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– Mes frères, dit-il, c’est le plus terrible qu’il me reste à confesser.

Les moines frissonnèrent, et plus d’un maudit de bon cœur la confession publique qui déchaînait en eux toutes les tentations défendues. Mais Bourgoing avait peut-être son idée…

– Ce que je vis enfin, reprit Jacques Clément, ce que je vis dans ce lieu de perdition, ce furent des femmes, mes frères… non des femmes telles que nous les voyons dans nos églises ou par les rues, décemment vêtues, mais des êtres sataniques, d’une beauté inconcevable, bien qu’elles fussent masquées, et si peu vêtues, mes frères, que ce n’est pas la peine de parler de leurs vêtements…

Ce fut un silence glacial qui s’établit parmi les moines… un silence d’où montaient des souffles rauques.

– Une surtout, continua le pénitent, une d’entre ces femmes détestables, m’enlaça de ses caresses… et là, mes frères, ah! si je ne commis pas l’horrible péché, si je ne roulai pas dans les abîmes de honte, c’est que profitant d’une dernière lueur de chasteté, je rassemblai tout mon courage et pus m’enfuir…

– Oremus ! oremus ! oremus ! balbutia le prieur en jetant des yeux hagards sur les figures congestionnées de ses moines dont plusieurs finirent par rabattre entièrement leurs capuchons sur leurs visages.

Cependant le prieur Bourgoing, ayant affermi sa voix, donnait maintenant ses ordres pour sauver l’âme en danger de perdition et chasser les démons acharnés sur le pauvre frère.

– Que chacun de vous, dit-il, récite par trois fois dans le courant de cette nuit sept Pater et sept Ave , et une fois le psaume de la pénitence. Pour ce surcroît de besogne, mes frères, vous serez dispensés des offices nocturnes; que chacun demeure donc enfermé dans sa cellule. Quant à frère Clément, nous lui avons déjà indiqué en partie les actes de contrition qu’il aura à remplir. Nous lui compléterons demain sa pénitence, et en attendant, nous l’autorisons par grâce spéciale à demeurer seul au chœur de la chapelle jusqu’à ce que minuit sonne afin que seul avec lui-même, il puisse repasser les détails de sa faute et implorer son pardon.

– Amen ! dirent les moines d’une seule voix.

Alors ils sortirent en rang, les mains croisées, la tête penchée. Puis le prieur sortit à son tour. Puis le sacristain éteignit les deux ou trois flambeaux qui brûlaient dans la chapelle. Dès lors, elle ne fut plus éclairée que par la veilleuse suspendue au plafond par une longue chaîne.

Jacques Clément, prosterné, essaya de prier comme il avait essayé dans sa cellule. Dans ce visage pâli par le jeûne qu’il s’imposait depuis qu’il avait pénétré dans la maison Fausta, les yeux brûlés de fièvre paraissaient seuls. Parfois un frisson le secouait.

Devant lui, ce n’était pas le tabernacle qu’il voyait et l’image de Dieu qu’il appelait avec la profonde ardeur d’une foi absolue, c’était l’image d’une femme qu’en vain il essayait d’écarter. Elle était jolie plutôt que belle, avec des lèvres rieuses et des yeux moqueurs, et une attitude décidée qui la faisait plus jolie encore… Et c’était l’image de Marie de Lorraine, duchesse de Montpensier.

– Seigneur, murmurait le jeune homme, ainsi, malgré la pénitence, malgré la confession publique devant mes frères assemblés, malgré le jeûne et la prière, l’amour me dévore, l’amour me transporte… Seigneur, ayez pitié de moi!…

Il frappa les dalles de son front… Mais toujours la souriante image se balançait mollement devant lui et tendait ses bras, et il sentait sur ses lèvres la brûlure des baisers que jamais il ne pourrait oublier.

Peu à peu, dans ce cerveau vidé par le jeûne, exaspéré par l’amour, commencèrent à se produire les phénomènes d’hallucination. Les ténèbres, par moments, s’emplirent de lueurs. Au fond de la chapelle, il y eut des bruits qui le faisaient violemment tressaillir…

Tout à coup, Jacques Clément, qui jusque-là avait ardemment prié, fixa son attention sur ce fait: il était seul, dans la nuit, au fond de la chapelle… Et minuit allait sonner! Dès lors une sourde terreur commença à monter en lui.

Jacques Clément était dans cette misérable situation d’esprit, où la pensée s’envole en lambeaux, où l’énergie se dissout, où les forces vives de l’homme se disloquent et s’effondrent.

Un bruit sec, lointain, venu de quelque part, il ne savait d’où, le fit sursauter. Ce bruit, c’était celui de l’horloge, précédant l’heure qui va sonner… Et dans le grand silence terrible qui enveloppait le moine, l’heure sonna avec une désespérante lenteur. Une sueur glaciale inonda son visage. Il compta les coups en frémissant, la gorge serrée par une inexprimable angoisse.

