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Dans le palais mystérieux, au moment où le moine ébloui, extasié, s’était prosterné, Fausta avait laissé tomber sur lui un regard de mépris. Et elle s’était retirée par une porte dérobée, ordonnant à une de ses suivantes de reconduire le moine.

Fausta était entrée dans une pièce voisine de celle où elle avait reçu Jacques Clément. Là, elle avait retrouvé une femme qui l’attendait sans soute avec impatience, car à la vue de Fausta, elle s’avança vivement à sa rencontre. Et si le moine eût été là, il eût reconnu aussitôt le costume de laine blanche et les longs cheveux d’or de l’ange qui venait de lui apparaître. Seulement, les traits de cet ange, de graves et mélancoliques, étaient devenus rieurs, et le visage sceptique de la duchesse de Montpensier eût peut-être alors porté un coup mortel aux croyances du moine.

Quoi qu’il en soit, l’ange s’étant avancé au-devant de Fausta, celle-ci lui prit les deux mains, la baisa au front et lui dit:

– Vous êtes vraiment l’ange de grâce et de beauté souriante dans la terrible bataille où tout est si noir et si triste autour de nous…

– Ainsi, s’écria Marie de Montpensier, il croit vraiment que je suis ange?

Elle éclata de rire, puis tout aussitôt ajouta:

– Pauvre jeune homme!

Et c’était, en somme, une étonnante anomalie que dans cette tête légère et fantasque, se fût logé un projet tragique.

– Il croit que vous êtes l’ange!… Ne l’êtes-vous pas en effet? reprit la Fausta.

– Par ma foi, ma belle souveraine, dit Marie de Montpensier, j’avoue que parfois cela ne laisse pas que de m’effrayer un peu moi-même. Songez donc! Un ange!… Si je me voyais dans un miroir à ce moment-là, je serais capable de m’évanouir de peur…

La Fausta considéra la duchesse avec une gravité qui avait quelque chose de glacial. Et elle dit:

– Bien que votre esprit sacrilège ne puisse concevoir des vérités qui vous échappent, apprenez que vous êtes l’ange désigné, beaucoup plus qu’il ne vous semble à vous-même…

– Mais… balbutia la duchesse interdite et presque frappée de terreur.

– Mais, continua Fausta, il est temps que ce rôle vous soit ôté. Faible comme vous êtes, vous ne pourriez le supporter plus longtemps. À Chartres, ce n’est plus sous forme d’ange que vous paraîtrez au moine Jacques Clément, c’est bien Marie de Montpensier qui achèvera de le conduire…

– Ma foi, murmura la duchesse, j’aime mieux cela! Et puisque ce jeune homme se dévoue pour m’offrir la tête de Valois, je ne sais pas pourquoi je ne l’en récompenserais pas!

– Jacques Clément sera dans la grande procession, reprit négligemment Fausta.

– Je serai donc près de lui pendant la route: car je ferai la route à pied, oui, moi! Que ce soit pour la rémission de mes péchés, au moins!… péchés présents et à venir!

Ayant fait une rapide génuflexion, la duchesse s’éloigna légèrement et bientôt sortit par la grande porte de fer. Quant à Fausta, elle regagna cette pièce qui voisinait avec l’auberge du Pressoir de fer et qui était, comme on l’a déjà vu, sa retraite favorite. Là elle murmura:

– Henri III mourra donc! Le sort est maintenant jeté!… Peut-être eût-il mieux valu qu’il vive et que se réalise le rêve de cette folle Marie de Montpensier… Mais sommes-nous maîtres des événements? Tout concourt à la mort de Valois… qu’il périsse donc!

À ce moment, une de ses suivantes entra et lui dit quelques mots à voix basse. Fausta eut un geste de surprise, mais dit:

– Amène-le-moi, Myrthis»…

La suivante sortit, puis revint quelques instants plus tard, accompagnant un homme qui s’inclina devant Fausta, sans prononcer une parole.

– Eh quoi, dit Fausta avec cette gaieté qu’elle avait quelquefois et qui paraissait n’être que l’expression d’une terrible ironie, eh quoi, sire de Maurevert, est-ce bien vous que je vois! N’avez-vous pas été mis par mon trésorier en possession des cent mille livres convenues?

– Si fait, madame…

– Venez-vous donc déjà chercher cette capitainerie des gardes que je ne puis vous donner, à mon grand regret, que dans un mois?

– Non, madame…

– Alors, comment se fait-il que vous ne soyez pas à l’abbaye de Montmartre?

– Oui, je devrais être auprès de Violetta; mais je vais vous dire, madame: monseigneur Guise m’a positivement défendu de m’approcher de l’abbaye, tant la jalousie le torture…

– Oh! gronda Fausta. Et je voulais la laisser vivre! Qu’elle périsse donc, elle aussi!…

– Je continue, madame, reprit Maurevert, avec lui aussi une sorte d’ironie furieuse, vous devez me connaître, puisque vous avez eu recours à moi. Vous devez donc supposer que malgré la défense de monseigneur Guise, je serais déjà à l’abbaye… j’aurais déjà enlevé ma femme, car elle est ma femme après tout! en un mot, je serais déjà bien loin de Paris avec Violetta…

– C’est un peu ce qui était convenu, dit froidement Fausta.

