Nous trouvons un homme dans la forêt. Un homme vivant, un homme jeune, sans uniforme. Il est couché derrière un buisson. Il nous regarde sans bouger.
Nous lui demandons:
– Pourquoi restez-vous là, couché?
Il répond:
– Je ne peux plus marcher. Je viens de l'autre côté de la frontière. Je marche depuis deux semaines. Jour et nuit. Surtout la nuit. Je suis trop faible maintenant. J'ai faim. Je n'ai rien mangé depuis trois jours.
Nous demandons:
– Pourquoi n'avez-vous pas d'uniforme? Tous les hommes jeunes ont un uniforme. Ils sont tous soldats. Il dit:
– Je ne veux plus être soldat.
– Vous ne voulez plus combattre l'ennemi?
– Je ne veux combattre personne. Je n'ai pas d'ennemis. Je veux rentrer chez moi.
– Où est-ce, chez vous?
– C'est encore loin. Je n'y arriverai pas si je ne trouve rien à manger.
Nous demandons:
– Pourquoi n'allez-vous pas acheter quelque chose à manger? Vous n'avez pas d'argent?
– Non, je n'ai pas d'argent et je ne peux pas me montrer. Je dois me cacher. Il ne faut pas qu'on me voie.
– Pourquoi?
– J'ai quitté mon régiment sans permission. J'ai fui. Je suis un déserteur. Si on me retrouvait, je serais fusillé ou pendu.
Nous demandons:
– Comme un assassin?
– Oui, exactement comme un assassin.
– Et pourtant, vous ne voulez tuer personne. Vous voulez seulement rentrer chez vous.
– Oui, seulement rentrer chez moi.
Nous demandons:
– Que voulez-vous que nous vous apportions à manger?
– N'importe quoi.
– Du lait de chèvre, des œufs durs, du pain, des fruits?
– Oui, oui, n'importe quoi.
Nous demandons:
– Et une couverture? Les nuits sont froides et il pleut souvent.
Il dit:
– Oui, mais il ne faut pas qu'on vous voie. Et vous ne direz rien à personne, n'est-ce pas? Pas même à votre mère.
Nous répondons:
– On ne nous verra pas, nous ne disons jamais rien à personne et nous n'avons pas de mère.
Quand nous revenons avec la nourriture et la couverture, il dit:
– Vous êtes gentils.
Nous disons:
– Nous ne voulions pas être gentils. Nous vous avons apporté ces objets car vous en aviez absolument besoin. C'est tout.
Il dit encore:
– Je ne sais comment vous remercier. Je ne vous oublierai jamais.
Ses yeux se mouillent de larmes.
Nous disons:
– Vous savez pleurer ne sert à rien. Nous ne pleurons jamais. Pourtant nous ne sommes pas encore des hommes comme vous.
Il sourit et dit:
– Vous avez raison. Excusez-moi, je ne le ferai plus. C'était seulement à cause de l'épuisement.