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Notre Mère

Nous sommes dans le jardin. Une Jeep militaire s'arrête devant la maison. Notre Mère en descend, suivie d'un officier étranger. Ils traversent le jardin presque en courant. Notre Mère tient un bébé dans les bras. Elle nous voit, elle crie:

– Venez! Venez vite dans la Jeep. Nous partons. Dépêchez-vous. Laissez vos affaires et venez!

Nous demandons:

– Il est à qui, le bébé?

Elle dit:

– C'est votre petite sœur. Venez! Il n'y a pas de temps à perdre.

Nous demandons:

– Où allons-nous?

– Dans l'autre pays. Arrêtez de poser des questions et venez.

Nous disons:

– Nous ne voulons pas y aller. Nous voulons rester ici.

Notre Mère dit:

– Je suis obligée d'y aller. Et vous viendrez avec moi.

– Non. Nous resterons ici.

Grand-Mère sort de la maison. Elle dit à notre Mère:

– Qu'est-ce que tu fais là? Qu'est-ce que tu tiens dans tes bras?

Notre Mère dit:

– Je suis venue chercher mes fils. Je vous enverrai de l'argent, mère.

Grand-Mère dit:

– Je ne veux pas de ton argent. Et je ne te rendrai pas les garçons.

Notre Mère demande à l'officier de nous emmener de force. Nous grimpons vite dans le galetas par la corde. L'officier essaie de nous saisir, mais nous lui donnons des coups de pied au visage. L'officier jure. Nous remontons la corde.

Grand-Mère ricane.:

– Tu vois, ils ne veulent pas aller avec toi.

Notre Mère crie très fort:

– Je vous ordonne de descendre immédiatement!

Grand-Mère dit:

– Ils n'obéissent jamais aux ordres.

Notre Mère se met à pleurer:

– Venez, mes chéris. Je ne peux pas partir sans vous.

Grand-Mère dit:

– Ton bâtard étranger ne te suffit pas?

Nous disons:

– Nous sommes bien ici, Mère. Partez tranquillement. Nous sommes très bien chez Grand-Mère.

On entend le tir des canôns et des mitrailleuses.

L'officier prend notre Mère par les épaules et la tire vers la voiture. Mais Mère se dégage:

– Ce sont mes fils, je les veux! Je les aime!

Grand-Mère dit:

– Moi, j'ai besoin d'eux. Je suis vieille. Toi, tu peux encore en faire d'autres. La preuve!

Mère dit:

– Je vous en supplie, ne les retenez pas.

Grand-Mère dit:

– Je ne les retiens pas. Allons, les garçons, descendez tout de suite et partez avec votre maman.

Nous disons:

– Nous ne voulons pas partir. Nous voulons rester avec vous, Grand-Mère.

L'officier prend notre Mère dans ses bras, mais elle le repousse. L'officier va s'asseoir dans la Jeep et met le moteur en marche. A ce moment précis, une explosion se produit dans le jardin. Tout de suite après, nous voyons notre Mère à terre. L'officier court vers elle. Grand-Mère veut nous écarter. Elle dit:

– Ne regardez pas! Rentrez dans la maison!

L'officier jure, court à sa Jeep et part en trombe.

Nous regardons notre Mère. Ses boyaux lui sortent du ventre. Elle est rouge partout. Le bébé aussi. La tête de notre Mère pend dans le trou qu'a creusé l'obus. Ses yeux sont ouverts et encore mouillés de larmes.

Grand-Mère dit:

– Allez chercher la bêche!

Nous posons une couverture au fond du trou, nous couchons notre Mère dessus. Le bébé est toujours serré sur sa poitrine. Nous les recouvrons avec une autre couverture, puis nous comblons le trou.

Quand notre cousine rentre de la ville, elle demande:

– Il s'est passé quelque chose?

Nous disons:

– Oui, un obus a fait un trou dans le jardin.

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