Nous sommes couchés sur le sol en terre battue d'une cellule. Par une petite fenêtre à barreaux de fer, pénètre un peu de lumière. Mais nous ne savons pas l'heure qu'il est, ni même si c'est le matin ou l'après-midi.
Nous avons mal partout. Le plus léger mouvement nous fait retomber dans une semi-inconscience. Notre vue est voilée, nos oreilles bourdonnent, notre tête résonne. Nous avons terriblement soif. Notre bouche est sèche.
Des heures passent ainsi. Nous ne parlons pas. Plus tard, le policier entre, il nous demande:
– Vous avez besoin de quelque chose?
Nous disons:
– A boire.
– Parlez. Avouez. Et vous aurez à boire, à manger, tout ce que vous voulez.
Nous ne répondons pas. Il demande:
– Grand-père, vous voulez manger quelque chose?
Personne ne lui répond. Il sort.
Nous comprenons que nous ne sommes pas seuls dans la cellule. Avec précaution, nous levons un peu la tête et nous voyons un vieillard couché, recroquevillé dans un coin. Doucement, nous rampons vers lui, nous le touchons. Il est raide et froid. Toujours en rampant, nous regagnons notre place près de la porte.
Il fait déjà nuit quand le policier revient avec une lampe de poche. Il éclaire le vieillard, il lui dit:
– Dormez bien. Demain matin vous pourrez rentrer chez vous.
Il nous éclaire aussi en plein visage l'un après l'autre:
– Toujours rien à dire? Ça m'est égal. J'ai le temps. Vous parlerez ou vous crèverez ici.
Plus tard dans la nuit, la porte s'ouvre de nouveau. Le policier, l'ordonnance et l'officier étranger entrent. L'officier se penche sur nous. Il dit à l'ordonnance:
– Téléphonez à la base pour une ambulance! L'ordonnance s'en va. L'officier examine le vieillard. Il dit:
– Il l'a battu à mort!
Il se tourne vers le policier:
– Tu vas le payer cher, vermine! Si tu savais comme tu vas payer tout ça!
Le policier nous demande:
– Qu'est-ce qu'il dit?
– Il dit que le vieillard est mort et que vous allez le payer cher, vermine!
L'officier nous caresse le front:
– Mes petits, mes petits garçons. Il a osé vous faire du mal, ce porc ignoble!
Le policier dit:
– Qu'est-ce qu'il va me faire? Dites-lui, j'ai des enfants… Je ne savais pas… C'est votre père, ou quoi?
Nous disons:
– C'est notre oncle.
– Vous auriez dû me le dire. Je ne pouvais pas savoir. Je vous demande pardon. Qu'est-ce que je peux faire pour…
Nous disons:
– Priez Dieu.
L'ordonnance arrive avec d'autres soldats. On nous pose sur des civières et on nous porte dans l'ambulance. L'officier s'assied à côté de nous. Le policier, encadré par plusieurs soldats, est emmené dans la Jeep conduite par l'ordonnance.
A la base militaire, un médecin nous examine tout de suite dans une grande salle blanche. Il désinfecte nos plaies, il nous fait des piqûres contre les douleurs et contre le tétanos. Il nous fait aussi des radiographies. Nous n'avons rien de cassé, sauf quelques dents, mais il s'agit de dents de lait.
L'ordonnance nous ramène chez Grand-Mère. Il nous couche dans le grand lit de l'officier et s'installe sur une couverture à côté du lit. Le matin, il va chercher Grand-Mère qui nous apporte du lait chaud au lit. Quand l'ordonnance est parti, Grand-Mère nous demande:
– Vous avez avoué?
– Non, Grand-Mère. Nous n'avions rien à avouer.
– C'est ce que je pensais. Et le policier, qu'est-ce qu'il est devenu?
– Nous ne savons pas. Mais il ne reviendra certainement plus jamais.
Grand-Mère ricane:
– Déporté ou fusillé, hein? Le cochon! On va fêter ça. Je vais réchauffer le poulet d'hier. Je n'en ai pas mangé, moi non plus.
A midi nous nous levons, nous allons manger à la cuisine.
Pendant le repas, Grand-Mère dit:
– Je me demande pourquoi vous avez voulu la tuer? Vous aviez vos raisons, je suppose.