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– Nous voulons pendre et brûler les hérétiques Fourcaudes, ont-ils dit tout d’une voix…

– Qu’ils les pendent donc! grommela Guise interrompant le récit de Bussi-Leclerc.

– C’est ce que j’ai dit, monseigneur! reprit celui-ci.

– Et alors? dit Guise en bâillant.

– Alors, monseigneur, il y aura demain un beau feu de joie en lequel les damnées Fourcaudes seront bellement grillées, non toutefois sans avoir été un peu pendues.

– Et alors? dit Guise en poussant un deuxième bâillement.

– Alors, j’ai pu tranquillement achever mon dîner, dit Bussi-Leclerc.

– Le sire de Maineville demande à être introduit auprès de Monseigneur, dit à ce moment un valet.

Guise fit un signe. La porte s’entrouvrit de nouveau, laissant voir la salle remplie de gentilshommes armés, qui attendaient anxieusement les décisions qu’allait prendre le maître, le roi de Paris, plus roi dans son hôtel que jamais Henri III ne l’avait été dans son Louvre. Maineville entra, et comme s’il se fût trouvé en effet devant le roi, attendit en silence.

– Parle, dit Guise, qu’as-tu à nous raconter?

– Monseigneur, j’ai à dire qu’il y a dans Paris une étrange émotion.

– Toi aussi!… Ah! tu fais bien le pendant de Bussi, comme là-bas, sur les ailes du moulin!…

– Sire, dit Maineville… oh! pardon, je voulais dire monseigneur…

– Oh! murmura Maurevert avec admiration. Et je n’ai pas trouvé celle-là!

– Un peu de patience, Maineville, fit Guise en souriant; car la flatterie, si grossière qu’elle fût, le trouvait toujours faible et sensible comme un enfant ou comme un roi…

– Il se trompe de si peu! s’écria Maurevert qui voulait prendre sa part de la trouvaille de Maineville.

– Monseigneur, donc, reprit Maineville, je ne sais ce qu’a pu vous dire Bussi pour qu’il fasse si bien le pendant avec moi. Ce qui est sûr, c’est que les Parisiens…

– Je sais, interrompit Guise; ils demandent un roi.

– Bref, continua Maineville, à force de demander, nos Parisiens enragent de soif… et pour une soif pareille, monseigneur, il faut une boisson rouge. Il n’y a que le sang pour étancher la soif des Parisiens quand ils se mettent à crier.

– Eh bien, qu’on leur en donne! dit Guise. Demain, les Fourcaudes…

Il se fit un moment de silence. Ces nouvelles, successivement apportées à Guise par Bussi-Leclerc, par Maineville et par d’autres qui les avaient précédés, lui indiquaient qu’il était temps de prendre une décision. Et c’était justement devant cette décision qu’il reculait encore.

Sous leurs airs enjoués, ses courtisans lui signalaient un véritable danger; mais ce danger, il ne voulait pas le voir! Guise avait le cœur pris par une de ces passions foudroyantes qui ne laissent pas de répit. Ses conventions avec Catherine de Médicis l’obligeaient d’ailleurs à ne pas brusquer la situation: il avait juré d’attendre patiemment la mort d’Henri III. Et dans cette patience qui inquiétait la noblesse, qui étonnait Paris, il ne voyait pas seulement le moyen de parvenir au trône sans secousses, sans avoir à redouter des chances d’une guerre déclarée; il voyait aussi la possibilité de rechercher, de retrouver cette Violetta à laquelle il songeait. Voilà pourquoi Guise faisait la sourde oreille aux objurgations de ses courtisans et aux clameurs des Parisiens.

Pendant ces journées où nous le voyons si hésitant, si tourmenté d’un amour qui le rongeait, Guise était aussi préoccupé d’une pensée de vengeance. L’affaire de la place de Grève avait remis en sa présence ce Pardaillan dont depuis l’effroyable journée de la Saint-Barthélémy, il avait gardé un terrible souvenir. Or, le même Pardaillan venait de lui porter un coup qui pouvait être mortel.

On avait fouillé le moulin et le logis du meunier, on avait creusé la terre, sondé les murs, et on n’avait retrouvé aucune trace des précieux sacs qui pourtant existaient!… Donc, Pardaillan avait fait partir l’argent!… Pourquoi? Dans quel intérêt? S’était-il lui-même emparé de l’énorme somme?

