En parlant ainsi, Pardaillan, de ce geste qui le faisait si terrible dans l’action, avait tiré sa longue et large rapière, et s’acculant d’un bond à l’angle gauche de la pièce, était tombé en garde… En effet, au coup de sifflet, en même temps que Fausta disparaissait par une porte dissimulée derrière les tentures du dais, une douzaine d’hommes masqués s’étaient rués, l’épée où le poignard à la main… Ils ne disaient pas un mot, ne jetaient pas un cri…
À l’instant, la salle se remplit du cliquetis des fers froissés et choqués; puis, coup sur coup, il y eut un gémissement bref et un hurlement prolongé: le gémissement venait de l’un des assaillants qui venait de tomber raide mort; le hurlement venait d’un blessé qui se retirait de la bagarre.
Pardaillan, acculé à son angle, ramasse sur lui-même, l’œil calme et brillant, la physionomie étincelante d’une sorte de griserie, ne faisait que peu de gestes; seulement chacun de ses gestes était un éclair de foudre. Les assaillants serrés lui portaient coup sur coup sans s’inquiéter de leurs blessés… Un instant le chevalier fit trois pas en avant et s’enveloppa d’un tel flamboiement d’acier qu’il y eut un recul…
– Messieurs, un conseil! Voulez-vous?
Les assaillants se taisaient; ils frappaient seulement avec plus de rage, et si leurs visages n’eussent été couverts, on eût pu lire sur ces visages l’étonnement prodigieux que leur inspirait cet homme.
– Exorcisez-moi! cria Pardaillan en portant un nouveau coup suivi d’un cri.
– Tue! Tue! crièrent les assaillants oubliant toute recommandation de silence.
– Arrière, messieurs les marguilliers! cria Pardaillan.
Il n’avait pas une blessure. Parmi les assaillants, cinq étaient morts ou blessés. À ce moment, sept ou huit nouveaux combattants entrèrent en scène. Ceux-ci étaient armés de pistolets!… Pardaillan était perdu!
– J’aurais pourtant bien voulu dire un mot à Maurevert, avant de rejoindre Loïse dans le pays des rêves éternels! murmura le chevalier.
À cet instant précis, et avant qu’un seul des pistolets eût fait feu, une porte s’ouvrit!… Dans l’encadrement de cette porte, un homme parut!… Pardaillan, échevelé, bondit comme un lion. D’une poussée terrible, il envoya l’homme rouler à dix pas, et il franchit la porte!
* * * * *
Cette porte, c’était celle qui faisait communiquer le palais Fausta avec l’Auberge du Pressoir de Fer ! Cet homme c’était le duc de Guise, que la Roussotte et Pâquette avaient rencontré et conduit jusque-là!…
Pardaillan se trouva dans la salle de l’orgie…
– Arrête! Arrête, vociférèrent les bravi de Fausta.
En quelques secondes, le chevalier eut traversé deux salles et se trouva dans le cabaret: la porte par où avait fui la duchesse de Guise était entrouverte…
– Malédiction! clama une voix que Pardaillan reconnut.
– Et moi, je vous bénis, madame! fit le chevalier dans un cri éclatant.
Il se trouvait dans la ruelle… L’instant d’après, il s’effaçait dans l’ombre…
– Ouf! dit-il en s’arrêtant au bout d’une centaine de pas. Au fond, je ne suis pas fâché d’avoir vu cela, moi!… Mais qu’est devenu maître Pipeau?… Il a fui, le lâche!… Ce chien-là finira mal.
Il fit dix pas encore et s’arrêta soudain.
– Ah çà! grommela-t-il, et la jeune personne qui s’est pâmée dans mes bras?… Que devient-elle?… Si j’allais la chercher?… Au fait, je suis son cavalier?… C’est peut-être une impolitesse de la planter là! Tout de même, ce serait excessif de me faire mettre en charpie uniquement pour aller présenter mes hommages et mes adieux à une inconnue… Ce serait une bonne amie… une Huguette, par exemple, je ne dirais pas non… Allons, chevalier, un peu de sagesse, que diable!… Et la petite bohémienne? Où vais-je reprendre sa piste?…
Il se secoua et se remit tranquillement en route.
– Allons dormir, fit-il. J’ai toujours vu que mes bonnes idées me sont venues en dormant.
Et, ayant franchi le pont, il se dirigea, en remontant le fleuve, vers la rue des Barrés où l’attendait Charles d’Angoulême…
Depuis qu’il était sorti de l’Auberge du Pressoir de Fer , trois ombres le suivaient, s’attachant à ses pas, et suivant chacun de ses mouvements. C’étaient Picouic et Croasse. C’était Maurevert qui avait guetté avec la terrible patience de la haine et de la peur combinant leurs suggestions hideuses. Maurevert avait entendu le tumulte qui se déchaînait dans la maison, et il avait dressé l’oreille, reconnaissant au bruit une de ces bagarres comme la seule présence de Pardaillan semblait en provoquer.
