condamné… Farnèse, pendant quelques instants, contempla silencieusement Fausta.

– Madame, dit-il enfin, vous voilà en mon pouvoir. Je dois vous prévenir que j’ai l’intention de vous tuer comme on tue une bête féroce, sans haine ni colère, uniquement pour l’empêcher de mordre. Qu’avez-vous à dire à cela?

– Cardinal, répondit Fausta, vous êtes en état de rébellion contre votre souveraine. J’eusse pu, d’un mot, livrer le bourreau que vous m’avez envoyé, et dont vous êtes devenu l’aide, vous, un Farnèse. Mais j’ai voulu voir jusqu’où irait votre audace. Et c’est pourquoi je suis ici. J’y suis de ma propre volonté. J’y suis seule, sans gardes, à votre entière merci. J’ai voulu venir ainsi. Car, sachez-le, je sortirai de cette maison sans que vous ayez touché un cheveu de ma tête. Maintenant, parlez.

Un instant, sous cette voix dominatrice, le cardinal faillit courber la tête. Devant cette assurance qui faisait Fausta plus mystérieuse, plus formidable que jamais, il trembla presque. Mais tout aussitôt, reprenant sa volonté, il continua.

– Une seule chose au monde peut vous sauver. Lorsque je me suis traîné à vos pieds, lorsque je vous ai crié que cette pauvre innocente sacrifiée à vos projets, c’était ma fille… ma fille, entendez-vous; lorsque j’ai pleuré, supplié, je croyais encore parler à la Souveraine. J ’ai vu alors que vous étiez seulement une femme d’une perversion un peu plus profonde que celle des scélérates que l’on pend. J’ai vu alors qu’il n’y avait en vous que de l’audace, et que cela seulement vous faisait forte. Pendant des années, je vous ai été aveuglément dévoué. J’ai obéi sans discuter vos ordres, même en pensée. Pour vous je me suis fait criminel, croyant agir pour le bien de la nouvelle Église. Et lorsque je vous ai demandé ma fille, vous m’avez dit: elle est morte… À ce moment-là je vous ai condamnée. J’ai décidé que vous mourriez aussi, vous. Rien ne peut donc vous sauver aujourd’hui, à moins que vous ne me prouviez que vous avez menti, et que ma fille n’est pas morte!

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