Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Pardaillan saisit les poignets du jeune homme. Une violente émotion s’emparait de lui.

Il comprenait que Charles, arrivé au paroxysme de la douleur, allait se tuer. Cœur faible, d’une exquise faiblesse, si tendre et si pur dans cette toute première jeunesse, plus fragile qu’une fleur, Charles succombait au premier coup du malheur. Pardaillan le vit perdu et que rien ne pourrait le sauver.

– Mon ami, murmura-t-il d’une voix tremblante, mon enfant, vivez pour moi qui ne suis plus attaché à la vie que par une vieille haine et qui, depuis que je vous connais, ai fait ce rêve de m’y rattacher encore pour une affection!

Charles secoua la tête et son regard morne se fixe sur le pistolet.

– Il le faut donc! fit Pardaillan.

Les deux hommes se regardèrent, haletants. Tout était fini…

Pardaillan était une nature trop absolument éprise d’indépendance, un ami trop sûr, une conscience trop libre, un esprit trop large: l’idée ne pouvait lui venir de s’opposer par la force au geste suprême qui allait délivrer son ami. Éperdument, il cherchait la raison convaincante, l’argument qui pouvait désarmer Charles. Et il ne les trouvait pas.

– Adieu, Pardaillan, dit Charles d’une voix ferme.

Pardaillan déposa le pistolet sur la table. À ce moment, à cet instant tragique où les deux amis vraiment dignes l’un de l’autre échangeaient un regard où flottaient des pensées surhumaines, à cette seconde, la porte s’ouvrit, Picouic entra et cria:

– Monseigneur, il est retrouvé! Il est revenu! Il est là!…

– Qui ça? hurla Pardaillan dans la détente de son désespoir, et avec cette pensée soudaine et rapide qu’un incident quelconque, si minime qu’il fût, pouvait faire dévier la volonté de Charles. Qui est revenu? Qui est là?…

– Moi! fit une voix large, grasse, burlesque et lugubre.

Et Croasse apparut, tandis que Pardaillan faisait un geste découragé, son espoir déçu…

– Moi, continua Croasse en se courbant et en croassant plus que jamais, moi qui au prix de mille dangers ai découvert le secret de l’abbaye de Montmartre, moi qui ai vu, cette nuit, malgré ma résistance acharnée, enlever la pauvre petite Violetta, et qui…

Le croassement s’arrêta net dans la gorge de Croasse. Un double cri délirant retentit. Pardaillan et Charles bondirent ensemble sur Croasse et l’entraînèrent dans l’intérieur de la chambre, tandis que l’infortuné, suffoqué par cette double étreinte, persuadé qu’il allait recevoir une raclée nui ferait le pendant de celle que lui avait administrée Belgodère, essayait vainement de crier grâce.

– Qu’as-tu dit? haleta Charles, plus livide devant cette espérance qu’il ne l’avait été devant la mort.

– Que tu as vu Violetta cette nuit? rugit Pardaillan.

– Oui! fit Croasse avec un rauque soupir. Grâce, messeigneurs! Ce n’est pas ma faute si…

– Vivante? interrogea Charles qui se sentait mourir.

– Mais oui, vivante! fit Croasse étonné.

Charles chancela. Un soupir de terrible angoisse souleva sa poitrine. Son regard mourant se tourna vers Pardaillan. Il était à bout de forces. Le chevalier saisit le pistolet, l’appuya sur la tempe de Croasse qui verdit et flageola sur ses jambes.

– Écoute bien, dit Pardaillan avec un calme terrible, tâche de dire la vérité, tâche de ne pas te tromper, sans quoi je te brûle la cervelle. Tu soutiens que tu as vu Violetta? la petite chanteuse? C’est bien elle que tu as vue cette nuit?

– Cette nuit, je le jure! Il y a quelques heures à peine!

– Vivante?

– Très vivante!

– Tu ne trompes pas? Tu n’as pas été abusé par une ressemblance? C’était bien Violetta?

– Parbleu! voilà assez longtemps que je la connais, je pense!

Pardaillan jeta le pistolet dans un coin et se retourna vers Charles. Un ineffable sourire transfigura le jeune homme. Il ouvrit les bras, poussa un soupir, râla quelques mots confus et tomba à la renverse, évanoui. Il paraît que la joie tue quelquefois. En cette circonstance, elle fut clémente. Charles revint promptement à lui. Alors, Croasse fut accablé de questions. De l’ensemble de ses réponses, il résulta que Violetta avait été enlevée de l’abbaye de Montmartre et conduite dans une autre prison.

