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Vanel était visiblement ému. Il s’avança jusqu’au milieu du cabinet, saluant tout et tous.

– Je viens… dit-il.

Fouquet fit un signe de tête.

– Vous êtes exact, monsieur Vanel, dit-il.

– En affaires, monseigneur, répondit Vanel, je crois que l’exactitude est une vertu.

– Oui, monsieur.

– Pardon, interrompit Aramis, en désignant du doigt Vanel et s’adressant à Fouquet; pardon, c’est Monsieur qui se présente pour acheter une charge, n’est-ce pas?

– C’est moi, répondit Vanel, étonné du ton de suprême hauteur avec lequel Aramis avait fait la question. Mais comment dois-je appeler celui qui me fait l’honneur?…

– Appelez-moi monseigneur, répondit sèchement Aramis.

Vanel s’inclina.

– Allons, allons, messieurs, dit Fouquet, trêve de cérémonies; venons au fait.

– Monseigneur le voit, dit Vanel, j’attends son bon plaisir.

– C’est moi qui, au contraire, attendais, répondit Fouquet.

– Qu’attendait monseigneur?

– Je pensais que vous aviez peut-être quelque chose à me dire.

«Oh! oh! murmura Vanel en lui-même, il a réfléchi, je suis perdu!»

Mais, reprenant courage:

– Non, monseigneur, rien, absolument rien que ce que je vous ai dit hier et que je suis prêt à vous répéter.

– Voyons, franchement, monsieur Vanel, le marché n’est-il pas un peu lourd pour vous, dites?

– Certes, monseigneur, quinze cent mille livres, c’est une somme importante.

– Si importante, dit Fouquet, que j’avais réfléchi…

– Vous aviez réfléchi, monseigneur? s’écria vivement Vanel.

– Oui, que vous n’êtes peut-être pas encore en mesure d’acheter.

– Oh! monseigneur!…

– Tranquillisez-vous, monsieur Vanel, je ne vous blâmerai pas d’un manque de parole qui tiendra évidemment à votre impuissance.

– Si fait, monseigneur, vous me blâmeriez, et vous auriez raison, dit Vanel; car c’est d’un imprudent ou d’un fou de prendre des engagements qu’il ne peut pas tenir, et j’ai toujours regardé une chose convenue comme une chose faite.

Fouquet rougit. Aramis fit un hum! d’impatience.

– Il ne faudrait pas cependant vous exagérer ces idées-là, monsieur, dit le surintendant; car l’esprit de l’homme est variable et plein de petits caprices fort excusables, fort respectables même parfois; et tel a désiré hier, qui aujourd’hui se repent.

Vanel sentit une sueur froide couler de son front sur ses joues.

– Monseigneur!… balbutia-t-il.

Quant à Aramis, heureux de voir le surintendant se poser avec tant de netteté dans le débat, il s’accouda au marbre d’une console, et commença de jouer avec un petit couteau d’or à manche de malachite.

Fouquet prit son temps; puis, après un moment de silence:

– Tenez, mon cher monsieur Vanel, dit-il, je vais vous expliquer la situation.

Vanel frémit.

– Vous êtes un galant homme, continua Fouquet, et comme moi, vous comprendrez.

Vanel chancela.

– Je voulais vendre hier.

– Monseigneur avait fait plus que de vouloir vendre, monseigneur avait vendu.

– Eh bien, soit! mais aujourd’hui, je vous demande comme une faveur de me rendre la parole que vous aviez reçue de moi.

– Cette parole, je l’ai reçue, dit Vanel, comme un inflexible écho.

– Je le sais. Voilà pourquoi je vous supplie, monsieur Vanel, entendez vous? je vous supplie de me la rendre…

Fouquet s’arrêta. Ce mot: je vous supplie, dont il ne voyait pas l’effet immédiat, ce mot venait de lui déchirer la gorge au passage.

Aramis, toujours jouant avec son couteau, fixait sur Vanel des regards qui semblaient vouloir pénétrer jusqu’au fond de son âme.

Vanel s’inclina.

– Monseigneur, dit-il, je suis bien ému de l’honneur que vous me faites de me consulter sur un fait accompli; mais…

– Ne dites pas de mais, cher monsieur Vanel.

– Hélas! monseigneur, songez donc que j’ai apporté l’argent; je veux dire la somme.

Et il ouvrit un gros portefeuille.

– Tenez, monseigneur, dit-il, voilà le contrat de la vente que je viens de faire d’une terre de ma femme. Le bon est autorisé, revêtu des signatures nécessaires, payable à vue; c’est de l’argent comptant; l’affaire est faite en un mot.

– Mon cher monsieur Vanel, il n’est point d’affaire en ce monde, si importante qu’elle soit, qui ne se remette pour obliger…

– Certes… murmura gauchement Vanel.

– Pour obliger un homme dont on se fera ainsi l’ami, continua Fouquet.

– Certes, monseigneur.

– D’autant plus légitimement l’ami, monsieur Vanel, que le service rendu aura été plus considérable. Eh bien! voyons, monsieur, que décidez-vous?

Vanel garda le silence.

Pendant ce temps, Aramis avait résumé ses observations.

Le visage étroit de Vanel, ses orbites enfoncées, ses sourcils ronds comme des arcades, avaient décelé à l’évêque de Vannes un type d’avare et d’ambitieux. Battre en brèche une passion par une autre, telle était la méthode d’Aramis. Il vit Fouquet vaincu, démoralisé; il se jeta dans la lutte avec des armes nouvelles.

– Pardon, dit-il, monseigneur; vous oubliez de faire comprendre à M. Vanel et que ses intérêts sont diamétralement opposés à cette renonciation de la vente.

Vanel regarda l’évêque avec étonnement; il ne s’attendait pas à trouver là un auxiliaire. Fouquet aussi s’arrêta pour écouter l’évêque.

– Ainsi, continua Aramis, M. Vanel a vendu pour acheter votre charge, monseigneur, une terre de Mme sa femme; eh bien! c’est une affaire, cela; on ne déplace pas comme il l’a fait quinze cent mille livres sans de notables pertes, sans de graves embarras.

– C’est vrai, dit Vanel, à qui Aramis, avec ses lumineux regards, arrachait la vérité du fond du cœur.

– Des embarras, poursuivit Aramis, se résolvent en dépenses, et, quand on fait une dépense d’argent, les dépenses d’argent se cotent au N° 1, parmi les charges.

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