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– Voilà ce que je suis venu vous dire, madame. C’est-à-dire que le duc, moi, Leclerc, Maineville, nous nous unissons désormais pour atteindre l’ennemi commun. C’est-à-dire, madame, que je ne puis m’attarder à l’abbaye de Montmartre. Le duc part pour Chartres, nous partons ensemble tous les quatre.

– C’est fort bien vu, dit paisiblement Fausta. Mais enfin, depuis ce matin que cet homme est sorti de la Bastille, qu’avez-vous déjà fait pour le retrouver!

– Nous avons mis sa tête à prix: cinq mille ducats d’or… mais sans espoir; car selon toute vraisemblance, il a quitté Paris à la pointe du jour; on l’a vu se diriger vers la porte Saint-Antoine. Nous avons bien lancé quelques cavaliers vers Vincennes; mais moi, je savais tout cela inutile…

Maurevert se tut brusquement, et attendit avec impatience de pouvoir se retirer.

– Retournez donc auprès du duc, dit Fausta, toujours avec la même tranquillité. Nous reprendrons nos projets particuliers, sire de Maurevert, quand avec l’aide de vos trois amis vous aurez triomphé de votre ennemi.

Maurevert s’inclina et se dirigea vers la porte par où il était entré.

– Non, dit Fausta, passez par ici…

Elle lui désignait la porte qui faisait communiquer le palais et l’auberge. C’était un principe, au palais Fausta, qu’on vît le moins de monde possible entrer ou sortir, surtout le jour.

Maurevert ayant salué Fausta sortit donc et se trouva dans l’auberge, ou du moins dans cette salle somptueuse qui semblait n’être que le prolongement du palais. Il la traversa et parvint dans un cabinet, au moment où l’une des hôtesses, Pâquette, y entrait elle-même par une autre porte. Pâquette, apercevant cet étranger, ferma vivement cette porte comme si elle eût craint qu’il n’aperçût des personnes qui se trouvaient dans la pièce voisine. Maurevert, déjà, avait atteint la salle commune, et comme Pâquette lui demandait ce qu’il désirait, il parut s’apercevoir alors seulement qu’il était dans une auberge. Il secoua la tête et sortit.

«C’est un fou», songea Pâquette, qui ayant pris une petite dame-jeanne de Saumur, regagna le cabinet d’où elle sortait quand elle avait rencontré Maurevert.

– J’ai eu peur, dit Pâquette en entrant. ‘

– De quoi? fit la voix narquoise de Pardaillan.

Ces gens que Maurevert avait failli apercevoir, ou qui auraient pu l’entrevoir lui-même si Pâquette n’avait si vivement fermé la porte, ces gens, c’étaient Pardaillan et Charles d’Angoulême, qui après le départ de Jacques Clément, étaient restés à la même table, dans le même cabinet…

– De quoi? reprit Pâquette. D’un homme à sinistre visage qui ne m’a pas répondu un mot quand je lui ai parlé, qui est entré dans l’auberge, Dieu sait comme, et qui peut-être est à votre recherche!…

– Eh bien, qu’il cherche! dit froidement le chevalier.

Et reprenant l’entretien où il l’avait sans doute laissé:

– Ainsi, ma belle Roussotte, et vous, ma jolie Pâquette, vous êtes ici non pas les hôtesses du Pressoir de fer , comme l’assure votre enseigne, mais, à vrai dire, les servantes de cette dame mystérieuse.

– Que Dieu vous garde de jamais la connaître! s’écria la Roussotte.

– Ses servantes! reprit Pardaillan. Peut-être ses espionnes?…

Le mot n’offensa nullement les deux anciennes ribaudes.

– Ni servantes, ni espionnes, dit simplement Pâquette… Seulement, voici: le lendemain du jour où nous avons ouvert ici une auberge à laquelle nous avons donné cette enseigne en mémoire de vous et aussi en mémoire de Catho, ce jour-là, nous reçûmes la visite d’un grand bel homme qui eût été magnifique et tout à fait plaisant à voir s’il n’eût eu la mine sévère, et d’une tristesse telle que jamais je ne vis tristesse pareille. Est-ce vrai, la Roussotte?…

– C’est vrai. Monseigneur Farnèse était à la fois le plus magnifique cavalier et le prêtre le plus lugubre qu’on puisse imaginer.

– Monseigneur Farnèse! s’exclama sourdement Charles d’Angoulême.

– C’était le nom de cet homme, comme nous l’apprîmes plus tard. Il paraît qu’il est cardinal. Enfin, il nous proposa de nous aider dans l’établissement de notre auberge, à telles enseignes qu’il paya pour nous les huit mille livres que coûta cet établissement. Non content de cela, il nous assura qu’il nous ferait une rente de six cents écus pour nous deux, si nous voulions consentir à lui louer à perpétuité une salle au fond de notre auberge et à laisser percer dans cette salle une porte communiquant avec la maison voisine. Tout cela fut accepté, bien entendu… Et peu à peu, cet homme nous instruisit de ce qu’attendait de nous sa maîtresse. Peu à peu aussi, nous apprîmes à connaître cette maîtresse… La salle du fond fut magnifiquement meublée… il s’y passa quelquefois des orgies merveilleuses… d’autres fois, on y attira des gens que nous ne revîmes jamais…

Pâquette frissonna et la Roussotte se signa.

