Le cordonnier habite et travaille dans le sous-sol d'une maison près de la gare. La pièce est vaste. Dans un coin, il y a son lit, dans un autre, sa cuisine. Son atelier est devant la fenêtre qui est au ras du sol. Le cordonnier est assis sur un tabouret bas, entouré de chaussures et d'outils. Il nous regarde par-dessus ses lunettes; il regarde nos souliers laqués tout craquelés.
Nous dlsons:
– Bonjour, monsieur. Nous voudrions des bottes en caoutchouc, imperméables, chaudes. En vendez-vous? Nous avons dè l'argent.
Il dit:
– Oui, j'en vends. Mais les doublées, les chaudes sont très chères.
Nous disons:
– Nous en avons absolument besoin. Nous avons froid aux pieds.
Nous mettons sur la table basse l'argent que nous avons.
Le cordonnier dit:
– C'est juste assez pour une seule paire. Mais une paire peut vous suffire. Vous avez ia même pointure. Chacun de vous sortira à son tour.
– Cela n'est pas possible. Nous ne sortons jamais l'un sans l'autre. Nous allons partout ensemble.
– Demandez encore de l'argent à vos parents.
– Nous n'avons pas de parents. Nous habitons chez notre Grand-Mère qu'on appelle la Sorcière. Elle ne nous donnera pas d'argent.
Le cordonnier dit:
– La Sorcière, c'est votre grand-mère? Pauvres petits! Et vous êtes venus de chez elle jusqu'ici avec ces souliers-là!
– Oui, nous sommes venus. Nous ne pouvons pas passer l'hiver sans bottes. Nous devons aller chercher du bois dans la forêt; nous devons, déblayer la neige. Nous avons absolument besoin de…
– De deux paires de bottes chaudes et imperméables. Le cordonnier rit et nous tend deux paires de bottes:
– Essayez-les.
Nous les essayons; elles nous vont très bien. Nous disons:
– Nous les gardons. Nous vous paierons la deuxième paire au printemps quand nous vendrons des poissons et des œufs. Ou, si vous préférez, nous vous apporterons du bois.
Le cordonnier nous tend notre argent.
– Tenez. Reprenez-le. Je ne veux pas de votre argent. Achetez plutôt de bonnes chaussettes. Je vous offre ces bottes parce que vous en avez absolument besoin.
Nous disons:
– Nous n'aimons pas accepter de cadeau.
– Et pourquoi donc?
– Parce que nous n'aimons pas dire merci.
– Vous n'êtes pas obligés de dire quoi que ce soit. Allez-vous-en. Non. Attendez! Prenez aussi ces pantoufles et ces sandales pour l'été, et ces souliers montants aussi. Ils sont très solides. Prenez tout ce que vous voulez.
– Mais pourquoi voulez-vous nous donner tout ça?
– Je n'en ai plus besoin. Je vais bientôt partir.
Nous demandons:
– Où allez-vous?
– Comment savoir? On va m'emmener et on me tuera.
Nous demandons:
– Qui veut vous tuel, et pourquoi?
Il dit:
– Ne posez pas de questions. Partez maintenant.
Nous prenons les souliers, les pantoufles, les sandales. Nous avons les bottes aux pieds. Nous nous arrêtons devant la porte, nous disons:
– Nous espérons qu'on ne vous emmènera pas. Ou, si on vous emmène, qu'on ne vous tuera pas. Au revoir, monsieur, et merci, merci beaucoup.
Quand nous rentrons, Grand-Mère demande:
– Où avez-vous volé tout ça, gibier de potence?
– Nous n'avons rien volé. C'est un cadeau. Tout le monde n'est pas aussi avare que vous, Grand-Mère.