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– Vous avez bien fait de m’ouvrir votre âme, dit Fausta d’un accent de douceur pénétrante. Bourreau, l’épreuve est terminée. Allez demain dans Notre-Dame. Après la messe, vous serez entendu en confession générale, non pas par un simple prêtre, mais par un prince de l’Église muni, à votre seule intention, des pleins pouvoirs de Sa Sainteté… C’est donc Sa Sainteté elle-même qui répandra sur votre front le trésor des indulgences qui feront de vous un homme semblable aux autres, vous rendront le sommeil, écarteront de votre esprit les terreurs infernales, et vous berceront dans la sérénité des apaisements paradisiaques…

Et d’une voix de commandement suprême, tandis que son bras tendu désignait une porte, elle ajouta:

– Maintenant, bourreau, va!… Éteins cette vie encore!… À ce prix, demain, tu seras absous de tous tes meurtres, et délivré de tous tes spectres…

Claude se releva d’un bond, le visage resplendissant d’une épouvantable extase. Un changement terrible dans sa soudaineté se fit sur cette physionomie où domine une implacable et sauvage résolution.

– Vous dites, gronda-t-il, que je serai absous de tout mon passé?…

– Tu seras absous!…

– Et que cette exécution est la dernière… qu’après cette femme, je ne tuerai plus personne?…

– Cette femme sera ta dernière victime!

– Qu’elle meure donc! rugit maître Claude, en se dirigeant vers la chambre des exécutions.

C’était un homme qui s’était prosterné aux pieds de Fausta: celui qui marchait maintenant vers la porte qu’on lui avait désignée, d’un pas rude de fauve, c’était le bourreau!… Il entra brusquement, refermant la porte derrière lui… Alors Fausta s’approcha, colla son visage à un invisible treillis, et regarda ce qui allait se passer dans la chambre des exécutions…

C’était une large pièce qui, greffée sur les murs de la maison, était suspendue au-dessus de la Seine. Il n’y avait pas de fenêtres. La lampe suspendue au plafond très élevé, au lieu d’éclairer ne faisait qu’accentuer les ténèbres, et, pour ainsi dire, donner un relief aux ombres entassées dans cet antre. Les parois étaient en bois mal équarri. De même le plancher…

Seulement, au milieu de ce plancher, apparaissaient les rainures d’une trappe fermée. Il y avait un anneau à cette trappe. Une corde y était adaptée; elle montait droit au plafond, puis, par un système de poulies, descendait le long d’une paroi où elle était fixée à un gros clou par un nœud. Il n’y avait qu’à défaire ce nœud: la corde glissait dans ses poulies, et le couvercle de la trappe, n’étant pas soutenu par elle, s’abaissait, retombait…

Quiconque se trouvait alors sur ce couvercle était précipité… En bas, la Seine coulait, avec de sourdes lamentations, des froissements d’eau qui ressemblaient à des plaintes, des clapotis qui étaient pareils à des malédictions.

Le bourreau, en entrant, saisit un paquet de cordes… Il s’agissait de lier la victime, de l’étrangler d’un coup sec, puis de pousser le cadavre sur la trappe, et de laisser retomber le couvercle!… C’était là sa besogne!…

* * * * *

En entrant, le bourreau aperçut au milieu de la salle, dans la livide clarté diffuse, celle qu’il allait tuer. Elle était étendue sur le plancher, évanouie de terreur sans doute; sa tête enveloppée d’un sac noir touchait au couvercle même de la trappe. Elle ne bougeait pas… Peut-être ne respirait-elle plus… Le bourreau eut comme un geste de déception… ou de honte!… Sa résolution tomba.

– Qui est cette malheureuse? murmura-t-il. Qu’a-t-elle fait? Pourquoi faut-il qu’elle meure?… C’est moi qui vais la tuer!…

Il frissonna longuement. Aux trois exécutions précédentes, c’étaient des hommes, et la lutte… l’effroyable lutte réveillait en lui les instincts du carnassier, du fauve qui ne pardonne pas… mais là! une femme… jeune, belle peut-être… innocente… qui savait?… une malheureuse créature qu’il n’était même pas besoin de tuer!… qui se livrait, la tête déjà sur la trappe fatale… comme s’il n’y eût qu’à la pousser dans la mort!… Claude détourna la tête… ses yeux vacillèrent de pitié… Non! jamais il n’aurait le courage de porter la main sur sa dernière victime!…

Il se dirigea vers le clou auquel était accrochée la corde qui soutenait la trappe!… Mais pour y aller, il fit un long détour, rasa les parois de bois, sans regarder la victime. Il marchait courbé, sur la pointe des pieds, haletant, formidable et pitoyable… la sueur coulait à grosses gouttes sur son visage… Et ce fut ainsi qu’il atteignit la corde. Sans oser se retourner, il porta une main tremblante sur le nœud, qu’il commença à défaire… À ce moment, la condamnée, la victime poussa un soupir qui résonna dans la tête du bourreau comme la clameur des trompettes du jugement dernier. Il eut un violent recul en arrière… et il demeura immobile, ramassé sur lui-même, écoutant, luttant contre cette pensée épouvantable:

– Elle se réveille… il faut que je la tue avant de la précipiter… Elle pourrait se sauver!…

Il ajouta en grelottant:

– Et puis… elle souffrirait trop… si elle se noyait tout de même… je dois tuer, non faire souffrir!…

Alors il se retourna, avec un rauque grondement, une violence, par quoi il cherchait à s’exciter, bondit jusqu’à la condamnée, et s’agenouilla ou plutôt s’accroupit près d’elle, disposant les cordelettes de l’étranglement!…

– Il faut qu’elle meure! grogna-t-il, je dois agir… Encore celle-là!…

La victime fit un mouvement… Des paroles à peine bégayées parvinrent jusqu’à l’oreille du bourreau.

– Adieu, mère… ma mère chérie… Père! Père!… Où es-tu?…

– Elle appelle sa mère, haleta le bourreau, livide d’angoisse… elle appelle son père… Comme sa voix est douce et triste… et comme elle me remue le cœur!…

Une irrésistible curiosité s’emparait de lui! Voir! oh! voir le visage de cette victime… de cette enfant étrangement vêtue comme une bohémienne… Oui… la voir!… lire peut-être sur sa figure le crime qui la condamnait. Il résistait encore à la tentation, que déjà ses doigts avaient délié le cordon qui maintenait le sac noir autour du cou, déjà il soulevait l’étoffe, déjà lui apparaissait l’adorable visage, les paupières closes sous ses longs cils, le front pur et la radieuse chevelure de Violetta… Il la contempla une longue minute, avec un indicible effarement devant cette parfaite harmonie de grâce, d’innocence et de beauté.

– Qu’elle est belle! fit-il dans un souffle rauque. Et elle va mourir!…

Il devint pensif… Peu à peu, il oubliait ce qu’il faisait là et pourquoi il y était!…

Puis, à force de la regarder, il sentit tout à coup comme un battement sourd et profond de son cœur, quelque chose qui pleurait et riait en lui, une joie délirante et une douleur prodigieuse, un bouleversement de son âme qui – si les âmes ont des yeux! – fermait ses yeux, éblouie par un jet d’aveuglante et surhumaine clarté!…

– Ah çà! gronda-t-il en saisissant sa crinière de ses deux mains crispées, mais je deviens fou, moi!… Que vais-je imaginer là!… Seigneur Dieu! Est-ce le châtiment suprême! Vais-je sombrer dans la folie!… ce visage… oh! ce visage!… il me rappelle… non!… c’est insensé!… l’enfant aurait cet âge-là! elle aurait cette figure-là!… (Il eut un sanglot et un éclat de rire.) Ce sont bien ses cheveux, tout de même, ses beaux cheveux d’or… il n’y a pas à dire… c’est sa bouche… oh! si je pouvais voir ses yeux! (Le sanglot devint un rugissement, et le rire un râle.) Si c’était elle!… Ma fille! hurla-t-il dans un cri terrible, en secouant la victime. Ma fille!… mon enfant!… Violetta! Violetta!…

Violetta ouvrit les yeux, les posa, timides et craintifs, sur le bourreau… Ce fut une seconde indescriptible, où l’on n’eût pu entendre que le souffle tragique du colosse agenouillé. Les yeux de l’enfant, soudain, s’emplirent de lumière… Elle tendit vaguement les bras, comme jadis, au pied du gibet, et avec un infini ravissement, murmura:

– Mon père!… Mon bon petit papa Claude!…

Claude jeta une déchirante clameur qui fit trembler les parois de la chambre.

– Seigneur Dieu! c’est elle! c’est mon enfant!…

Il se redressa et recula, comme si la joie furieuse et le doute encore l’eussent enveloppé d’un tourbillon. Ses mains énormes, secouées d’un tremblement convulsif, se tendaient vers elle, puis se reculaient vivement. Il n’osait la toucher! Il riait et pleurait. Et il grommelait:

– Comment, comment! C’est mon enfant?… Je ne suis pas fou?… Oh!… Est-ce bien toi?…

L’enfant sourit divinement:

– C’est moi, père!… C’est moi!

Puis il se rapprocha tout d’un coup. Alors, avec une sorte de rudesse, il empoigna la jeune fille dans ses bras puissants, la souleva comme une plume, l’emporta dans l’angle le plus éloigné de la trappe fatale, s’assit sur le plancher, et la mit sur ses genoux.

Il pleurait à grosses larmes; ses lèvres barbouillées de pleurs, tremblotantes, bégayaient des choses incompréhensibles, et il y avait sur son visage monstrueux une irradiation de bonheur inouï, de prodigieux étonnement et de suprême extase… Violetta souriait et répétait:

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