Nous prenons notre petit déjeuner avec Grand-Mère. Un homme entre dans la cuisine sans frapper. Il montre sa carte de la police.
Aussitôt, Grand-Mère se met à crier:
– Je ne veux pas de la police chez moi! Je n'ai rien fait!
Le policier dit:
– Non, rien, jamais. Juste quelques petits poisons par ci, par-là.
Grand-Mère dit:
– Rien n'a été prouvé. Vous ne pouvez rien contre moi.
Le policier dit:
– Calmez-vous, Grand-Mère. On ne va pas déterrer les morts. On a déjà de la peine à les enterrer.
– Alors, qu'est-ce que vous voulez?
Le policier nous regarde et dit:
– Le fruit ne tombe pas loin de son arbre. Grand-Mère nous regarde aussi:
– J'espère bien. Qu'avez-vous encore fait, fils de chienne?
Le policier demande:
– Où étiez-vous hier soir?
Nous répondons:
– Ici.
– Vous ne traîniez pas dans les bistrots, comme d'habitude?
– Non. Nous sommes restés ici parce que Grand-Mère a eu un accident.
Grand-Mère dit très vite:
– Je suis tombée en descendant à la cave. Les marches sont moussues, j'ai glissé. Je me suis cogné la tête. Les petits m'ont remontée, ils m'ont soignée. Ils sont restés auprès de moi toute la nuit.
Le policier dit:
– Vous avez une méchante bosse, je vois. Il faut être prudente à votre âge. Bon. Nous allons fouiller la maison. Venez tous les trois. Nous commencerons par la cave.
Grand-Mère ouvre la porte de la cave; nous y descendons. Le policier déplace tout, les sacs, les bidons, les paniers, le tas de pommes de terre.
Grand-Mère nous demande à voix basse:
– Qu'est-ce qu'il cherche?
Nous haussons les épaules.
Après la cave, le policier fouille la cuisine. Puis Grand-Mère doit ouvrir sa chambre. Le policier défait son lit. Il n'y a rien dans le lit, ni dans la paillasse, juste un peu de monnaie sous l'oreiller.
Devant la porte de la chambre de l'officier, le policier demande:
– C'est quoi, ici?
Grand-Mère dit:
– C'est une chambre que je loue à un officier étranger. Je n'en ai pas la clé.
Le policier regarde la porte du galetas:
– Vous n'avez pas une échelle?
Grand-Mère dit:
– Elle est cassée.
– Comment y montez-vous?
– Je n'y monte pas. Seuls les petits y montent. Le policier dit:
– Alors, allons-y, les petits.
Nous grimpons dans le galetas à l'aide de la corde. Le policier ouvre le coffre où nous rangeons les objets nécessaires à nos études: Bible, dictionnaire, papier, crayons et le Grand Cahier où tout est écrit. Mais le policier n'est pas venu pour lire. Il inspecte encore le tas de vieux habits et de couvertures et nous redescendons. Une fois en bas, le policier regarde autour de lui et dit:
– Je ne peux évidemment pas retourner tout le jardin. Bon. Venez avec moi.
Il nous conduit dans la forêt, au bord du grand trou où nous avions trouvé un cadavre. Le cadavre n'est plus là. Le policier demande:
– Vous êtes déjà venus jusqu'ici?
– Non. Jamais. Nous aurions peur d'aller si loin.
– Vous n'avez jamais vu ce trou, ni un soldat mort?
– Non, jamais.
– Quand on a trouvé ce soldat mort, il lui manquait son fusil, ses cartouches, ses grenades.
Nous disons:
– Il devait être bien distrait et négligent, ce soldat, pour avoir perdu tous ces objets indispensables à un militaire.
Le policier dit:
– Il ne les a pas perdus. Ils lui ont été volés après sa mort. Vous qui venez souvent dans la forêt, vous n'auriez pas une idée sur la question?
– Non. Aucune idée.
– Pourtant, quelqu'un a bien dû prendre ce fusil, ces cartouches, ces grenades.
Nous disons:
– Qui oserait toucher à des objets aussi dangereux?