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Porthos passa dans la salle voisine, où il trouva son jeune ami dans les dispositions que nous connaissons.

Raoul vint serrer la main de Porthos, qui, surpris de sa gravité, lui offrit un siège.

– Cher monsieur du Vallon, dit Raoul, j’ai un service à vous demander.

– Cela tombe à merveille, mon jeune ami, répliqua Porthos. On m’a envoyé huit mille livres, ce matin, de Pierrefonds, et, si c’est d’argent que vous avez besoin…

– Non, ce n’est pas d’argent; merci, mon excellent ami.

– Tant pis! J’ai toujours entendu dire que c’est là le plus rare des services, mais le plus aisé à rendre. Ce mot m’a frappé; j’aime à citer les mots qui me frappent.

– Vous avez un cœur aussi bon que votre esprit est sain.

– Vous êtes trop bon. Vous dînerez bien, peut-être?

– Oh! non, je n’ai pas faim.

– Hein! Quel affreux pays que l’Angleterre?

– Pas trop; mais…

– Voyez-vous, si l’on n’y trouvait pas l’excellent poisson et la belle viande qu’il y a, ce ne serait pas supportable.

– Oui… je venais…

– Je vous écoute. Permettez seulement que je me rafraîchisse. On mange salé à Paris. Pouah!

Et Porthos se fit apporter une bouteille de vin de Champagne.

Puis, ayant rempli avant le sien le verre de Raoul, il but un large coup, et, satisfait, il reprit:

– Il me fallait cela pour vous entendre sans distraction. Me voici tout à vous. Que demandez-vous, cher Raoul? que désirez-vous?

– Dites-moi votre opinion sur les querelles, mon cher ami.

– Mon opinion?… Voyons, développez un peu votre idée, répondit Porthos en se grattant le front.

– Je veux dire: Êtes-vous d’un bon naturel quand il y a démêlé entre vos amis et des étrangers?

– Oh! d’un naturel excellent, comme toujours.

– Fort bien; mais que faites-vous alors?

– Quand mes amis ont des querelles, j’ai un principe.

– Lequel?

– C’est que le temps perdu est irréparable, et que l’on n’arrange jamais aussi bien une affaire que lorsque l’on a encore l’échauffement de la dispute.

– Ah! vraiment, voilà votre principe?

– Absolument. Aussi, dès que la querelle est engagée, je mets les parties en présence.

– Oui-da?

– Vous comprenez que, de cette façon, il est impossible qu’une affaire ne s’arrange pas.

– J’aurais cru, dit avec étonnement Raoul, que, prise ainsi, une affaire devait, au contraire…

– Pas le moins du monde. Songez que j’ai eu, dans ma vie, quelque chose comme cent quatre-vingts à cent quatre-vingt-dix duels réglés, sans compter les prises d’épées et les rencontres fortuites.

– C’est un beau chiffre, dit Raoul en souriant malgré lui.

– Oh! ce n’est rien; moi, je suis si doux!… D’Artagnan compte ses duels par centaines. Il est vrai qu’il est dur et piquant, je le lui ai souvent répété.

– Ainsi, reprit Raoul, vous arrangez d’ordinaire les affaires que vos amis vous confient?

– Il n’y a pas d’exemple que je n’aie fini par en arranger une, dit Porthos avec mansuétude et une confiance qui firent bondir Raoul.

– Mais, dit-il, les arrangements sont-ils au moins honorables?

– Oh! je vous en réponds; et, à ce propos, je vais vous expliquer mon autre principe. Une fois que mon ami m’a remis sa querelle, voici comme je procède: je vais trouver son adversaire sur-le-champ; je m’arme d’une politesse et d’un sang-froid qui sont de rigueur en pareille circonstance.

– C’est à cela, dit Raoul avec amertume, que vous devez d’arranger si bien et si sûrement les affaires?

– Je le crois. Je vais donc trouver l’adversaire et je lui dis: «Monsieur, il est impossible que vous ne compreniez pas à quel point vous avez outragé mon ami.»

Raoul fronça le sourcil.

– Quelquefois, souvent même, poursuivit Porthos, mon ami n’a pas été offensé du tout; il a même offensé le premier: vous jugez si mon discours est adroit.

Et Porthos éclata de rire.

«Décidément, se disait Raoul pendant que retentissait le tonnerre formidable de cette hilarité, décidément j’ai du malheur. De Guiche me bat froid, d’Artagnan me raille, Porthos est mou: nul ne veut arranger cette affaire à ma façon. Et moi qui m’étais adressé à Porthos pour trouver une épée au lieu d’un raisonnement!… Ah! quelle mauvaise chance!»

Porthos se remit, et continua:

– J’ai donc, par un seul mot, mis l’adversaire dans son tort.

– C’est selon, dit distraitement Raoul.

– Non pas, c’est sûr. Je l’ai mis dans son tort; c’est à ce moment que je déploie toute ma courtoisie, pour aboutir à l’heureuse issue de mon projet. Je m’avance donc d’une mine affable, et, prenant la main de l’adversaire…

– Oh! fit Raoul impatient.

– «Monsieur, lui dis-je, à présent que vous êtes convaincu de l’offense, nous sommes assurés de la réparation. Entre mon ami et vous, c’est désormais un échange de gracieux procédés. En conséquence, je suis chargé de vous donner la longueur de l’épée de mon ami.»

– Hein? fit Raoul.

– Attendez donc!… «La longueur de l’épée de mon ami. J’ai un cheval en bas; mon ami est à tel endroit, qui attend impatiemment votre aimable présence; je vous emmène; nous prenons votre témoin en passant, l’affaire est arrangée.»

– Et, dit Raoul pâle de dépit, vous réconciliez les deux adversaires sur le terrain?

– Plaît-il? interrompit Porthos. Réconcilier? pour quoi faire?

– Vous dites que l’affaire est arrangée…

– Sans doute, puisque mon ami attend.

– Eh bien! quoi! s’il attend…

– Eh bien! s’il attend, c’est pour se délier les jambes. L’adversaire, au contraire, est encore tout roide du cheval; on s’aligne, et mon ami tue l’adversaire. C’est fini.

– Ah! il le tue? s’écria Raoul.

– Pardieu! dit Porthos, est-ce que je prends jamais pour amis des gens qui se font tuer? J’ai cent et un amis, à la tête desquels sont M. votre père, Aramis et d’Artagnan, tous gens fort vivants, je crois!

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