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L'officier étranger

Nous faisons notre exercice d'immobilité dans le jardin. Il fait chaud. Nous sommes couchés sur le dos à l'ombre du noyer. A travers les feuilles, nous voyons le ciel, les nuages. Les feuilles de l'arbres sont immobiles; les nuages semblent l'être aussi mais, si on les regarde longuement, attentivement, on remarque qu'ils se déforment et s'étirent.

Grand-Mère sort de la maison. En passant à côté de nous, d'un coup de pied, elle envoie du sable et du gravier sur notre visage et sur notre corps. Elle marmonne quelque chose et s'en va dans la vigne pour faire la sieste.

L'officier est assis, torse nu, les yeux fermés, sur le banc devant sa chambre, la tête appuyée contre le mur blanc, en plein soleil. Soudain, il vient vers nous; il nous parle, mais nous ne répondons pas, nous ne le regardons pas. Il retourne sur son banc.

Plus tard, l'ordonnance nous dit:

– M. l'officier demande vous venir parler avec lui. Nous ne répondons pas. Il dit encore:

– Vous lever et venir. Officier fâché si vous pas obéir.

Nous ne bougeons pas.

L'officier dit quelque chose et l'ordonnance entre dans la chambre. On l'entend chanter en faisant le ménage.

Quand le soleil touche le toit de la maison à côté de la cheminée, nous nous levons. Nous allons vers l'officier, nous nous arrêtons devant lui. Il appelle l'ordonnance. Nous demandons:

– Que veut-il?

L'officier pose des questions; l'ordonnance traduit:

– M. l'officier demander pourquoi vous pas bouger, pas parler?

Nous répondons:

– Nous faisions notre exercice d'immobilité. L'ordonnance traduit encore:

– M. l'officier dire vous faire beaucoup d'exercices. Aussi autres sortes. Il a vu vous taper l'un l'autre avec ceinture.

– C'était notre exercice d'endurcissement.

– M. l'officier demander pourquoi vous faire tout ça?

– Pour nous habituer à la douleur.

– Il demander vous plaisir avoir mal?

– Non. Nous voulons seulement vaincre la douleur, la chaleur, le froid, la faim, tout ce qui fait mal.

– M. l' officier admiration pour vous. Il trouver vous extraordinaires.

L'officier ajoute quelques mots. L'ordonnance nous dit:

– Bon, fini. Moi, obligé partir maintenant. Vous aussi, filer, aller à la pêche.

Mais l'officier nous retient par le bras en souriant et fait signe à l'ordonnance de partir. L’ordonnance fait quelques. pas, se retourne:

– Vous, partir! Vite! Aller promener dans la ville.

L'officier le regarde et l'ordonnance s'éloigne jusqu'à la porte du jardin d'où il nous crie encore:

– Foutre le camp, vous! Pas rester! Pas comprendre, imbéciles?

Il s'en va. L'officier nous sourit, nous fait entrer dans sa chambre. Il s'assied sur une chaise, il nous tire à lui, nous soulève, nous fait asseoir sur ses genoux. Nous mettons nos bras autour de son cou; nous nous serrons contre sa poitrine velue. Il nous berce.

En dessous de nous, entre les jambes de l'officier, nous sentons un mouvement chaud. Nous nous regardons, puis nous regardons l'officier dans les yeux. Il nous repousse doucement, il nous ébouriffe les cheveux, il se met debout. Il nous tend deux cravaches et il se couche sur son lit à plat ventre. Il dit un seul mot que, sans connaître sa langue, nous comprenons.

Nous frappons. Une fois l'un, une fois l'autre. Le dos de l'officier se strie de raies rouges. Nous frappons de plus en plus fort. L'officier gémit et, sans changer de position, descend son pantalon et son caleçon jusqu'aux chevilles. Nous frappons ses fesses blanches, ses cuisses, ses jambes, son dos, son cou, ses épaules de toutes nos forces, et tout devient rouge.

Le corps, les cheveux, les habits de l'officier, les draps, le tapis, nos mains, nos bras sont rouges. Le sang gicle même dans nos yeux, se mêle à notre transpiration, et nous continuons de frapper jusqu'à ce que l'homme pousse un cri final, inhumain, et que nous tombions, épuisés, au pied de son lit.

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