– Oh! mon cher baron, s’exclama Raoul dans l’excès de sa joie.
– Vous approuvez ma méthode, alors? fit le géant.
– Je l’approuve si bien, que j’y aurai recours aujourd’hui, sans retard, à l’instant même. Vous êtes l’homme que je cherchais.
– Bon! me voici; vous voulez vous battre?
– Absolument.
– C’est bien naturel… Avec qui?
– Avec M. de Saint-Aignan.
– Je le connais… un charmant gascon, qui a été fort poli avec moi le jour où j’eus l’honneur de dîner chez le roi. Certes, je lui rendrai sa politesse, même quand ce ne serait pas mon habitude. Ah çà! il vous a donc offensé?
– Mortellement.
– Diable! Je pourrai dire mortellement?
– Plus encore, si vous voulez.
– C’est bien commode.
– Voilà une affaire tout arrangée, n’est-ce pas? dit Raoul en souriant.
– Cela va de soi… Où l’attendez-vous?
– Ah! pardon, c’est délicat. M. de Saint-Aignan est fort ami du roi.
– Je l’ai ouï dire.
– Et si je le tue?
– Vous le tuerez certainement. C’est à vous de vous précautionner; mais, maintenant, ces choses-là ne souffrent pas de difficultés. Si vous eussiez vécu de notre temps, à la bonne heure!
– Cher ami vous ne m’avez pas compris. Je veux dire que, M. de Saint-Aignan étant un ami du roi, l’affaire sera plus difficile à engager, attendu que le roi peut savoir à l’avance…
– Eh! non pas! Ma méthode, vous savez bien: «Monsieur, vous avez offensé mon ami, et…»
– Oui, je le sais.
– Et puis: «Monsieur, le cheval est en bas.» Je l’emmène donc avant qu’il ait parlé à personne.
– Se laissera-t-il emmener comme cela?
– Pardieu! je voudrais bien voir! Il serait le premier. Il est vrai que les jeunes gens d’aujourd’hui… Mais bah! je l’enlèverai s’il le faut.
Et Porthos, joignant le geste à la parole, enleva Raoul et sa chaise.
– Très bien, dit le jeune homme en riant. Il nous reste à poser la question à M. de Saint-Aignan.
– Quelle question?
– Celle de l’offense.
– Eh bien! mais, c’est fait, ce me semble.
– Non, mon cher monsieur du Vallon, l’habitude chez nous autres gens d’aujourd’hui, comme vous dites, veut qu’on s’explique les causes de l’offense.
– Par votre nouvelle méthode, oui. Eh bien! alors, contez-moi votre affaire…
– C’est que…
– Ah dame! voilà l’ennui! Autrefois, nous n’avions jamais besoin de conter. On se battait parce qu’on se battait. Je ne connais pas de meilleure raison, moi.
– Vous êtes dans le vrai, mon ami.
– J’écoute vos motifs.
– J’en ai trop à raconter. Seulement, comme il faut préciser…
– Oui, oui, diable! avec la nouvelle méthode.
– Comme il faut, dis-je, préciser; comme, d’un autre côté l’affaire est pleine de difficultés et commande un secret absolu…
– Oh! oh!
– Vous aurez l’obligeance de dire seulement à M. de Saint-Aignan, et il le comprendra, qu’il m’a offensé: d’abord, en déménageant.
– En déménageant?… Bien, fit Porthos, qui se mit à récapituler sur ses doigts. Après?
– Puis en faisant construire une trappe dans son nouveau logement.
– Je comprends, dit Porthos; une trappe. Peste! c’est grave! Je crois bien que vous devez être furieux de cela! Et pourquoi ce drôle ferait-il faire des trappes sans vous avoir consulté? Des trappes!… mordioux!… Je n’en ai pas, moi, si ce n’est mon oubliette de Bracieux!
– Vous ajouterez, dit Raoul, que mon dernier motif de me croire outragé, c’est le portrait que M. de Saint-Aignan sait bien.
– Eh! mais, encore un portrait?… Quoi! un déménagement, une trappe et un portrait? Mais, mon ami, dit Porthos, avec l’un de ces griefs seulement, il y a de quoi faire s’entr’égorger toute la gentilhommerie de France et d’Espagne, ce qui n’est pas peu dire.
– Ainsi, cher, vous voilà suffisamment muni?
– J’emmène un deuxième cheval. Choisissez votre lieu de rendez-vous, et, pendant que vous attendrez, faites des plies et fendez-vous à fond, cela donne une élasticité rare.
– Merci! J’attendrai au bois de Vincennes, près des Minimes.
– Voilà qui va bien… Où trouve-t-on ce M. de Saint-Aignan?
– Au Palais-Royal.
Porthos agita une grosse sonnette. Son valet parut.
– Mon habit de cérémonie, dit-il; mon cheval et un cheval de main.
Le valet s’inclina et sortit.
– Votre père sait-il cela? dit Porthos.
– Non; je vais lui écrire.
– Et d’Artagnan?
– M. d’Artagnan non plus. Il est prudent, il m’aurait détourné.
– D’Artagnan est homme de bon conseil, cependant, dit Porthos étonné, dans sa modestie loyale qu’on eût songé à lui quand il y avait un d’Artagnan au monde.
– Cher monsieur du Vallon, répliqua Raoul, ne me questionnez plus, je vous en conjure. J’ai dit tout ce que j’avais à dire. C’est l’action que j’attends; je l’attends rude et décisive, comme vous savez les préparer. Voilà pourquoi je vous ai choisi.
– Vous serez content de moi, répliqua Porthos.
– Et songez, cher ami, que, hors nous, tout le monde doit ignorer cette rencontre.
– On s’aperçoit toujours de ces choses-là, dit Porthos quand on trouve un corps mort dans le bois. Ah! cher ami, je vous promets tout, hors de dissimuler le corps mort. Il est là, on le voit, c’est inévitable. J’ai pour principe de ne pas enterrer. Cela sent son assassin. Au risque de risque, comme dit le Normand.
– Brave et cher ami, à l’ouvrage!
– Reposez-vous sur moi, dit le géant en finissant la bouteille, tandis que son laquais étalait sur un meuble le somptueux habit et les dentelles.
Quant à Raoul, il sortit en se disant avec une joie.
«Oh! roi perfide! roi traître! je ne puis t’atteindre! Je ne le veux pas! Les rois sont des personnes sacrées; mais ton complice, ton complaisant, qui te représente, ce lâche va payer ton crime! Je le tuerai en ton nom, et, après, nous songerons à Louise!»