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– Mon père… mon bon père Claude… c’est vous… c’est bien vous… mon père…

Et quand elle put comprendre quelques mots de ce qu’il balbutiait, elle l’entendit qui disait:

– Oui… c’est ça… appelle-moi encore ainsi… encore… que j’entende ta voix… comme tu es belle!… mets-moi ton bras autour du cou… tu sais bien… Ah çà! que s’est-il passé? Non, tais-toi, tu me diras ça plus tard… Dire que c’est toi!… Je ne rêve pas, dis!… C’est toi! Ce sont bien toujours tes chers yeux… tes beaux cheveux… mon enfant… ma vie… ma Violetta… Dire que ce que je tiens là dans mes bras… c’est mon enfant!…

Il sanglotait, ses énormes épaules toutes secouées… il oubliait le monde, le lieu où il se trouvait, et pourquoi il y était, et ce qu’il était venu y faire…

– Ah çà! fit-il en riant avec délices, rentrons chez nous… Comprends-tu cela?… chez nous?…

– Dans notre bonne petite maison de Meudon…

– Non… c’est-à-dire, si fait… c’est là!… Que diable faisons-nous ici?… Viens, rentrons…

– Ici! murmura Violetta reprise par un frisson d’épouvante. Oh! Père… qu’est-ce donc, ici?…

– Ici!…

Claude jeta ce mot comme une clameur d’enfer. Son visage se convulsa Ses regards eurent des lueurs de folie. Il répéta en grelottant:

– Ici!… Nous sommes ici!…

– Père, père! quelle horrible angoisse vous saisit! Oh! j’ai peur! Qu’est-ce donc que cette maison?…

– Ce que c’est! gronda Claude qui tressaillit, passa une main sur son front et jeta autour de lui des yeux hagards. Ce que c’est!… Oh!… je me souviens!… Damnation! Fuyons… vite, fuyons!…

Il se releva d’un bond, saisit par un bras la jeune fille terrifiée par cette expression d’horreur qui éclatait soudain dans la voix de son père… À ce moment la porte s’ouvrit. Fausta parut, voilée de noir.

* * * * *

Fausta fixa sur Violetta un regard d’ardente curiosité.

– C’est donc là, murmura-t-elle, l’enfant que recueillit le bourreau! C’est donc la fille de Farnèse! Nouvelle raison, plus puissante encore, pour qu’elle disparaisse!… qu’elle meure!

Claude s’était arrêté pétrifié. Fausta étendit les bras et dit avec une funèbre simplicité:

– Qu’attendez-vous?…

Claude eut un recul de bête sauvage à l’instant de l’égorgement. Un soupir de damné s’exhala de sa vaste poitrine. Violetta, tremblante, fixait un regard éperdu sur cette femme vêtue de noir qui parlait si étrangement à son père. Fausta, de sa même voix affreusement simple, répéta:

– Qu’attendez-vous?

Alors Claude frémit. D’un geste violent, il repoussa derrière lui Violetta comme pour une protection suprême. Puis il joignit ses mains énormes et, la tête perdue, balbutia d’une voix très basse:

– Mon enfant, madame, c’est mon enfant… ma fille! Figurez-vous que je l’avais perdue… et je la retrouve ici!… Figurez-vous que vous avez perdu le paradis… et que vous le retrouvez dans l’enfer… Vous ne voudriez pas, n’est-ce pas? maintenant que vous savez. Allons… laissez-nous passer…

– Maître Claude, dit Fausta, qu’attendez-vous pour faire votre besogne?… Bourreau, qu’attends-tu pour exécuter la condamnée?…

À ce mot de bourreau, Violetta regarda la femme noire avec stupeur… puis son père… avec épouvante! Et un cri d’angoisse et d’horreur jaillit de sa gorge tandis qu’elle reculait en cachant son visage dans ses mains:

– Mon père!… Bourreau!… Mon père est bourreau!…

Claude entendit ce cri! Et son visage devint couleur de cendres… Et il se replia, se tassa, les épaules basses, la tête tombée sur le poitrail, avec des soupirs affreusement tristes… Alors, il se tourna vers la jeune fille. Une sublime expression de désespoir s’étendit sur sa physionomie. Et d’un accent indiciblement navré, avec une immense lassitude de résignation:

