Avec nos bottes, nos habits chauds, nous pouvons de nouveau sortir. Nous faisons des glissades sur la rivière gelée, nous allons chercher du bois dans la forêt.
Nous prenons une hache et une scie. On ne peut plus ramasser le bois mort tombé à terre; la couche de neige est trop épaisse. Nous grimpons sur les arbres, nous scions les branches mortes et nous les débitons à la hache. Pendant ce travail, nous n'avons pas froid. Même, nous transpirons. Ainsi pouvons-nous enlever nos gants et les mettre dans nos poches pour qu'ils ne s'usent pas trop vite.
Un jour, en rentrant avec nos deux fagots, nous faisons un détour pour aller voir Bec-de-Lièvre.
La neige n'est pas déblayée devant la masure et aucune trace de pas n'y mène. La cheminée ne fume pas.
Nous frappons à la porte, personne ne répond. Nous entrons. D'abord, nous ne voyons rien, tellement il fait sombre, mais nos yeux s 'habituent vite à l'obscurité.
C'est une pièce qui sert de cuisine et de chambre à coucher. Dans le coin le plus sombre, il y a un lit. Nous nous approchons. Nous appelons. Quelqu'un bouge sous les couvertures et les vieux habits; la tête de Bec-de-Lièvre en émerge.
Nous demandons:
– Ta mère est là?
Elle dit:
– Oui.
– Est-elle morte?
– Je ne sais pas.
Nous posons nos fagots et nous allumons le feu dans le fourneau, car il fait aussi froid dans la chambre que dehors. Ensuite, nous allons chez Grand-Mère et nous prenons à la cave des pommes de terre et des haricots secs. Nous trayons une chèvre et nous retournons chez la voisine. Nous chauffons le lait, nous faisons fondre de la neige dans une casserole et nous y cuisons les haricots. Les pommes de terre, nous les rôtissons au four. Bec-de-Lièvre se lève et, chancelante, vient s'asseoir près du feu.
La voisine n'est pas morte. Nous lui versons du lait de chèvre dans la bouche. Nous disons à Bec-de-Lièvre:
– Quand tout sera cuit, mange et donne à manger à ta mère. Nous reviendrons.
Avec l'argent que le cordonnier nous a rendu, nous avons acheté quelques paires de chaussettes, mais nous n'avons pas tout dépensé. Nous allons dans une épicerie pour acheter un peu de farine et prendre du sel et du sucre sans les payer. Nous allons aussi chez le boucher; nous achetons une petite tranche de lard et prenons un gros saucisson sans le payer. Nous retournons chez Bec-de-Lièvre. Elle et sa mère ont déjà tout mangé. La mère est restée au lit, Bec-de-Lièvre fait la vaisselle.
Nous lui disons:
– Nous vous apporterons un fagot de bois tous les jours. Un peu de haricots et de pommes de terre aussi. Mais, pour le reste, il faut de l'argent. Nous n'en avons plus. Sans argent, on ne peut pas entrer dans un magasin. Il faut acheter quelque chose pour pouvoir voler autre chose.
Elle dit:
– C'est fou ce que vous êtes malins. Vous avez raison. Moi, on ne me laisse même pas entrer dans les magasins. Je n'aurais jamais pensé que vous seriez capables de voler.
Nous disons:
– Pourquoi pas? Ce sera notre exercice d'habileté. Mais il nous faut un peu d'argent. Absolument.
Elle réfléchit et dit:
– Allez en demander à M. le curé. Il m'en donnait parfois quand j'acceptais de lui montrer ma fente.
– Il te demandait ça?
– Oui. Et parfois, il mettait son doigt dedans. Et après, il me donnait de l'argent pour que je ne dise rien à personne. Dites-lui que Bec-de-Lièvre et sa mère ont besoin d'argent.