– Lorsque nous vîmes qu’il se passait là d’étranges événements, continua Pâquette, et que nous devenions comme des hameçons pour attirer les gens dans une caverne de truands, nous nous repentîmes, mais il était trop tard. Et puis, que nous demandait-on? Simplement de conduire jusqu’à la salle en question les gens qui viendraient nous faire un signe.

– Pareil à celui que vous a fait tout à l’heure ce jeune homme?

– C’est bien cela… Alors, que voulez-vous, quand il venait des gens, nous les conduisions, et voilà tout. Nous ignorons ce qui se passe dans la maison voisine.

– Et vous n’avez jamais essayé d’y pénétrer?…

– Oh! que si!… s’écria naïvement la Roussotte. Seulement…

– Seulement? interrogea Pardaillan.

– Eh bien, continua la Roussotte, un jour nous avons voulu ouvrir, et nous n’avons pas pu. Alors, la curiosité nous a prises toutes les deux, plus forte que jamais, et Pâquette s’est décidée à frapper à la porte selon le signal convenu…

– Et ce signal? demanda négligemment le chevalier.

La Roussotte et Pâquette se regardèrent avec effarement.

– Le signal! balbutia Pâquette.

– Oui, je vous demande par quel signal vous parvîntes à ouvrir la porte; car finaudes comme vous êtes toutes deux, vous avez dû y parvenir.

La flatterie n’eut cette fois aucun succès.

– Hélas! monsieur le chevalier, vous ne savez donc pas que nous risquons notre vie à vous parler de ces choses? Que serait-ce si nous faisions la révélation que vous nous demandez!…

– Eh bien, n’en parlons plus! dit Charles d’Angoulême.

– C’est cela, reprit Pardaillan. Ne parlons plus du signal. Mais vous pouvez continuer votre récit.

La Roussotte, à qui la langue démangeait comme à une digne commère qu’elle était, reprit donc:

– Ce fut la Pâquette qui frappa. À peine eut-elle frappé que la porte s’ouvrit. Et nous reculâmes…

– Bah! c’était donc bien terrible!…

– Vous allez voir, reprit la Roussotte en frissonnant. La porte ouverte, nous entrâmes, non sans de longues hésitations. Mais dès que nous fûmes entrées, la porte se referma d’elle-même… la lumière qui inondait la pièce où nous étions s’éteignit. Je poussai un grand cri et tombai à genoux…

– Moi aussi, dit Pâquette toute pâlissante à ce souvenir.

– Je fermai les yeux!…

– Moi aussi! ajouta Pâquette.

– Lorsque je les rouvris, continua la Roussotte, je vis qu’un peu de clarté s’était faite dans la pièce, mais si peu qu’à peine distinguait-on les meubles et les murs. Mais cette clarté était suffisante pour laisser voir deux cordes qui pendaient au plafond, et au bout de chaque corde, un beau nœud coulant… Alors, je compris que nous allions être pendues, et je me mis à pleurer… Tout à coup, deux hommes apparurent, deux géants masqués de noir. Je ne sais ce que pensait Pâquette, mais moi je ne pensais même plus; l’horreur me paralysait; l’un des géants saisit le nœud coulant qui se balançait au-dessus de ma tête, et comme si cette corde eût eu la faculté de s’allonger, il baissa ce nœud jusqu’à moi qui étais à genoux, et bientôt je sentis que la corde me serrait le cou…

La Roussotte, à ce mot, porta la main à son cou, par un geste machinal, et respira longuement. Pâquette murmura:

– Pendant ce temps, l’autre géant me serrait le cou à moi!…

– Diable! dit froidement Pardaillan, la situation manquait de gaieté!…

– Comme vous dites, monsieur le chevalier.

– Et comment fûtes-vous sauvées? Car enfin, vous le fûtes, puisque vous voilà saines et sauves et parfaitement gaillardes.

– Vous allez voir, continua la Roussotte. Quand j’eus la corde au cou, je me mis à réciter en moi-même une prière pour tâcher au moins de sauver mon âme, puisque je ne pouvais plus sauver mon corps. Ayant entrouvert un œil, je vis que les deux géants avaient disparu. Nous étions l’une en face de l’autre, à genoux, chacune avec notre corde au cou. Je ne sais quelle figure je pouvais faire, mais celle de Pâquette m’épouvanta. Je voulus lui parler, mais aucun mot ne sortit de ma gorge. Alors, monsieur le chevalier, oh! alors, il se passa une chose vraiment effrayante. Écoutez… Comme je regardais Pâquette que je voyais blanche comme une morte avec des traits tout retournés, je vis que la corde qu’elle portait au cou et qui était accrochée au plafond par l’autre bout, oui… cette corde se mit à se tendre!… Pâquette poussa un cri comme j’ai entendu quelquefois les chats en pousser de pareils, sur les toits, dans les nuits de mars. Au même instant, elle se mit debout. Et dans ce même instant, je sentis que la corde que j’avais à mon cou se tendait aussi et moi aussi, je poussai le même cri.

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