– S’il pouvait crever là! se dit-il, les dents serrées… Non! le voilà! Attention, vous deux!… Et vous savez, si l’homme succombe, vous aurez en moi un protecteur qui ne regarde ni aux coups ni à l’argent!
– Notre fortune est faite, alors! dit Picouic.
Les trois hommes franchirent la Seine derrière Pardaillan et comme lui, tournèrent le long des berges désertes. Arrivé au port Saint-Paul le chevalier s’enfonça à gauche dans une sorte d’étroit boyau qui allait s’ouvrir à son autre extrémité sur la rue des Barrés.
– Voici le moment! gronda Maurevert en s’arrêtant. Hardi!… Sus!… Sus!…
Les deux «hercules» s’élancèrent… Maurevert tira sa dague et s’apprêta à se ruer sur Pardaillan dès qu’il serait à terre; il voulait lui porter le dernier coup, qui serait le bon!…
Le chevalier, maintenant, marchait insoucieusement, sa longue rapière lui battant les talons, les plumes de son chapeau au vent de la nuit… Tout à coup, il entendit derrière lui le glissement de deux pas rapides. Il se retourna et vit deux hommes qui arrivaient sur lui. Sa main se porta vivement à sa rapière.
– Oh! dit-il, c’est une nuit de travail pour Giboulée!… Bon! ajouta-t-il en renfonçant sa rapière, ce ne sont que deux truands!…
À l’instant, ils furent sur lui.
– La bourse ou la vie! cria Picouic d’une voix glapissante.
– La bourse ou la vie! dit Croasse lugubrement.
En même temps, ils levèrent leurs dagues. Mais avant que leurs bras se fussent abattus, tous deux poussèrent un hurlement de douleur. Simplement, Pardaillan avait détendu ses deux poings, l’un à droite l’autre à gauche… Le poing droit écrasa le nez de Croasse. Le poing gauche enfla subitement un œil de Picouic.
– À genoux, truands! dit le chevalier, et demandez pardon au chevalier de Pardaillan…
Les deux hommes, malgré la douleur et l’effarement de cette réception à laquelle ils étaient loin de s’attendre, s’apprêtaient à porter quelque traître coup au chevalier; mais à ce nom ainsi brusquement prononcé, ils s’arrêtèrent stupéfaits… Croasse jeta son poignard… Picouic rengaina le sien…
– Ah çà! gronda le chevalier; à genoux, vous dis-je!…
En même temps, il les saisit l’un et l’autre par le cou, selon une manœuvre qui lui était familière, et les deux fronts, irrésistiblement rapprochés, se cognèrent avec un bruit de bois que l’on frappe. Les deux malandrins tombèrent à genoux.
– Grâce, monsieur le chevalier, gémit l’un… je vous dirai tout!… Sachez seulement que je suis Picouic!…
– Et moi, monseigneur, dit l’autre, plutôt que de toucher à un de vos cheveux, j’aimerais mieux jeûner un mois de suite: Croasse a la reconnaissance du ventre!
– Croasse? Picouic? fit Pardaillan; où ai-je entendu déjà ces deux noms de porte de grince et d’oiseau qui demande à boire?… Çà! levez-vous, mes drôles!… D’où sortez-vous? Où vous ai-je vus?
– Ce matin, monseigneur! dit Picouic. En l’auberge de la Devinière …
– Auberge du paradis, monseigneur! ajouta Croasse. Auberge où vous nous fîtes manger et boire comme doivent boire et manger les bienheureux au ciel!…
– Hum! je vous reconnais maintenant. Donc, pour prix de ce dîner préparé par les divines mains d’Huguette elle-même, vous me vouliez meurtrir?
Picouic et Croasse répondirent ensemble:
– Ah! si j’avais su que ce fût vous, monseigneur!…
– Qu’eussiez-vous fait? Parlez, et je vous laisse aller sains et saufs, sans autre correction; mais soyez francs!
– Monseigneur, dit Picouic à voix basse, nous vous suivons depuis la rue de la Tisseranderie…
– Bah! Eh bien, mordieu, vous y mettez de la constance! Ceci mériterait une plus belle réussite.
– Éloignons-nous, monseigneur! dit à son tour Croasse; éloignons-nous, car il pourrait tomber sur vous à l’improviste…
– Qui ça!… Il?… Vous étiez donc trois?…
– Celui qui nous a payés pour vous mettre à mal! Ah! je vous jure que si nous avions su…