– Ne t’effraye pas… je ne te toucherai plus, si tu veux… je ne te parlerai plus… je ne t’appellerai plus ma fille… mais ne t’effraye pas, allons… tu peux bien encore faire cela pour moi… Je t’en supplie, n’aie pas peur… Madame, gronda-t-il soudain en se retournant vers Fausta, vous venez de commettre un crime; vous avez brisé le lien d’affection qui rattachait cette enfant à l’infortuné que je suis. Or, je vous le dis en face: ceci est une chose abominable que d’avoir révélé mon ignominie au seul être qui m’ait aimé en ce monde! Et je vous le déclare: prenez garde, maintenant…

– Prends garde toi-même, bourreau! interrompit Fausta sans colère, pareille à la Fatalité qui tue parce que c’est sa fonction de tuer. Finissons vite. Es-tu en rébellion? Obéis-tu?

– Obéir! Ah çà! vous ne comprenez donc pas? Ma fille! Je vous dis que c’est ma fille!… Ne crains rien, ma petite Violetta, ne crains rien, va… Je dis que tu es ma fille, mais je ne t’importunerai pas… tout ce qu’il faut, c’est que tu vives… Sortons d’ici!

– Bourreau! dit Fausta d’une voix éclatante, choisis: de mourir avec elle, ou d’obéir!…

– Obéir, moi! hurla Claude d’un accent sauvage. Assassiner ma fille, moi!… Vous êtes folle, ma Souveraine! Place! place, par l’enfer! Ou ta dernière heure est venue!…

De son bras gauche, il entoura la taille de Violetta qu’il souleva, qu’il emporta… Et levant son bras droit, balançant dans l’espace son poing formidable, flamboyant il marcha sur Fausta…

Fausta vit venir sur elle l’homme, effroyable, pareil à quelque fauve des forêts. Elle ne recula pas, ne fit pas un mouvement de défense, mais d’un sifflet qu’elle portait à la ceinture elle tira un son bref et aigu… À l’instant même, quinze gardes armés d’arquebuses firent irruption dans la funèbre salle, et se rangèrent sur une seule ligne devant Fausta… Cette manœuvre s’était accomplie avec une foudroyante rapidité…

Claude, portant Violetta à demi évanouie dans ses bras, recula en grondant, montrant les dents comme un dogue furieux; il s’accula à la paroi du fond, darda des yeux sanglants sur les gardes, et grogna quelques sons incompréhensibles, qui sans doute signifiaient:

– Venez-y donc! Touchez-la, si vous osez…

Mais les gardiens n’avançaient pas: sans doute, Fausta leur avait donné ses ordres avant d’entrer. Ils n’avançaient pas!… Mais Claude les vit apprêter leurs armes!

– Comment! comment! Ils vont arquebuser ma fille?… bégaya-t-il.

Les cheveux hérissés, le regard fou, les veines du front gonflées à éclater, il sentait craquer son cerveau, il entendait son cœur se briser, ses muscles se tordre et ses nerfs pleurer. Dans une effrayante tension d’esprit, il cherchait encore à cette minute définitive le moyen de sauver Violetta!…

– Attention! commanda une voix rude.

À cet instant, les quinze gardes entendirent un hurlement qui se termina par un éclat de rire de tempête; ils virent une ombre géante qui bondissait, d’un bond prodigieux; dans la même seconde, ils firent feu! Le tonnerre des quinze arquebuses éclata! La sinistre chambre s’emplit d’une fumée noire!… Et les gardes, alors, sortirent…

Fausta demeura seule, immobile, un mystérieux sourire aux lèvres. Lentement, les volutes de fumée se dissipèrent… Alors, elle chercha les cadavres de Claude et de Violetta… du bourreau et de la condamnée! Et elle ne les vit pas!… Violetta et Claude avaient disparu!…

Les yeux de Fausta errèrent, fouillèrent les coins sombres… et enfin, s’arrêtèrent sur la trappe, au milieu de la pièce… la trappe était ouverte!… Il y avait là comme l’ouverture béante d’un puits au fond duquel la Seine se lamentait… Fausta eut un imperceptible tressaillement: elle venait de comprendre ce cri et cet éclat de rire sauvage, et ce bondissement furieux de Claude!…

Fausta s’approcha de la trappe, se pencha, écouta et demeura là, inclinée sur ce gouffre noir, au fond duquel, sans doute, tournoyaient maintenant les deux cadavres enlacés… Et ce gouffre était moins noir, moins terrible que le gouffre de ses pensées!

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