Notre cousine et son amoureux
Notre cousine devient sérieuse, elle ne nous dérange plus. Elle se lave tous les jours dans le grand bassin que nous avons acheté avec l'argent gagné dans les bistrots. Elle lave sa robe très souvent et sa culotte aussi. Pendant que ses habits sèchent, elle s'enveloppe dans une serviette ou bien elle s'étend au soleil avec sa culotte qui sèche sur elle. Elle est toute brune. Ses cheveux la couvrent jusqu'aux fesses. Parfois elle se retourne sur le dos et cache sa poitrine avec ses cheveux.
Vers le soir, elle part en ville. Elle reste de plus en plus longtemps en ville. Un soir, nous la suivons sans qu'elle s'en doute.
Près du cimetière, elle rejoint un groupe de garçons et de filles, tous plus grands que nous. Ils sont assis sous les arbres, ils fument. Ils ont aussi des bouteilles de vin. Ils boivent au goulot. L'un d'entre eux fait le guet au bord du sentier. Si quelqu'un s'approche, le guetteur se met à siffler une chanson connue en restant tranquillement assis. Le'groupe se disperse et se cache dans les buissons ou derrière les pierres tombales.
Quand le danger est passé, le guetteur siffle une autre chanson.
Le groupe parle de la guerre à voix basse et aussi de désertions, de déportations, de résistance, de libération.
D'après eux, les militaires étrangers qui sont dans notre pays et qui prétendent être nos alliés sont en réalité nos ennemis, et ceux qui vont bientôt arriver et gagner la guerre ne sont pas des ennemis, mais, au contraire, nos libérateurs.
Ils disent:
– Mon père est passé de l'autre côté. Il revIendra avec eux.
– Mon père à moi a déserté dès la déclaration de la guerre.
– Mes parents ont rejoint les partisans. J'étais trop jeune pour aller avec eux.
– Les miens ont été emmenés par ces salauds. Déportés.
– Tu ne les reverras plus jamais, tes parents. Et moi non plus. Ils sont tous morts à présent.
– Ce n'est pas sûr. Il y aura des survivants.
– Et les morts, on les vengera.
– On était trop jeunes. Dommage. On n'a rien pu faire.
– Ce sera bientôt fini. «Ils» vont arriver d'un jour à l'autre.
– On les attendra sur la Grande Place avec des fleurs.
Tard dans la nuit, le groupe se disperse. Chacun rentre chez soi.
Notre cousine part avec un garçon. Nous la suivons. Ils pénètrent dans les petites ruelles du château, disparaissent derrière un mur en ruine. Nous ne les voyons pas, mais nous les entendons.
Notre cousine dit:
– Couche-toi sur moi. Oui, comme ça. Embrasse-moi. Embrasse-moi.
Le garçon dit:
– Comme tu es belle! J'ai envie de toi.
– Moi aussi. Mais j'ai peur. Si je suis enceinte?
– Je t'épouserai. Je t'aime. On se mariera après la Libération.
– Nous sommes trop jeunes. Il faut attendre.
– Je ne peux pas attendre.
– Arrête! Tu me fais mal. Il ne faut pas, il ne faut pas, mon chéri.
Le garçon dit:
– Oui, tu as raison. Mais caresse-moi. Donne ta main. Caresse-moi là, oui, comme ça. Tourne-toi. J'ai envie de t'embrasser là, là, pendant que tu me caresses.
Notre cousine dit:
– Non, ne fais pas ça. J'ai honte. Oh! continue, continue! Je t'aime, je t’aime tant.
Nous rentrons.