Maineville venait de parler avec toute sa sincérité de reître [11] qui s’est vendu corps et âme à un maître et mourra pour ce maître, à moins qu’il n’en trouve un qui lui rachète plus cher ce corps et cette âme. Il était admirable de franchise violente. Tandis qu’il tendait sa main droite ouverte en signe d’amitié, de la gauche il serrait le manche de son poignard, prêt à frapper.
Ce genre de dévouement sauvage que Maineville professait pour son maître était commun à cette époque: un bravo était fidèle, et quand il passait au camp ennemi, il y portait la même fidélité; seulement il prévenait le maître de la veille qu’il eût à ne plus compter sur lui.
– Eh bien, soit! dit Maurevert. Je ne te quitterai pas d’ici ce soir; et bien que ton soupçon m’offense, voici ma main; restons amis, Maineville!
Les deux bandits échangèrent une poignée de main que nous n’hésitons pas à qualifier de loyale.
– Mais, reprit Maurevert, il est entendu que tu te fais fort de m’obtenir deux cent mille livres?
– Par la barbiche du pape Sixte, qui devient malgré lui notre pourvoyeur, je te le jure, Maurevert! Il faudra que Guise t’ouvre les cordons de l’un de ces jolis sacs de blé. En sorte que tu pourras dès demain prendre ton vol vers d’autres pays, ce qui me chagrinera dans l’amitié que je te porte, mais ce qui me réjouira pour la paix que tu y gagneras. Sur ce, allons rendre compte à mon duc, et préparer notre expédition.
Ils s’éloignèrent rapidement vers Paris. Alors, du fond de la haie touffue qui bordait un champ d’avoine, et dont les ronces s’écartèrent doucement, une tête pâle apparut avec un sourire qui eût épouvanté Maurevert, et deux yeux ardents se fixèrent sur les deux hommes jusqu’à ce qu’ils eussent tourné au premier détour du chemin. Puis le corps à qui appartenait cette tête, ou, si l’on veut, qui appartenait à cette tête, sortit en rampant, se redressa, et le chevalier de Pardaillan demeura à cette place, immobile et pensif.
– Cette fois, murmura-t-il, je crois que je le tiens!…