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– Oui, oui, dit Fouquet, qui commençait à comprendre les intentions d’Aramis.

Vanel resta muet: il avait compris.

Aramis remarqua cette froideur et cette abstention.

«Bon! se dit-il, laide face, tu fais le discret jusqu’à ce que tu connaisses la somme; mais, ne crains rien, je vais t’envoyer une telle volée d’écus, que tu capituleras.»

– Il faut tout de suite offrir à M. Vanel cent mille écus, dit Fouquet emporté par sa générosité.

La somme était belle. Un prince se fût contenté d’un pareil pot-de-vin. Cent mille écus, à cette époque, étaient la dot d’une fille de roi.

Vanel ne bougea pas.

«C’est un coquin, pensa l’évêque; il lui faut les cinq cent mille livres toutes rondes.» Et il fit un signe à Fouquet.

– Vous semblez avoir dépensé plus que cela, cher monsieur Vanel, dit le surintendant. Oh! l’argent est hors de prix. Oui, vous aurez fait un sacrifice en vendant cette terre. Eh bien! où avais-je la tête? C’est un bon de cinq cent mille livres que je vais vous signer. Encore serai-je bien votre obligé de tout mon cœur.

Vanel n’eut pas un éclat de joie ou de désir. Sa physionomie resta impassible, et pas un muscle de son visage ne bougea.

Aramis envoya un regard désespéré à Fouquet. Puis, s’avançant vers Vanel, il le prit par le haut de son pourpoint avec le geste familier aux hommes d’une grande importance.

– Monsieur Vanel, dit-il ce n’est pas la gêne, ce n’est pas le déplacement d’argent, ce n’est pas la vente de votre terre qui vous occupent; c’est une plus haute idée. Je la comprends. Notez bien mes paroles.

– Oui, monseigneur.

Et le malheureux commençait à trembler; le feu des yeux du prélat le dévorait.

– Je vous offre donc, moi, au nom du surintendant, non pas trois cent mille livres, non pas cinq cent mille, mais un million. Un million, entendez-vous?

Et il le secoua nerveusement.

– Un million! répéta Vanel tout pâle.

– Un million, c’est-à-dire, par le temps qui court, soixante-six mille livres de revenu.

– Allons, monsieur, dit Fouquet, cela ne se refuse pas.

Répondez donc; acceptez-vous?

– Impossible… murmura Vanel.

Aramis pinça ses lèvres, et quelque chose comme un nuage blanc passa sur sa physionomie.

On devinait la foudre derrière ce nuage. Il ne lâchait point Vanel.

– Vous avez acheté la charge quinze cent mille livres, n’est-ce pas? Eh bien! on vous donnera ces quinze cent mille livres; vous aurez gagné un million et demi à venir visiter M. Fouquet et à lui toucher la main. Honneur et profit tout à la fois, monsieur Vanel.

– Je ne puis, répondit Vanel sourdement.

– Bien! répondit Aramis, qui avait tellement serré le pourpoint qu’au moment où il le lâcha Vanel fut renvoyé en arrière par la commotion; bien! on voit assez clairement ce que vous êtes venu faire ici.

– Oui, on le voit, dit Fouquet.

– Mais… dit Vanel en essayant de se redresser devant la faiblesse de ces deux hommes d’honneur.

– Le coquin élève la voix, je pense! dit Aramis avec un ton d’empereur.

– Coquin? répéta Vanel.

– C’est misérable que je voulais dire, ajouta Aramis revenu au sang-froid. Allons, tirez vite votre acte de vente, monsieur; vous devez l’avoir là dans quelque poche, tout préparé, comme l’assassin tient son pistolet ou son poignard caché sous son manteau.

Vanel grommela.

– Assez! cria Fouquet. Cet acte, voyons!

Vanel fouilla en tremblotant dans sa poche; il en retira son portefeuille, et du portefeuille s’échappa un papier, tandis que Vanel offrait l’autre à Fouquet.

Aramis fondit sur ce papier, dont il venait de reconnaître l’écriture.

– Pardon, c’est la minute de l’acte, dit Vanel.

– Je le vois bien, repartit Aramis avec un sourire plus cruel que n’eût été un coup de fouet, et, ce que j’admire c’est que cette minute est de la main de M. Colbert. Tenez, monseigneur, regardez.

Il passa la minute à Fouquet, lequel reconnut la vérité du fait. Surchargé de ratures, de mots ajoutés, les marges toutes noircies, cet acte, vivant témoignage de la trame de Colbert, venait de tout révéler à la victime.

– Eh bien? murmura Fouquet.

Vanel, atterré, semblait chercher un trou profond pour s’y engloutir.

– Eh bien! dit Aramis, si vous ne vous appeliez Fouquet, et si votre ennemi ne s’appelait Colbert; si vous n’aviez en face que ce lâche voleur que voici, je vous dirais: Niez… une pareille preuve détruit toute parole; mais ces gens-là croiraient que vous avez peur; ils vous craindraient moins; tenez, monseigneur.

Il lui présenta la plume.

– Signez, dit-il.

Fouquet serra la main d’Aramis; mais, au lieu de l’acte qu’on lui présentait, il prit la minute.

– Non, pas ce papier, dit vivement Aramis, mais celui-ci, l’autre est trop précieux pour que vous ne le gardiez point.

– Oh! non pas, répliqua Fouquet, je signerai sur l’écriture même de M. Colbert, et j’écris: «Approuvé l’écriture.»

Il signa.

– Tenez, monsieur Vanel, dit-il ensuite.

Vanel saisit le papier, donna son argent et voulut s’enfuir.

– Un moment! dit Aramis. Êtes-vous bien sûr qu’il y a le compte de l’argent? Cela se compte, monsieur Vanel, surtout quand c’est de l’argent que M. Colbert donne aux femmes. Ah! c’est qu’il n’est pas généreux comme M. Fouquet, ce digne M. Colbert.

Et Aramis, épelant chaque mot, chaque lettre du bon à toucher, distilla toute sa colère et tout son mépris goutte à goutte sur le misérable, qui souffrit un demi-quart d’heure ce supplice; puis on le renvoya, non pas même de la voix, mais d’un geste, comme on renvoie un manant, comme on chasse un laquais.

Une fois que Vanel fut parti, le ministre et le prélat, les yeux fixés l’un sur l’autre, gardèrent un instant le silence.

– Eh bien! fit Aramis rompant le silence le premier, à quoi comparez-vous un homme qui, devant combattre un ennemi cuirassé, armé, enragé, se met nu, jette ses armes et envoie des baisers gracieux à l’adversaire? La bonne foi, monsieur Fouquet, c’est une arme dont les scélérats usent souvent contre les gens de bien, et elle leur réussit. Les gens de bien devraient donc user aussi de mauvaise foi contre les coquins. Vous verriez comme ils seraient forts sans cesser d’être honnêtes.

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