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Le vieux monsieur

Juste après le repas du soir, un vieux monsieur arrive avec une fille plus grande que nous.

Grand-Mère lui demande:

– Qu'est-ce que vous voulez?

Le vieux monsieur prononce un nom, et Grand-Mère nous dit:

– Sortez. Allez faire un tour dans le jardin.

Nous sortons. Nous contournons la maison et nous nous asseyons sous la fenêtre de la cuisine. Nous écoutons. Le vieux monsieur dit:

– Ayez pitié.

Grand-Mère répond:

– Comment pouvez-vous me demander une chose pareille?

Le vieux monsieur dit:

– Vous connaissiez ses parents. Ils me l'ont confiée avant d'être déportés. Ils m'avaient donné votre adresse pour le cas où elle ne serait plus en sécurité chez moi.

Grand-Mère demande:

– Vous savez ce que je risque?

– Oui, je le sais. Mais il y va de sa vie.

– Il y a un officier étranger dans la maison.

– Justement. Personne ne la cherchera ici. Il suffira de dire que c'est votre petite-fille, la cousine de ces deux garçons.

– Tout le monde sait que je n'ai pas d'autres petits enfants que ces deux-là.

– Vous pouvez dire qu'elle est de la famille de votre gendre.

Grand-Mère ricane:

– Je ne l'ai jamais vu, celui-là!

Après un long silence, le vieux monsieur reprend:

– Je ne vous demande que de nourrir la fillette pendant quelques mois. Jusqu'à la fin de la guerre.

– La guerre peut encore durer des années.

– Non, elle ne sera plus très longue.

Grand-Mère se met à pleurnicher:

– Je ne suis qu'une pauvre vieille qui se tue au travail. Comment nourrir autant de bouches?

Le vieux monsieur dit:

– Voici tout l'argent que possédaient ses parents. Et les bijoux de la famille. Tout est à vous, si vous la sauvez.

Peu après, Grand-Mère nous appelle:

– Voici votre cousine.

Nous disons:

– Oui, Grand-Mère.

Le vieux monsieur dit:

– Vous jouerez ensemble, tous les trois, n'est-ce pas?

Nous disons:

– Nous ne jouons jamais.

Il demande:

– Que faites-vous donc?

– Nous travaillons, nous étudions, nous faisons des exercices.

Il dit:

– Je comprends. Vous êtes des hommes sérieux. Vous n'avez pas le temps de jouer. Vous veillerez sur votre cousine, n'est-ce pas?

– Oui, monsieur. Nous veillerons sur elle.

– Je vous remercie.

Notre cousine dit:

– Je suis plus grande que vous.

Nous répondons:

– Mais nous sommes deux.

Le vieux monsieur dit:

– Vous avez raison. A deux, on est beaucoup plus fort. Et vous n'oublierez pas de l'appeler «cousine», n'est-ce pas?

– Non, monsieur. Nous n'oublions jamais rien.

– J'ai confiance en vous.

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