Charles, suspendu aux lèvres de Croasse, l’écoutait comme il eût écouté un messie. Pour la centième fois, Croasse raconta comment il avait vu des gens de mauvaise mine se glisser vers l’enclos de l’abbaye, comment il avait été intrigué et, n’écoutant que son courage, les avait suivis; puis comment, étant parvenu à monter sur le toit de la maisonnette, il avait réussi à se glisser dans une soupente d’où il avait vu l’intérieur, et dans cet intérieur, Violetta prisonnière, gardée à vue par sept ou huit hommes armés jusqu’aux dents.

– Alors, poursuivit-il, j’ai attendu la nuit. J’avais mon idée. Je voulais absolument sauver Violetta.

– Brave Croasse! fit Charles. Tiens, prends cette bourse…

– Merci, monseigneur. Donc, quand j’ai vu les gardes de Violetta endormis, succombant aux libations, car ces misérables ont vidé je ne sais combien de bouteilles tandis que je mourais de soif dans ma soupente, je suis descendu et me suis dirigé vers la porte de la pièce où était enfermée Violetta. Mais juste comme j’allais ouvrir, cinq ou six nouveaux sbires sont entrés subitement et ont réveillé les premiers en leur disant qu’il fallait transférer la prisonnière dans un lieu qu’ils n’ont pas nommé. J’ai voulu me cacher; trop tard! Ils m’avaient vu, et tous ensemble sont tombés sur moi avec leurs épées; j’en porte les marques, voyez!

Et Croasse, relevant ses manches, montra en effet des taches noirâtres qui les marbraient.

– Mais, fit Pardaillan, ce ne sont pas là des coups d’épée?

– Vous croyez, monsieur le chevalier?

– J’en suis sûr. On dirait des coups de trique…

Croasse eut une grimace intraduisible en songeant au gourdin de Belgodère. Mais reprenant tout son aplomb:

– Je vais vous dire: grâce à ma présence d’esprit, ces sacripants n’ont pu me toucher de leurs épées; mais en me défendant je me cognais aux meubles et aux murs… Alors, vous comprenez?

– Oui, dit froidement le chevalier, tu as été assommé à coups de muraille, voilà l’explication.

– Voilà bien l’explication fit Croasse enchanté. Cependant, succombant sous le nombre, je fus forcé de battre en retraite, et tandis qu’une partie des sacripants s’acharnait sur moi, l’autre entraînait Violetta.

– Et pourquoi n’es-tu pas venu nous prévenir aussitôt?

– Songez, monsieur le chevalier, que jusqu’au jour je me suis battu sur les pentes de Montmartre; j’ai dû en tuer quelques-uns. Bref, ce n’est qu’après mainte escarmouche, tantôt attaqué, tantôt attaquant, que j’ai pu mettre en fuite les deux derniers de mes ennemis. Alors j’ai couru à la rue des Barrés et, ne vous y trouvant pas, je suis venu ici.

La vérité comme on s’en doute était beaucoup plus simple. Après le départ de Belgodère et de Violetta, Croasse était descendu de sa soupente, s’était esquivé, avait attendu dans les marécages l’ouverture des portes de Paris et, comme l’ordre du duc de Guise était de ne laisser sortir personne, mais non d’empêcher d’entrer, il avait bravement pénétré dans Paris.

Si Charles d’Angoulême et Pardaillan n’ajoutaient que peu de foi à l’odyssée extraordinaire de Croasse, ils n’en laissèrent rien paraître. L’essentiel était que Violetta était vivante. Sur ce point, Croasse était affirmatif et il n’y avait aucune raison de douter de sa parole. Mais alors, qu’avait-on fait de Violetta? Où avait-elle été entraînée? Tout à coup, Pardaillan pâlit.

– La place de Grève! murmura-t-il. Pourquoi la damnée Fausta a-t-elle parlé de Violetta?… Pourquoi m’a-t-elle donné rendez-vous ce matin à dix heures, sur la place de Grève?… Est-ce que… Oh! l’effroyable créature!…

Il jeta les yeux sur l’horloge. Elle marquait neuf heures, et demie.

– En route, dit d’une voix qui fit frissonner Charles. Duc, armez-vous solidement… et suivez-moi!…

– Où allons-nous?… haleta Charles.

– À la place de Grève! répondit Pardaillan qui s’élança.

98
{"b":"88694","o":1}