Quoi qu’il en fût, lui, Guise, était frustré, volé!… Et où était ce Pardaillan, à cette heure? Qui pouvait le dire?… Maurevert affirmait que le chevalier se trouvait encore à Paris. Mais ce n’était là qu’une supposition, sans doute!

Comme Maineville venait d’achever son récit, et que Guise roulait ces diverses pensées, le valet entra pour la troisième fois et remit une lettre au duc qui, ayant examiné la suscription et l’ayant reconnue sans doute, se hâta de briser le cachet. Les trois courtisans virent alors un livide sourire passer sur le visage du duc et ils l’entendirent murmurer:

– Nous le tenons!…

Cette lettre était de Fausta!… Et Fausta, prévenue elle-même par Claudine de Beauvilliers, annonçait au duc que Pardaillan et Charles d’Angoulême se trouvaient à Paris.

«Demain, ajoutait la princesse en terminant, demain je vous dirai l’endroit exact où vous pourrez faire saisir cet homme.»

– Tu disais, rit alors Guise, que ton ami Pardaillan se trouve encore à Paris?

– J’en répondrais! répondit en frissonnant Maurevert à qui ces mots s’adressaient.

– Eh bien! tu as dit la vérité…

– Pardaillan! gronda Bussi-Leclerc, Pardaillan qui m’a vaincu!…

– Pardaillan qui m’a crucifié au pilori du moulin! fit de son côté Maineville en serrant ses poings.

Et tous les quatre se regardèrent pâles de haine.

– Oui, messieurs, reprit le duc. Je reçois l’assurance que ce démon est encore à Paris, et que demain je saurai en quelle maison il se cache.

– Demain! s’écrièrent Maineville et Bussi-Leclerc en saisissant leurs dagues.

– Demain! murmura Maurevert en pâlissant davantage.

– Cette fois, je pense qu’il ne nous échappera pas. Et pour commencer, Maurevert, ordre à toutes les portes de Paris de ne plus laisser passer âme qui vive. Va, et fais diligence… Et sois tranquille: tu assisteras à la prise de Pardaillan!…

Maurevert s’élança, et donnant des ordres à son tour, expédia sur tous les points de Paris des messagers porteurs de la décision ducale. Moins d’une heure plus tard, toutes les portes de la ville se fermaient, tous les ponts-levis se levaient et le bruit courait dans Paris enfiévré que l’armée d’Henri III, unie à celle du roi de Navarre, avait été signalée. Lorsque chacun des émissaires qu’il avait envoyés à chacune des portes fut de retour, Maurevert rentra dans le cabinet du duc de Guise en disant:

– Monseigneur, la bête est cernée!…

– À demain l’hallali, dit le duc.

– Et la curée! acheva Maineville.

– Un instant! s’écria Bussi-Leclerc, je réclame, moi! Je ne veux pas, messieurs, vous céder ma part; je désire, Monseigneur, que le sire de Pardaillan me soit livré cinq minutes, avant d’être conduit aux fourches… Rassurez-vous, je ne le tuerai pas tout à fait…

– Ah! ah! Tu veux ta revanche?

– Monseigneur, dit Bussi-Leclerc, j’ai été vaincu par cet homme; il est vrai qu’il m’a pris en traître; mais qui le saura? Maineville a déjà raconté à cent gentilshommes que Bussi-Leclerc est peut-être encore l’Invincible, mais qu’il n’est plus l’Invaincu. Je ne t’en veux pas, Maineville.

– Je suis prêt à te rendre raison!… dit Maineville.

– Je t’embrocherais comme un poulet, et tu es trop utile à notre sire le duc…

– La paix! commanda Guise.

– Donc, reprit Bussi-Leclerc, je veux que Maineville puisse dire, je veux qu’on répète que, surpris une fois par un traître de hasard, j’ai pris une rude revanche. Monseigneur, je vous offrirai le Pardaillan au bout de ma rapière.

– Soit! Tu auras satisfaction, dit le duc; mais n’oublie pas que tu n’as pas permission de le tuer tout à fait, vu que je veux lui faire avouer où il a caché les sacs de ce bon froment romain auquel vous mordrez tous, messieurs…

Sur un signe de Guise, les trois gentilshommes sortirent. Et parmi les courtisans du Roi de Paris, qui encombraient en permanence les antichambres de l’hôtel, la rumeur se répandit qu’un conseil de guerre venait d’être tenu et que de graves événements étaient proches.

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