C'est dimanche. Nous attrapons un poulet et nous lui coupons la gorge comme nous avons vu Grand-Mère le faire. Nous apportons le poulet à la cuisine et nous disons:
– Il faut le cuire, Grand-Mère.
Elle se met à crier:
– Qui vous a permis? Vous n'en avez pas le droit. C'est moi qui commande ici, espèce de petits merdeux! Je ne le cuirai pas! Je préfère crever!
Nous disons:
– C'est égal. Nous le cuirons nous-mêmes.
Nous commençons à plumer le poulet, mais Grand-Mère nous l'arrache des mains:
– Vous ne savez pas vous y prendre! Petits saligauds, misère de ma vie, la punition du bon Dieu, voilà ce qui vous êtes!
Pendant que le poulet cuit, Grand-Mère pleure:
– C'était le plus beau. Ils ont pris exprès le plus beau. Il était juste prêt pour le marché de mardi.
En mangeant le poulet, nous disons:
– Il est très bon, ce poulet. Nous en mangerons tous les dimanches.
– Tous les dimanches? Vous êtes fous! Vous voulez ma ruine?
– Nous mangerons un poulet tous les dimanches, que vous le vouliez ou non.
Grand-Mère se remet à pleurer:
– Mais qu'est-ce que je leur ai fait? Misère de misère! Ils veulent ma mort. Une pauvre vieille femme sans défense. Je n'ai pas mérité ça. Moi qui suis si bonne pour eux!
– Oui, Grand-Mère, vous êtes bonne, très bonne. Aussi, c'est par bonté que vous nous cuirez un poulet tous les dimanches.
Quand elle s'est un peu calmée, nous lui disons encore:
– Quand il y aura quelque chose à tuer, il faudra nous appeler. C'est nous qui le ferons.
Elle dit:
– Vous aimez bien ça, hein?
– Non, Grand-Mère, justement, nous n'aimons pas ça. C'est pour cette raison que nous devons nous y habituer.
Elle dit:
– Je vois. C'est un nouvel exercice. Vous avez raison. Il faut savoir tuer quand c'est nécessaire.
Nous commençons par les poissons. Nous les prenons par la queue et nous frappons leur tête contre une pierre. Nous nous habituons vite à tuer les animaux destinés à être mangés: poules, lapins, canards. Plus tard, nous tuons des animaux qu'il ne serait pas nécessaire de tuer. Nous attrapons des grenouilles nous les clouons sur une planche et nous leur ouvrons le ventre.
Nous attrapons aussi des papillons, nous les épinglons sur un carton. Bientôt, nous avons une belle collection.
Un jour, nous pendons à la branche d'un arbre notre chat, un mâle roux. Pendu, le chat s'allonge, devient enorme. Il a des soubresauts, des convulsions. Quand il ne bouge plus, nous le dépendons. Il reste étalé sur l'herbe, immobile, puis, brusquement, se relève et s'enfuit.
Depuis, nous l'apercevons parfois de loin, mais il ne s'approche plus de la maison. Il ne vient même pas boire le lait que nous mettons devant la porte dans une petite assiette.
Grand-Mère nous dit:
– Ce chat devient de plus en plus sauvage.
Nous disons:
– Ne vous en faites pas, Grand-Mère, nous nous occupons des souris.
Nous fabriquons des trappes, et les souris qui s'y laissent prendre nous les noyons dans de l'eau bouillante.