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Les alertes

Quand nous sommes arrivés chez Grand-Mère, il n'y avait que très peu d'alertes dans la Petite Ville. Maintenant il y en a de plus en plus. Les sirènes se mettent à hurler à n'importe quel moment du jour et de la nuit, exactement commè dans la Grande Ville. Les gens courent se mettre à l'abri, se réfugient dans les caves. Pendant ce temps, les rues sont désertes. Parfois les portes des maisons et des magasins restent ouvertes. Nous en profitons pour entrer et prendre tranquillement ce qui nous plaît.

Nous ne nous réfugions jamais dans notre cave. Grand-Mère non plus. Le jour, nous poursuivons nos occupations, la nuit, nous continuons de dorrilir.

La plupart du temps, les avions ne font que traverser notre ville pour aller bombarder de l’autre côté de la frontière. Il arrive qu'une bombe tombe tout de même sur une maison. Dans ce cas, nous repérons l'endroit d'après la direction de la fumée et nous allons voir ce qui a été détruit. S'il reste quelque chose à prendre, nous le prenons.

Nous avons remarqué que les gens qui se trouvent dans la cave d'une maison bombardée sont toujours morts. Par contre, la cheminée de la maison reste presque toujours debout.

Il arrive aussi qu'un avion fasse une attaque en piqué pour mitrailler des gens dans les champs ou dans la rue.

L'ordonnance nous a appris qu'il fallait faire attention quand l'avion avançait vers nous, mais que, dès qu'il se trouvait au-dessus de notre tête, le danger était passé.

A cause des alertes, il est interdit d'allumer des lampes le soir avant d'avoir obscurci parfaitement les fenêtres. Grand-Mère pense qu'il est plus pratique de ne pas allumer du tout. Des patrouilles font la ronde toute la nuit pour faire respecter le règlement.

Au cours d'un repas, nous parlons d'un avion que nous avons vu tomber en flammes. Nous avons vu aussi le pilote sauter en parachute.

– Nous ne savons pas ce qu'il est devenu, le pilote ennemi.

Grand-Mère dit:

– Ennemi? Ce sont des amis, des frères à nous. Ils arrivent bientôt

Un jour, nous nous promenons pendant une alerte.

Un homme affolé se précipite sur nous:

– Vous ne devez pas rester dehors pendant les bombardements.

Il nous tire par le bras vers une porte.

– Entrez, entrez là-dedans.

– Nous ne voulons pas.

– C'est un abri. Vous y serez en sécurité.

Il ouvre la porte et nous pousse devant lui. La cave est pleine de monde. Il y règne un silence total. Les femmes serrent leurs enfants contre elles.

Tout à coup, quelque part, des bombes explosent. Les explosions se rapprochent. L'homme qui nous a emmenés à la cave se jette sur le tas de charbon qui se trouve dans un coin et essaie de s'y enfouir.

Quelques femmes ricanent avec mépris. Une femme âgée dit:

– Ses nerfs sont détraqués. Il est en permission à cause de ça.

Brusquement, nous avons de la peine à respirer. Nous ouvrons la porte de la cave; une grande et grosse femme nous repousse, referme la porte. Elle crie:

– Vous êtes fous? Vous ne pouvez pas sortir maintenant.

Nous disons:

– Les gens meurent toujours dans les caves. Nous voulons sortir.

La grosse femme s'appuie contre la porte. Elle nous montre son brassard de la Protection civile.

– C'est moi qui commande ici! Vous resterez là!

Nous enfonçons nos dents dans ses avant-bras charnus; nous lui donnons des coups de pied dans les tibias. Elle pousse des cris, essaie de nous frapper. Les gens rigolent. Enfin, elle dit, toute rouge de colère et de honte:

– Allez! Foutez le camp! Allez crever dehors! Ce ne sera pas un grand dommage.

Dehors, nous respirons. C'est la première fois que nous avons eu peur.

Les bombes continuent à pleuvoir.

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