– Neuf!… Dix!… Onze!… Douze!…

Ses cheveux se hérissèrent sur sa tête… il fit un effort pour se lever et retomba à genoux, pétrifié, convulsé par une horreur sans nom… Car à ce douzième coup… à ce coup fatal du terrible minuit… la chapelle là-bas, au fond du chœur, à l’endroit même où se trouvait la porte des tombeaux souterrains, s’était éclairée d’une lueur étrange. D’une lueur que Jacques Clément comprit aussitôt ne pas être dans son imagination… une lueur réelle… extérieure à lui… Cela formait comme un nimbe très doux…

Un cri expira à ce moment dans sa gorge… La porte s’ouvrait!… Le prodige s’accomplissait… une apparition se montrait…

Mais au lieu du spectre qu’il attendait, ce que vit Jacques Clément, ce fut une éblouissante et radieuse figure… une femme jeune, adorablement belle, avec de grands cheveux blonds répandus sur ses épaules… et elle était vêtue de blanc… et elle tenait à la main une dague dont les reflets d’acier luisaient…

Jacques Clément, extasié, joignit les mains… Cette figure représentait celle de Marie de Montpensier!… celle qu’il adorait!…

Cependant l’apparition ne faisait aucun mouvement, ne s’avançait pas et regardait le moine en lui souriant d’un sourire infiniment doux, ou du moins qui semblait tel à Jacques Clément. Quelques secondes s’écoulèrent, pendant lesquelles cette horreur qui le paralysait se dissipa en partie.

– Qui es-tu? dit-il alors d’une voix haletante, à peine compréhensible. Es-tu l’image de celle que j’aime!… Es-tu d’essence divine, ou bien est-ce l’enfer qui me soumet à une nouvelle épreuve?…

L’apparition parla. D’une voix douce, bien timbrée, ou chaque mot sonnait clair, elle dit:

– Rassure-toi, Jacques Clément… Je ne suis pas un être d’enfer… et la preuve, la voici!…

À ces mots, l’apparition trempa sa main tout entière dans une vasque contenant de l’eau bénite.

– Qui es-tu alors?… interrogea ardemment le moine…

– Je ne suis pas non plus d’essence divine… Je suis un de ces êtres aériens qui servent de messager au ciel et font que le Seigneur peut communiquer ses ordres aux hommes qu’il a choisis pour exécuter ses volontés… je suis ce que, sur terre, vous appelez un ange…

– Mais pourquoi, balbutia le moine transporté, pourquoi as-tu pris ce visage?…

– Parce que c’est celui de l’être que tu aimes. Le Très-Haut a entendu tes prières. Il a pitié de toi… Et si j’ai pris la figure que tu me vois, c’est qu’il t’est permis d’aimer cette femme…

Jacques Clément poussa un cri rauque. Tout ce que la joie humaine peut exprimer de délices, d’étonnement, d’émerveillement, s’exhala dans ce cri:

– Il m’est permis de l’aimer! bégaya-t-il.

– Oui… à condition que tu exécutes les ordres que je viens te communiquer…

Jacques Clément tendit ses bras raidis vers l’apparition. Ses yeux s’exorbitèrent. Sa tête pencha en arrière et son corps se plia légèrement en arc. Toute terreur avait disparu de son esprit…

– Parle! dit-il d’une voix d’extase, parle encore, ô toi dont la vue m’enivre et dont la voix me charme…

L’ange eut un imperceptible sourire de malice et dit:

– Je suis le messager du Dieu tout-puissant et te viens avertir des ordres divins. Jacques, Jacques! écoute… Là-haut, la couronne du martyre se prépare pour toi… Et ici-bas, c’est la couronne d’amour qui t’est promise!…

– Que dois-je donc faire? s’écria le jeune moine transporté, transfiguré.

– Tu dois accomplir l’acte suprême, qui délivrera le peuple de France… le peuple de Dieu: tu as été choisi pour frapper Valois… Par toi le tyran doit être mis à mort…

À ces mots, et avant que Jacques Clément eût pu faire un geste, la forme blanche de l’apparition s’enfonça dans les ténèbres.

Le moine tomba la face contre les dalles. L’épouvante le reprit comme avant la vision. Il voulut fuir, et demeura cloué aux dalles, grelottant de tous ses membres, les cheveux hérissés, le front baigné d’une sueur glacée…

Une heure se passa avant qu’il pût reprendre ses esprits. À peu près calmé, il parvint à se relever péniblement… Alors, il se demanda s’il n’avait pas rêvé. Le silence profond de la chapelle, les choses habituelles à leur place, la porte des tombeaux bien fermée, tout lui prouvait qu’il avait été la proie d’une hallucination. Il en éprouva comme un regret…

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