– Oui, mais il est arrivé un petit événement qui fait que je n’ai plus aucune envie de fuir seul, vu que le duc m’assure une protection efficace.

– Et cet événement?…

– M. de Pardaillan s’est évadé de la Bastille.

Si Maurevert avait pu avoir un soupçon quelconque des sentiments de Fausta à l’égard de Pardaillan, ce soupçon se fût évanoui à l’instant même. En effet, il est impossible de donner une idée de la perfection d’indifférence avec laquelle Fausta accueillit cette nouvelle qui retentit tout à coup à ses oreilles comme un coup de tonnerre: «Pardaillan s’est évadé…»

Et tandis que ses pensées se mettaient à tourbillonner dans un souffle d’affolement, souriante, paisible, avec cette même nuance d’ironie où il y avait pourtant un peu de pitié, elle demanda:

– Pauvre monsieur de Maurevert, qu’allez-vous devenir?

Maurevert grinça des dents. Fausta, d’un seul mot, venait de préciser ce qu’il y avait d’étrange et d’affreux dans sa vie: puisque Pardaillan était libre, qu’allait-il devenir, lui, Maurevert?

Le rêve atroce qui durait depuis seize ans allait se perpétuer! Maurevert n’existait pas en tant que Maurevert!… Il n’était qu’une ombre, moins qu’une ombre, quelque chose comme un de ces feux follets qui courent au caprice des souffles de la terre.

– Ce que je vais devenir? dit-il avec une sorte de soupir de lassitude. Je vous l’ai laissé entendre, madame. Il faut que je m’appuie à Guise. Nous sommes quatre maintenant à haïr cet homme: Guise, Leclerc, Maineville et Maurevert, cela fait quatre haines… quatre épouvantes, si vous voulez…

– Épouvantes? dit Fausta. Vous avez prononcé: épouvantes?… Guise a peur?… Allons, mon cher monsieur de Maurevert, vous prêtez vos sentiments aux autres…

Et descendant en elle-même, Fausta vit qu’il y avait dans son cœur une chose qui n’y était pas auparavant: l’épouvante… Mais aux yeux de Maurevert, elle était toujours la Fausta, forte, invincible et toute puissante. Car rien, non, rien dans son attitude ne pouvait laisser soupçonner qu’à ce moment même ses pensées ressemblaient à ces feuilles de peuplier qu’un ouragan d’automne arrache et emporte éperdues dans les airs bouleversés. Maurevert lui, n’avait ni l’envie ni la force de déguiser ses impressions – son unique impression.

– Madame, gronda-t-il, Guise a peur. Bussi-Leclerc a peur. Maineville a peur. Maurevert a peur. Et c’est cela qui peut nous sauver tous les quatre, c’est d’unir ces quatre épouvantes pour en faire sortir la foudre. Madame, entendez-moi! Guise a vu la mort de près cinquante fois. Je l’ai vu, moi, ôter sa cuirasse et son casque pour marcher à l’ennemi. C’est un héros de bravoure… Bussi-Leclerc s’est battu avec tout ce que Paris compte de spadassins mortels, et il s’est toujours battu en souriant… Maineville a donné, la nuit ou le jour, plus de coups de poignards, plus de coups d’épée qu’il ne compte de mailles à sa chemise d’acier… Moi, madame, je suis Maurevert, et on dit de moi: Maurevert ne craint aucun dieu, et il n’est aucun diable qui ne craigne Maurevert… Et on le dit à juste raison!…

Maurevert jeta autour de lui un regard de haine affreuse, comme s’il eût haï l’humanité tout entière, comme s’il eût espéré que quelqu’un surgirait sur qui il pût faire retomber sa rage.

– Le duc de Guise, madame, nous a dit ceci: «Je crois que tous quatre nous mourrons de la main du damné Pardaillan!» Il n’avait pas besoin de le dire en ce qui me concerne. Voici seize ans que je le sais, moi! Et c’est atroce, madame, au point que j’ai senti la folie m’envahir parfois… Ce n’est pas la peur de la mort, non, puisque je la brave, puisque je l’ai bravée, puisque j’ai voulu me tuer… Pour moi, pour Guise, Pardaillan représente des choses formidables du passé, et c’est pourquoi nous redoutons un avenir terrible tant qu’il vit… Or, il vit, madame… il est libre!…

Ici, Maurevert fit en quelques mots le récit des événements qui s’étaient passés à la Bastille. Ce récit, Fausta l’écouta avec le même calme apitoyé. Maurevert acheva alors:

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